© 2010 Artists Rights Society (ARS), New York/ADAGP, Paris
FRANTIŠEK KUPKA (1871 – 1957)
The Yellow Scale
c. 1907
Huile sur toile
The Museum of Fine Arts, Houston
C’est au cours d’une après-midi somme toute normale, passée à flâner sur le site du Museum of Fine Arts de Houston, que j’ai croisé le regard perturbant du beau F. Kupka. Cet autoportrait, inattendu, accroche directement l’œil : d’abord par son camaïeu éblouissant, ensuite par la pose désinvolte et le regard mi-inquisiteur, mi-amusé de l’artiste.
La touche, rapide, superpose en aplats des teintes très proches, mais jamais identiques. Comme l’indique bien son titre, c’est presque un nuancier que nous propose là le peintre : or, citron, safran, ambre, soufre, toute une palette acide et chatoyante vient nous ravir la pupille. Cette couleur est pourtant traditionnellement considérée comme la plus basse de toutes, car l’équivalent d’un or dépouillé de son aspect divin. On l’attribue ainsi volontiers aux personnages mesquins, traîtres et autres Judas.
De ce fait, ne serait-ce que par ce dégradé singulier, Kupka se pose en marge des pratiques académiques. Pourtant, quel régal pour le spectateur ! Le jaune n’est peut-être pas noble, mais il n’en est pas moins évocateur – il fait d’ailleurs l’objet d’une délicieuse description dans le Barbe Bleue d’Amélie Nothomb : c’est une note sensuelle, ronde, douce mais aussi intrigante. Non, nous ne sommes pas dans un cours d’œnologie.
Là-dessus s’inscrit notre František, à la confiance déroutante. Il ne semble pas surpris par notre présence, sans pour autant nous accueillir chaleureusement. Enfoncé dans son fauteuil canné, une cigarette dans une main, un livre dans l’autre, il nous toise, et semble presque extérieur à son environnement si lumineux.
« The Yellow Scale » prend ainsi la forme d’un drôle d’amalgame, alliant une scène triviale à une palette anti conventionnelle. C’est aussi l’association du sacré de l’or (l’arrière-plan traité comme par petits rectangles rappelle d’ailleurs les fonds réalisés à la feuille d’or) au jaune pastel le plus insignifiant.
Louise Deglin
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