Ce livre de Catherine Bertho Lavenir nous invite à découvrir comment le développement technique, accompagné de son écriture, invente le tourisme.
Tout commence au XIXe siècle, avec les villégiatures. Réservée à l'aristocratie, elle effraie le bourgeois qui y voit une perte de temps. Et c'est contraire à ses valeurs qui portent aux nues le travail et l'effort.
La première démocratisation de la villégiature, c'est le chemin de fer qui l'apporte. Reliant la ville aux bords de mer, il s'allie aux villes qu'il dessert pour créer une véritable mythologie de la ville balnéaire. On voit dès 1890 des affiches aux belles élégantes se promenant sur un rivage ou une cote domestiquée avec son casino dont l'habitant, en habit régional, promet exotisme et authenticité. Le tout porté par un discours médical favorable aux cures et bains. A ce même moment, on lit un développement des récits de voyages : Stendhal, Dumas ou Abel Hugo se plient à l'exercice, notant ce qu'il faut voir, constituant des guides touristiques avant l'heure dont la préoccupation première est esthétique. Enfin, les années 1850 sont celles de l'éclosion du sport comme valeur. Il faut goûter au plaisir de fatiguer son corps, de faire du sport en groupe, dans un esprit de belle camaraderie. On marche, on mange et on raconte.
Puis, émerge vers 1880 un sérieux concurrent à la marche, la bicyclette. Celle-ci est initialement diabolisée : n'est-elle pas indécente pour les curés et les femmes ? Elle est d'abord utilisée par les bourgeois puis rapidement diffusée dans des milieux ouvriers et ruraux. Cette pratique du vélo est très liée à l'écriture. Nombreux sont les sportifs qui envoient aux revues dédiées, notamment au Touring-club de France, la description de leurs excursions, en style "cycliste", accompagnée si possible de prise de vues photographiques (oui, les premiers explorateurs modernes devaient être bien chargés). Tout compte : le paysage et les monuments, mais aussi les hôtels, les auberges, rencontrées en chemin. Et chacun de partager ses trucs et astuces en mécanique pour améliorer les systèmes de freins et de dérailleurs pour monter les côtes et descendre les pentes. Par ailleurs, le Touring-club devient aussi le lieu où l'on relaie les demandes de routes plus adaptées, de signalisation et même de confort. Car entre les bourgeois des villes qui jouent aux explorateurs et les commodités des campagnes, il peut y avoir de sacrées différences. Au début du XXe siècle, la revue signale les hôtels fréquentables, à savoir qu'ils comportent des sanitaires, qu'ils sont propres et que la nourriture y est mangeable.
Un nouveau moyen de transport est inventé dans les années 1890, longtemps réservé à une élite très aisée, l'automobile. Et, l'on n'y pense pas, mais au début, rien n'est fait pour l'automobile : pas de route goudronnée, pas de station service, pas de mécanicien. Il faut faire preuve d'un bon esprit pratique et oser mettre les mains dans le cambouis pour utiliser son auto. Et ce qui est compliqué, c'est la cohabitation de la voiture, du cycliste, du piéton, du cheval... et des autres animaux sur les routes. Il y a une véritable guerre pour savoir à qui appartient la route. Nos ancêtres découvrent aussi de nouveaux sports : canoë, tennis, yachting, ski... le tout au grand air, dit vivifiant. Des colonies de vacances s'organisent autour de ces activités pour les jeunes gens et le scoutisme naît.
Une véritable culture du loisir et des congés se fait jour. Bien entendu, c'est 1936 qui marque une vraie rupture même si, les premières années, les ouvriers ne partent pas forcément très loin et envisagent les vacances comme un long week-end. Ils en profitent pour rejoindre la famille à la campagne par exemple. Mais lorsqu'ils gagnent les stations balnéaires, c'est le choc des cultures. Des règlements sont mis en place : on ne se déshabille pas n'importe où sur une plage, on ne s'entasse pas sauvagement près des côtes... Des campings et des clubs sont créés spécifiquement pour les vacanciers, qui après guerre viennent en voiture. De nouvelles destinations émergent, plus lointaines, avec ce fantasme de découvrir des lieux peu foulés par d'autres touristes. Dans ce même temps, le club Med rencontre un succès croissant, ne proposant aux vacanciers que le loisir et le repos. Si les villes cherchent toujours plus à attirer des vacanciers autour d'activités (sons et lumières, visites de monuments, concerts, etc.), ceux-ci peuvent bouder des divertissements pour le simple plaisir du farniente...
Un essai fort intéressant sur la naissance du tourisme bourgeois et populaire, inspiré des loisirs aristocratiques. Son point de vue, qui conjugue progrès technique et transmission par le récit, est un parti pris original qui permet de brosser les évolutions du milieu du XIXe siècle à nos jours.
Alors... bonnes vacances d'hiver à tous ;) (non, je ne pars pas, mais j'ai cru comprendre que la période du ski approchait !).