David Malouf raconte un épisode clé de la guerre de Troie : la mort de Patrocle suivie de la mort d'Hector. Il s'intéresse plus spécialement à Priam, le père d'Hector et le roi de Troie, qui va demander à Achille de lui remettre le corps de son fils pour lui rendre les derniers honneurs. Achille est devenu une bête sauvage depuis la mort de Patrocle, un condensé de haine, de tristesse et de rage. Le fils de Pélée, chaque matin, attache le cadavre de son ennemi à son char et lui fait parcourir le champ de bataille, sous les murs de Troie.
Achille traînant le corps d'Hector,
peintre du Diosphos, - 490,
musée du Louvre
Ce roman est un régal. L'écriture en est simple, fine et poétique. Elle est très respectueuse du texte homérique, tant sur le fond que sur la forme. Mais elle est aussi très moderne en ceci qu'elle nous introduit aux ressentis et aux sentiments des personnages. S'attachant à décrire le cadre avec précision, l'auteur nous convie à un voyage. Celui de Priam jusqu'au camp grec. Un voyage dans la simplicité, loin du cadre contraignant de la cité. Un voyage avec un compagnon bienveillant, naturel et généreux, qui invite à poser un regard aimant sur le monde. C'est un très beau roman, qui se niche dans les vers du poème antique, qui invite à la contemplation, au pardon, à la compréhension mutuelle. Une trêve infime pendant cette guerre qui dure dix ans. L'auteur tisse des correspondances entre les personnages, fait appel à la filiation et établit d'étranges symétries. Par ailleurs, le divin y est diffus, le souffle épique apparaît en creux. Bref, c'est un moment qui n'est dédié qu'à l'homme et qui lui offre un peu de liberté, comme pour défier le destin.
"Dans son monde à lui, un homme parlait seulement pour donner forme à une décision qu'il avait prise, ou exposer un argument pour ou contre. Pour adresser des remerciements à qui avait été brave, ou, avec colère ou un indulgent regret, des remontrances à qui ne l'avait pas été. Pour offrir un compliment dont les phrases ornées, et les appels à la vanité ou à la fierté familiale étaient fixés et de forme ancienne et approuvée. C'était le silence, non la parole, qui était expressif. Le pouvoir se trouvait dans la retenue. Il consistait à tenir caché, donc voilé de mystère, son dessein véritable. Un enfant pouvait se montrer bavard, jusqu'à ce qu'il apprenne la discrétion. Ou les femmes, dans le secret de leurs appartements. Mais ici, au dehors, si l'on s’arrêtait pour écouter, tout bavardait. C'était un monde bavard. Les feuilles qui roulaient dans la brise. L'eau qui bondissait sur les galets et qui revenait sur elle-même pour bondir encore. Les cigales qui composaient une si longue et si assourdissante stridence, puis soudain s’arrêtaient, pour vous laisser à nouveau conscient du silence. Sauf que ce n'était aucunement du silence, mais un froissement, un bruissement, un bourdonnement continu, comme si la présence de chaque chose était autant le son qu'elle produisait que la forme qu'elle prenait, ou sa façon, bien personnelle, de remuer ou d'être immobile".