On pourrait s’en réjouir, mais on aurait du mal. Le magazine Stratégies, référent dans le monde de la publicité et de la communication, vient de consacrer pour la première fois un grand dossier à l’identité sonore. La volonté affichée de l’hebdomadaire est d’aider ses lecteurs à y voir clair dans un secteur jeune, encore peu structuré, mais qui suscite une curiosité grandissante. Réjouissante perspective ? Pas vraiment, les titres des principaux articles qui forment ce dossier donnent rapidement le ton : « L’identité sonore a du mal à se faire entendre », « Sixième Son… et les autres ».
En substance, Stratégies nous explique que le secteur du design musical vit en grande partie grâce à Sixième Son qui a créé le métier et dispose d’une expertise très forte. Pour le journaliste, l’agence à l’angelot rose sert de porte-drapeau à la profession. Parallèlement, se joue la bataille pour savoir qui en sera le challenger et avec quels arguments.
Pour Stratégies, Brandy Sound a une longueur d’avance sur les autres challengers mais demeure « loin derrière le leader ». L’agence dirigée par Olivier Covo et Jean-Michel Lecler se distingue par son discours offensif et son positionnement conseil. C’est aussi la seule à afficher quelques références fortes. On comprend surtout que c’est, avec Sixième Son, la seule structure à investir : avec une nouvelle initiative nommée Sound Value, Brandy Sound compte bien ne plus laisser Sixième Son seul sur le registre du retour sur investissement.
Vient ensuite toute une série de microstructures dont Stratégies ne nous explique pas vraiment ni le savoir-faire ni la spécificité. Ce qui est surprenant, c’est que Stratégies semble mettre dans un même sac des structures qui n’ont pourtant rien à voir. Difficile de comparer des nouveaux venus qui n’ont aucune référence avec des structures comme Hého ou Dessine-moi un son, qui ont chacune plus de dix ans d’existence mais n’atteignent toujours pas les 300 000 euros de chiffres d’affaires.
Ce que Stratégies n’ose pas dire non plus, c’est que les agences de queue de peloton se livrent actuellement une bataille sans merci sur les prix qui pourrait conduire certaines à la casse. Si Sixième Son et Brandy Sound y échappent, sans doute grâce à leur notoriété et à leur expertise, d’autres proposent des prestations minimales pour des budgets super low-cost. D’après nos informations, le programme d’identité sonore de l’Aéroport de Lyon aurait par exemple été réalisé pour moins de 20 000 euros. On vous laisse seul juge du résultat ici, mais à ce tarif-là difficile pour ces structures d’embaucher, d’investir, de faire progresser leur travail créatif ou leur accompagnement aux côtés des clients. Les résultats financiers de certaines petites agences évoquées par Stratégies sont inquiétants quant à leur pérennité. D’ailleurs, certaines ont décidé de ne plus publier leurs chiffres, alors que c’est une obligation légale. N’oublions pas, par exemple, que le fondateur de Capital Music a jeté l’éponge il y a moins de deux ans, lassé de ne pas avoir les moyens de grandir, d’investir.
Ce que Stratégies n’évoque pas non plus, c’est la bataille sourde mais bien réelle que se livrent les agences d’identité sonore et certaines agences de publicité. C’est cette même bataille qui existait il y a 30 ans entre les premières grandes agences de design graphique et le monde de la pub. Ces derniers voyaient d’un très mauvais œil une expertise nouvelle s’adresser aux marques qu’elles avaient en portefeuille. Les « vendeurs de logos » ont finalement réussi à percer, et plus personne ne conteste l’intérêt d’avoir d’un côté son agence de publicité et de l’autre son agence de design graphique. Si les publicitaires ont perdu la bataille de l’expertise, ils ont néanmoins gagné la bataille économique, puisqu’à l’exception notable de quelques belles agences telles Dragon Rouge, Saguez, AKDV ou Lonsdale, les autres principaux acteurs du design de marque ont été rachetés par des agences de pub (Carré Noir, Landor, Interbrand, W, CB’A, TheBrandUnion…). Les agences de pub, sous couvert d’anonymat, reconnaissent qu’elles n’ont pas l’expertise d’un Brandy Sound ou d’un Sixième Son. En revanche, nombre d’entre elles ont du mal à avaler d’avoir dans leurs pattes leurs créations musicales. Ce que Stratégies ne dit pas, et qui est sans doute le vrai facteur d’espoir, c’est que les annonceurs refusent désormais de se laisser dicter leur conduite musicale par les publicitaires, s’ils trouvent meilleure expertise ailleurs.
Plus personne ne doute aujourd’hui de l’importance d’une bonne identité sonore. La taille du dossier de Stratégies montre que cette question est devenue stratégique. Dans le fond, ce qui est surprenant également c’est qu’à la lecture de ce dossier, on n’est pas forcément plus à même de comprendre pourquoi Sixième Son est dominant et quelles sont les structures les plus prometteuses, celles qu’il faudra suivre, celles qu’il faut éviter. Pour trouver leur voie, les annonceurs ont clairement besoin d’éclairage dans un monde où sans doute trop de gens se disent experts. L’intention louable de Stratégies de donner des conseils aux marques comme le sérieux des articles est encourageant. Sans doute aurait-on pu aller plus loin.