(Ma participation à l’atelier d’écriture qui consiste à illustrer la photo ci-dessous de Marion Pluss lors d’une urbex)
“Viens me chercher”. Le texto était arrivé sur son écran comme un murmure. Il retint son souffle, sentant une vague d’angoisse le traverser : c’était plutôt comme un appel au secours. Il empoigna son manteau, ses clés de voiture et claqua la porte.
La nuit l’avait surprise car l’exploration s’était avérée surprenante. Les indices du temps l’avait plongée dans une observation minutieuse qui posait déjà les jalons de sa future enquête. Elle voyait dans les éclats de peinture écaillées, dans les placards béants et dans les débris sur le sol les détails du temps. L’abbaye oubliée avait été successivement un refuge, un hôpital et une maison de redressement. Elle passa sa main doucement sur le mur, éprouvant ses aspérités, lisant dans le trompe-l’œil peint sur le mur, un modèle d’apprentissage et de discipline.
Un souffle traversa l’imposante bâtisse. Il passa près d’elle en faisant frémir les tables d’écoliers, des tiroirs, les portes des armoires, et se prolongea dans le couloir, et les pièces communes plus vastes. Un frisson en fit de même de ses talons à la base de son crâne, en gise de réponse. Heureusement qu’elle lui avait demandé de venir. Il serait là dans quelques instants, lui faisant oublier sa peur, en lui offrant la sécurité de son étreinte protectrice.
Sur le chemin il pestait contre la transmission de la voiture qui faisait des siennes. Il concentrait son attention sur ce détail matériel évitant de penser ainsi au pire. Originaire de la région, les légendes qui auréolaient Loos ne lui étaient pas étrangères. Il fallait qu’il fasse au plus vite.
Dans la pénombre, elle commença à distinguer la brume. Ou plutôt un brouillard épais comme ceux qui couvrent les marais en hiver de leur vapeur ouatée. Elle Cligna des yeux. Les volutes s’élevaient doucement modifiant les volumes, redessinant les espaces. Dans le silence sourd, une douzaine de silhouettes encapuchonnées semblaient s’affairer à quelque tâche d’importance. Ses pupilles se rétractèrent d’un trait. La scène semblait irréelle. Elle déglutit avec peine.
Sur la route, un épais brouillard commençait à le ralentir à l’approche de la prison. Avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, il vit une horde d’ombres et de silhouettes fantomatiques, semblables à des cavaliers moyenâgeux, assaillir le bâtiment. Son pied écrasa le frein comme un réflexe. Il cligna des yeux.
Elle vit les formes se métamorphoser successivement en infirmiers, brancardiers, en vaches et en bétail, puis en une foule de mendiants à donner la chair de poule, pour finir en prisonniers. Elle se souvint de ses recherches : Loos avait accueilli toutes ces populations avant de devenir une maison d’arrêt.
Il vit une foule rassemblée devant ce qui ressemblait à des camions énormes, parqués par des soldats, croix gammée en brassard. Il songea à la déportation des prisonniers. Il accéléra. Si cela se jouait près de lui, dans le pré devant Loos, alors il n’osait penser à ce qui se passait à l’intérieur. Il gara la voiture près d’une porte, sortit en courant, et s’élança à l’intérieur.
Toute la vie fantomatique animait de nouveau les murs de la Prison de Loos. Sans se soucier de ce qui l’entourait il continuait à évoluer, cherchant le trompe-l’œil qu’elle lui avait envoyé en photo. Brusquement comme s’ils avaient sentit le danger, toutes les formes et leurs regards vides se braquèrent sur eux. Elle silencieuse et discrète dans son coin et lui qui courait dans les couloirs. Leur sang ne fit qu’un tour. Puis il la vit, assise, sous la peinture, les genoux collés à sa poitrine. Les visages grimaçants les fixaient. Il couru vers elle, refermant ses bras contre son corps tremblant, et leur protection fit disparaître les ombres.