PAUL MASSON PAR WILLY
L' Encyclopédie des farces et attrapes, sous la direction de Noël Arnaud et François Caradec (Pauvert, 1964) et La Farce et le Sacré, de François Caradec (Casterman, 1977), nous ont fait découvrir le curieux personnage qu'était Paul Masson (1849-1896) dit Lemice-Terrieux, auteur des Propos d'un yoghi publiés dans La Plume, ainsi que de nombreuses mystifications littéraires ou autres. Vers 1890 Masson, ancien magistrat rencontre Willy, les deux hommes étaient fait pour s'entendre. En 1894, paraît dans le numéro du 15 octobre de La Revue Encyclopédique un article de Willy sur la collection d'objets-calembours de Paul Masson. Le 18 avril 1896 un long article sur Lemice-Terrieux, ses différentes mystifications et ses oeuvres (1), paraît dans la même revue sous la signature d'Henry Gauthier-Villars. Dans une interview au journal Le Soir, Paul Masson se défend d'être le responsable de toutes les mystifications que lui attribue Willy.
(1) Fantaisie mnémonique du Salon de 1890. Les Trains-Eperons. Projet d´un dispositif aussi commode qu´infaillible pour prévenir tout accident de chemin de fer par collision ou tamponnement (Paris, Imprimerie du Fort Carré, 1891). Réflexions et pensées du général Boulanger, extraites de ses papiers et de sa correspondance intime (1891). Carnet de jeunesse du prince de Bismarck (1893). Masson, ne se contente pas de ses publications et en 1894 pose sa candidature à l’Académie française en même temps qu’au poste de bourreau de la République, il envoie des invitations pour des soirées chez des victimes non prévenues, propose une forte somme d'argent pour l’encouragement des jeunes artistes démentant aussitôt en se présentant comme la victime du canular. La liste des « méfaits » de Paul Masson, réels ou imaginaires serait trop longue, il faut encore y ajouter la possibilité de fausses fiches établies pour le catalogue de la Nationale ou des articles dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux et des notices dans La Grande Encyclopédie Larousse.
Voici deux articles de Willy parus dans Le Rire, le premier dans le numéro 70 du mars 1896, Il ne fait rien comme les autres, où il nous montre un Paul Masson au quotidien, commençant ses repas par la fin (la même anecdote circulera sur Alfred Jarry). Dans le second, Affaiblismes, Willy, c'est un comble, se présente comme le nègre de l'auteur des Propos d'un yoghi.
IL NE FAIT RIEN COMME LES AUTRES
(I) Jacques de Vaucanson 1709-1782, inventeur et mécanicien français. Créateur d'automates, le fluteur automate, le canard digérateur, figurent parmi ses réalisations.Quel original, que mon ami Lemice-Terrieux, plus connu, sous le pseudonyme de Paul Masson, auditeur au Collège de France, auteur de l'Esthétique des peintres aveugles, du Catalogue raisonné des poètes morts de faim et de la fameuse brochure anti-naturaliste, qui fermera les portes de l'Institut au père des Rougon-Macquart, les Zolacismes d'un candidat perpétuel à l'Académie ! Il ne fait rien comme les autres !
Il assiste aux messes de mariages, en noir des pieds à la tête, un crêpe au chapeau, pleure comme un jeune parent du Boeuf gras, et, à l'issue de la cérémonie, supplie les nouveaux époux, avec des serrements de mains émus, d'agréer l'expression de ses sincères condoléances. Aux enterrements, il s'illustre de vestons aux nuances printanières, « cuisse de président ému » ou « gorge de demi-vierge surprise », d'une adorable fantaisie ; une fleur à la boutonnière, l'air radieux d'un épicier promu officier d'académie, il risque des mots plaisants, sourit au Dies irae, se tord pendant l'absoute, et va congratuler ensuite chaleureusement les parents du défunt. Au théâtre ou au restaurant, il s'affuble d'une livrée de larbin,afin, dit-il, de n'être pas confondu avec les employés du contrôle ou les maîtres d'hôtel, qui sont en habit – ce pourquoi il les appelle des fractotum. - il ne fait rien comme les autres !
S'il se repaît solitairement, au banquet de Laveur, infortuné convive, aucune considération ne saurait l'empêcher d'inaugurer la réfection de son étrange estomac par une copieuse « rincette », suivie du « pousse-café », après lequel viennent, dans l'ordre, le café, les légumes et les pommes sautées au bifteck (sic). Il clôture ce festin par un jolie potage au vermicelle ; alors, satisfait, il s'accorde une absinthe, qu'il confectionne à l'aide d'un compte-goutte et avec de l'eau très chaude. - Il ne fait rien comme les autres !
S'il dîne en ville, Paul Masson terrorise ses hôtes par mille inconvenances inédites. Lui fait-on observer qu'il prend le pain de son voisin de droite et boit le vin de son voisin de gauche ? Il se confond en excuses et, pour réparer ses torts, engloutit le pain du voisin de gauche et vide d'un trait le verre du voisin de droite. Si, par imprudence, on l'a placé auprès d'une dame un peu maigre, il demande à opérer des fouilles dans le corsage de celle-ci, certain, affirme-t-il, d'y trouver deux salières. A la fin du repas, quand on apporte les rince-bouche, il interpelle les domestiques et réclame du savon avec insistance. - Il ne fait rien comme les autres !
Dans la rue, Paul Masson à jeun affecte volontiers les allures d'un homme ivre ; mais si, d'aventure, il est réellement éméché, il marche avec la rigidité vaucansonnière (I) d'un automate. Bien entendu, il sort sans plus de manteau que le pudibond Joseph par des temps froids comme le jeu de M. Dupont-Vernon (II), se couvre d'une épaisse pelisse par une température aussi chaude que la patronne du Cochon Bleu (un établissement que je recommande à tous les pères de famille : éducation anglaise, sévérité, discrétion), s'arme d'une canne s'il pleut à verse et porte un parapluie grand ouvert si le ciel est d'une pureté à rendre des points au fond du coeur de M. Ricard (III). - Il ne fait rien comme les autres !...
J'étais depuis quelques temps sans nouvelles de ce doux maniaque, quand je rencontrai, hier, un de nos amis communs, Emile Straus.
- Que devient Paul Masson ? Demandai-je. Continue-t-il à ne rien faire comme les autres ?
- Paul Masson ? Plus fou que jamais, mon cher ! Figurez-vous que ce toqué, maintenant, paye les notes de son tailleur !WILLY
(II) Dupont Vernon, Professeur au Conservatoire, est l'auteur de livres sur la diction.
(III) S'agit-il d'Auguste Ricard, du félibre rouge Louis-Xavier de Ricard ou de Jules Ricard le mari de Mme Bulteau ?
AFFAIBLISMES
WILLY- Bien que tu aies l'esprit aussi pointu qu'une oreille d'âne, me dit Paul Masson, souriant lemitérieusement (telle la noix entre les deux branches d'un casse-noisettes), je t'aime, oui, je t'aime comme un défaut. Et, pour m'en remercier, tu vas me rédiger quelques pensées que me demande un directeur de journal, bête à manger tout le foin qu'il a dans les bottes ; je suis trop las pour opérer moi-même.
J'acquiesçai, et je confectionnai ce qui suit, aphorismes ? Non, affaiblismes plutôt. D'ailleurs, jugez :- Beaucoup de personnes se figurent avoir l'esprit juste parce qu'elles ont le coeur droit. C'est comme une rosière qui voudrait concourir pour le prix Gobert.
- Je frissonne à la pensée de ce que devait être la confession d'une sourde-muette avant l'abbé de l'Epée.
- Pour les personnes raisonnables, l'amour ne doit être qu'un accident ; je n'ai pas dit : secondaire.
- Ce n'est pas le plan d'une éducation qui m'inquiète, mais le devis.
- Les Français n'ont jamais mieux révélé leur caractère difficile que lorsqu'il ont montré qu'ils ne pouvaient supporter « le bon roi dit veto ».
- Ces jours-ci, j'ai mangé d'un boeuf dont les moeurs étaient si dépravées qu'il avait un goût de cochon.
- Toutes choses égales d'ailleurs, mieux vaut encore coucher sur la cousine que sous la tente.
- Il faut être tout entier à ce qu'on fait, comme disait le chef des eunuques.
Le yoghi lisait par-dessus mon épaule.
« C'est assez, commanda-t'il, tu emploies des expressions à faire roter des chevaux de bois. » Il relut ma copie, en redressa la syntaxe un peu torte, signa Paul Masson et, après m'avoir promis un dédommagement, disparut, silencieux comme un chat dans une literie.Son dédommagement, il ne me fit pas longtemps attendre. Pour me remercier de lui avoir buriné de la bonne copie qu'il signait de son nom, il signa du mien un télégramme incandescent par lui adressé à je ne sais plus quelle actrice mûre ; le mari d'icelle, affolé mais nigaud, déposa une plainte ès mains du commissaire de police – Touny soit qui mal y pense ; voilà une histoire qu'on me sortira toutes les fois que je me présenterai à la députation !
Je n'ai rien dit, mais, entre nous, je suis plus froissé des procédés massoniques qu'une chemise de noces.