Cas à commenter: dépistage systématique par mammographies

Publié le 09 février 2014 par Samiahurst @samiahurst
Un avis d'experts relance la controverse autour de la mammographie de dépistage. J'ai assez envie de vous en faire un cas à commenter, car je sais qu'il y a parmi les lecteurs réguliers de ce blog plusieurs personnes qui connaissent plutôt bien ce genre de sujet.
Mais avant de vous passer la parole, un petit résumé et quelques clarifications. Le Swiss Medical Board a publié en début de semaine une recommandation contre le dépistage systématique du cancer du sein précoce par la mammographie. Oui, oui, je sais, ça ressemble à une attaque contre la santé des femmes (en pleine campagne de défense de l'accès à l'interruption de grossesse ça tombe mal), à un recul sur la prévention (alors qu'en Suisse on peut faire mieux sur ce chapitre), bref à une très très mauvaise idée. Mais ce qu'ils recommandent n'est pas de ne plus faire de mammographie. Encore moins de ne plus les rembourser. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour ou contre la mammographie elle-même. Non, ce qu'ils ont recommandé était de ne plus faire de programmes systématiques, avec courrier aux ménages et invitation à venir dans un centre de dépistage sur le seul critère du sexe féminin et de l'âge.
Leur raisonnement? Il y a des avantages à ces programmes, mais aussi des inconvénients parfois sérieux pour les personnes visées. C'est là-dessus que se focalise le rapport. Etant donné la possibilité réelle de dépister plus précocément d'une part, mais aussi le risque de voir quelque chose qui en fait n'est pas grave et de faire subir pour rien un traitement lourd, comment peser? La réponse des experts: en demandant aux femmes elles-mêmes, lorsqu'elles viennent en consultation, pour leur permettre de décider si elles trouvent que le jeu en vaut la chandelle. Et leur conclusion: on ne doit pas simplement les convoquer pour des mammographies, on doit leur en expliquer les avantages et les risques lorsqu'elles se présentent chez leur médecin. On ne doit donc pas, disent-ils, encourager les campagnes de dépistage systématique.
Ce qui est inconfortable, c'est qu'en Suisse en tout cas il semble que les campagnes de dépistage systématique soient surtout une spécialité romande. Elles ne sont certainement pas la seule différence entre les régions linguistiques dans la prise en charge du cancer du sein, mais toutes les différences prises ensemble donnent une mortalité plus faible de cette maladie en Suisse romande. Quel rôle joue spécifiquement le dépistage systématique dans cet effet? Ce n'est pas entièrement clair et sans doute serait-il utile de le clarifier.
Autre élément inconfortable: le rapport relève à juste titre que les informations fournies lors des campagnes de dépistage sont surtout positives, et qu'elles présentent parfois les chiffres sous un jour trop favorable à la pratique du dépistage. Mais les patientes initialement ne font que se rendre dans un centre de dépistage. La véracité de leur compréhension se jouera sur l'entretien qui s'y déroulera. En fait, les laisser choisir en connaissance de cause est parfaitement compatible avec la pratique du dépistage systématique.
Restent les coûts. Effectivement, améliorer l'information sur place suppose plus de personnel, plus de temps, finalement plus d'argent. Le jeu en vaudrait-il la chandelle sous cet angle-là? Ce point n'est pas examiné dans le rapport. La question du rapport coût-bénéfice, en revanche, l'est. Elle est même plutôt bien examinée puisque la comparaison est faite avec d'autres interventions pouvant améliorer, ici, la santé des femmes. Pas de problème de justice distributive entre les sexes a priori, donc. Mais pas de conclusion non plus. Le rapport demande si "les ressources consacrées audépistage systématique par mammographie nepourraient être utilisées de façon plus efficace et sauver ainsi plus de femmes. D’autres moyensde prévention, qui revêtent une importance toute particulière dans ce débat, vis-à-vis du cancerdu sein, relèvent du comportement personnel:on citeral’absence de surpoids, le renoncement àla prise d’hormones pendant la ménopause et l’absence de consommation excessive de denréesd’agrément comme l’alcool et le tabac." C'est une difficulté que l'on va certainement recroiser ces prochaines années, ça. Lorsqu'un moyen de prévention coûte quelque chose, il sera toujours meilleur marché de demander aux individus de se comporter de manière plus saine. La question qui se pose ici, vous devez apprendre à vous la poser à chaque fois: demander aux individus de se mieux comporter, est-ce que ça marche dans le cas de figure considéré ? La dernière fois que vous avez demandé, simplement demandé, à quelqu'un de perdre du poids ou d'arrêter de fumer, par exemple, que s'est-il passé?
Au sommaire, un rapport qui a beaucoup de bons points. Certaines critiques ont tiré à côté, d'autres ont été plus justes. Mais ce rapport a aussi des défauts, et ces défauts sont intéressants. Certains sont des problèmes que nous allons certainement recroiser.
Et vous, alors, qu'en pensez-vous?