Qu’est-ce que « la Monnaie » ?

Publié le 10 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Pascal Salin.

La monnaie peut se définir comme « un pouvoir d’achat généralisé ». Cette expression signifie que le détenteur d’un bien auquel on peut appliquer cette définition peut l’échanger à n’importe quel moment contre n’importe quoi et auprès de n’importe qui.

La monnaie est en ce sens un pouvoir d’achat universel. Bien entendu, dans la réalité, aucun bien ne correspond parfaitement à cette définition. C’est pourquoi, au lieu de parler de la monnaie, il conviendrait plutôt de parler de la « qualité monétaire » des biens. (Le terme « moneyness » en anglais traduit bien cette idée ; en français, il conviendrait de parler de « monétarité » d’un bien, mais ce terme n’existe pas et on doit donc lui trouver un mauvais substitut, tel que « degré de liquidité ».)

Tout bien, en effet, possède, à un degré plus ou moins important, cette caractéristique d’échangeabilité. Mais un terrain, par exemple, est moins « monétaire » qu’un euro ou un dollar parce qu’il est moins facilement échangeable contre n’importe quoi, auprès de n’importe qui, à n’importe quel moment. On a donc coutume d’appeler « monnaies » les biens qui possèdent relativement les degrés d’échangeabilité les plus élevés.

Mais il faut distinguer cette définition « naturelle » de la monnaie de la définition « formelle » qui est habituelle à notre époque : ainsi, on donnera le nom de monnaie à des billets de banque dont le pouvoir d’achat se détériore à toute vitesse. Ces prétendues monnaies – qui bénéficient de privilèges étatiques pour leur utilisation – n’ont pratiquement pas de caractère monétaire.

Il est en tout cas fondamental de garder toujours à l’esprit que la nature même de la monnaie est de constituer un pouvoir d’achat disponible. En tant que telle, elle ouvre un espace de liberté à ses détenteurs car ils savent que la détention d’encaisses monétaires leur permet de satisfaire leurs besoins futurs dans un monde d’incertitude.

Il résulte de la définition de la monnaie que l’inflation est nécessairement mauvaise. En effet, celle-ci peut se définir comme l’augmentation du prix des biens en termes de monnaie et donc, symétriquement, comme une diminution du prix de la monnaie en termes de biens, c’est-à-dire une diminution du pouvoir d’achat de la monnaie.

L’inflation constitue donc une atteinte à la nature même de la monnaie et il est aussi absurde de dire que l’inflation stimule l’économie qu’il le serait de dire qu’on roule mieux avec des roues carrées.

Il est d’ailleurs caractéristique qu’à l’origine les monnaies aient été constituées de biens réels (or, argent, cuivre, cauris, têtes de bétail, pièces de tissu, etc.), c’est-à-dire d’un pouvoir d’achat bien concret. Mais on a ensuite trouvé plus commode, au lieu d’utiliser directement ces biens concrets, de faire circuler les droits de propriété sur ces biens.

Ainsi un billet de banque tirait sa valeur de la quantité de bien monétaire – or ou argent, par exemple – contre laquelle il était émis et contre laquelle il était remboursable. Les émetteurs privés de signes monétaires (billets ou dépôts) ont généralement respecté leurs engagements de convertibilité à prix fixe (de ces signes monétaires contre l’or ou l’argent) parce qu’ils étaient responsables.

Mais les États ont monopolisé les systèmes d’émission de billets et de dépôts et, usant de leur pouvoir de contrainte discrétionnaire, ils se sont affranchis de la discipline de la responsabilité : après avoir vendu un titre monétaire censé valoir, par exemple, un gramme d’or, ils ont changé arbitrairement le prix en or de ce titre, rachetant par exemple le titre en question contre un demi-gramme d’or. C’est ce qu’on appelle une dévaluation et celle-ci devrait donc être considérée comme du vol pur et simple.

Par la suite, en particulier au XXe siècle, les États ont même trouvé préférable – et plus rentable pour eux – de supprimer toute garantie de convertibilité à prix fixe (contre de l’or ou de l’argent). Simultanément ils ont imposé leur monopole de création monétaire, en particulier par les législations de « cours forcé », obligeant les citoyens à utiliser la « monnaie nationale », aussi mauvaise soit-elle.

C’est ainsi que, pour la première fois dans l’Histoire, les biens qu’on appelle « monnaies » n’ont plus eu de définition en termes de pouvoir d’achat concret. Il est alors frappant – mais pas surprenant – de constater que jamais dans l’Histoire il n’y a eu autant d’inflation et de crises monétaires que depuis ces nationalisations des monnaies qui ont ôté aux monnaies formelles la plus grande partie de leur caractère monétaire.

Ce dont auraient besoin les êtres humains, c’est de véritables monnaies qui conservent ou même qui accroissent leur pouvoir d’achat, puisque tel est le rôle de « la monnaie ». Il faudrait pour cela que cesse toute production de signes monétaires : la croissance de la production dans un monde où la quantité de monnaie serait constante se traduirait par une baisse constante des prix monétaires des biens – ce qu’on appelle une déflation – c’est-à-dire par une augmentation continuelle et souhaitable du pouvoir d’achat des monnaies.

C’est dire qu’il n’est pas nécessaire – et qu’il est même nuisible – de créer de la monnaie. C’est ce que l’on peut appeler le paradoxe (apparent) de la monnaie : il y a d’autant plus de monnaie dans une société (en termes de pouvoir d’achat, c’est-à-dire ce qu’on appelle les encaisses réelles) qu’il y a moins d’unités monétaires en circulation (ce qu’on appelle les encaisses nominales).

Ainsi, dans les cas d’hyperinflation, il y a fuite devant la monnaie et l’abondance de la monnaie a pour résultat qu’on n’utilise plus la monnaie. Il résulte des propositions ci-dessus qu’il faut supprimer le pouvoir monopolistique de création monétaire des autorités publiques, ce qui implique en particulier la disparition des banques centrales.


Article paru initialement dans Libres, le livre aux 100 auteurs