Comment classer le Parti libertarien sur l’échiquier politique belge ?

Publié le 11 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Oliver Rach, depuis Liège, Belgique.

Depuis la naissance du Parti libertarien fin 2012, la presse belge a éprouvé quelques difficultés à le classer sur l’échiquier politique du royaume. Ainsi, dans un article publié le 30 juillet 2013 par La Libre Belgique, l’analyste Manuel Abramowicz, de ResistanceS.be, affirmait dans le même paragraphe que le Parti libertarien « est à la droite de la droite » mais que « ses positions sont diamétralement opposées à l’extrême-droite ». La formation de Patrick Smets s’était alors fendue d’un communiqué, repris partiellement par La Libre Belgique, dans lequel elle rappelait n’être ni de gauche ni de droite, mais libre, tout simplement. « Choisir entre la droite et la gauche revient à choisir les libertés à abandonner », spécifiait-elle à juste titre — peut-être de façon sibylline.

Il faut reconnaître, à la décharge des journalistes, que l’axe gauche-droite dans lequel ils vivotent depuis de longues années manque de la nuance nécessaire pour classer avec mesure les libertariens. Cet axe réducteur, maintenu en vie par ses seules racines historiques, compte par ailleurs trois autres défauts intrinsèques.

Le premier consiste en sa faculté à forger, dans l’imaginaire des gens, une distance énorme entre les extrêmes, alors que, comme l’illustrent les programmes fort similaires de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en France, comme l’illustrent les racines socialistes du fascisme, comme l’illustre la concrétisation par Hitler de 8 des 10 points retenus par Marx dans son Manifeste du Parti communiste, l’extrême-gauche et l’extrême-droite s’avèrent finalement assez proches idéologiquement.

Le second défaut de l’axe gauche-droite découle de son instabilité temporelle. L’enfant adultérin du vieux Parti catholique, le cdH, tangue désormais vers la gauche, quand son ancêtre monopolisait le spectre droit de l’échiquier politique. Le Parti libéral du XIXème siècle, pourtant à gauche en son temps, serait aujourd’hui classé, avec un programme identique, à la droite de la droite. Un Jean Jaurès serait, quant à lui, certainement qualifié en notre époque de dangereux extrémiste néolibéral. O tempora o mores.

Une autre instabilité, cette fois géographique, constitue la troisième critique pouvant être formulée à l’égard de l’axe gauche-droite. Les Démocrates, pourtant conspués comme socialistes aux États-Unis, se verraient, chez nous, avec un programme identique, voués aux gémonies en tant que parti d’extrême-droite. Que dire alors du catalogue d’un Elio Di Rupo, ou même d’un Charles Michel, s’ils venaient à se présenter outre-Atlantique ou dans l’hémisphère sud ?

C’est donc pour offrir une meilleure grille de lecture politique aux journalistes du monde entier que le libertarien David Nolan inventa en 1970 son fameux diagramme. Deux axes s’y entrecroisent : le premier symbolise les libertés économiques, le second les libertés civiles. L’axe des libertés économiques calcule globalement la liberté d’entreprendre, le niveau des impôts, le marché libre, la présence de monopoles publics, etc., quand l’axe des libertés civiles évalue la liberté de circulation, la liberté d’expression, la liberté de culte, la liberté d’association, la libre possession de son corps, le respect de la vie privée, etc. Voici comment le diagramme de Nolan présenterait, de façon didactique, les différents partis actifs en Belgique francophone.


Le diagramme de Nolan et son application à la politique belge francophone.

L’on y retrouve, en son centre, le cœur de l’axe gauche-droite. Les extrêmes glissent vers la pointe inférieure du losange, là où les partis qui accordent peu d’intérêt à la fois aux libertés économiques et aux libertés civiles se rejoignent. (Le sigle FN y représente les multiples groupuscules issus de l’ancien parti d’extrême-droite.)

Les partis progressistes, comme Ecolo, Vega ou le PS, s’ils sont attentifs à la préservation des libertés civiles (liberté d’immigration, liberté de culte, respect de la vie privée, dépénalisation des drogues, mœurs libérées), n’en restent pas moins de farouches opposants aux libertés économiques. Cela les classe du côté gauche du diagramme.

Les partis conservateurs, comme le MR ou le PP, s’ils veillent à la préservation des libertés économiques (réduction du rôle de l’État dans l’économie, abaissement de la fiscalité, diminution du nombre de fonctionnaires), n’en demeurent pas moins des adversaires assumés des libertés civiles susmentionnées. À ce titre, ils sont classés du côté droit du diagramme.

Enfin, le Parti libertarien, attentif à la fois aux libertés économiques et aux libertés civiles, domine quant à lui la pointe supérieure du losange.


S’il ne s’avère pas parfait, le diagramme de Nolan permet de gommer les grosses défaillances de l’axe gauche-droite. Ainsi, il regroupe les formations totalitaires dans une seule et même catégorie. D’autre part, il facilite l’appréhension historique des programmes politiques, ainsi que la compréhension des systèmes politiques étrangers. Enfin, il laisse entrevoir clairement la place des libertariens dans la classification des idées politiques. Il permet de mieux comprendre la phrase sibylline du Parti libertarien citée en début d’article : « Choisir entre la droite et la gauche revient à choisir les libertés à abandonner. »

Il sera loisible au lecteur de se situer sur le diagramme de Nolan en participant au World’s Smallest Political Quiz (en anglais) ou en complétant le test réalisé par Damien Theillier pour Contrepoints.