En cette veille de commémoration du 54ème anniversaire du tremblement de terre d'Agadir, je tenais à remettre sur la sellette ce magnifique témoignage de Mr Albert OHAYON, qui retrace une terrible partie de l'histoire de ma ville natale et qui nous a tous touché au plus profond de nous même en nous emportant des êtres chers, familles, amis, voisins, inconnus, plus de 10 000 personnes. Paix à leur âme.
Georges SEBAT
Photos Agadir au lendemain du Séisme de Février 1960 (http://www.communautejuiveagadir.com)
Le témoignage de Albert Ohayon
Je m'appelle Albert Ohayon, à l'âge de 11 ans et demi le séisme frappe ma petite ville. Mes parents tenaient un bain maure, une petite synagogue et des appartements qu'ils louaient, tout cela faisait partie de ma maison a Talborjt. Notre maison se trouvait au numéro 17 rue Marrakchi au Talborjt, juste en face de la Kasbah d'où on avait la vue de Founty et du port. J'étudiais à l'Alliance Israélite d'Agadir. Mon père travaillait à la SATAS ( société anonyme des transports automobiles du Souss). Le récit que je vous envoie fait partie du livre sur ma vie avant et après le tremblement de terre.
Soudainement, le 29 février 1960 vers minuit, la terre commence à trembler. Je suis dans mon lit et je rêve que le jour d'après je vais à la pêche. D'un coup j'aperçois que les tapis qui étaient accrochés sur les murs me tombent dessus et je vois des grosses pierres tomber dans ma direction, puis un bruit de tonnerre qui ne s'arrête pas. La terre continue a trembler et le grondement ne cesse pas. Je me demande si je rêve encore, mais lorsque je rêvais je me préparais pour la pêche, maintenant ce sont les murs de ma chambre qui tombent. Le plafond est déjà parti parce que je commence à voir de la poussière et plus tard les étoiles. Le ciel d'Agadir était toujours bleu de journée et très noir de nuit.
D'un seul coup tout s'arrête, pas un bruit, rien ne bouge. Je me trouve coincé entre le tapis et les grosses pierres, je n'arrive pas à bouger. Je sens que j'ai reçu des coups sur le visage mais je ne les ai pas senti pendant le grondement. Peut-être que je pensais que ce était qu'un rêve et dans les rêves on ne sent pas la douleur. Par contre je sentais la grande peur de me réveiller et de voir que je ne rêvais plus. Toujours coincé, j'essaie de bouger mes mains, mes pieds, ma tête. J'essaye de parler, mais je n'arrive pas. Il y a trop de poussière et ma gorge est sèche.
Je commence à appeler mon père et ma mère, mais c'est ma petite soeur Thérèse qui me répond. Elle me dit qu'elle aussi est coincée et ne peut pas bouger. Pendant longtemps on attend et finalement mes parents arrivent et commencent à nous parler. Jusqu'à présent, je n'avais aucune idée que ma petite ville venait d'être entièrement détruite. Mes parents, je les entendais, mais j'étais loin sous les décombres. Je leur dis que j'avais des bougies pas loin de moi, mais que je ne pouvais pas bouger. Ma mère commence à me dire que tout le monde est vivant dans la maison, sauf Maurice, mon frère qui était allé voir un film de Gozilla en Ville Nouvelle. Lui on ne sait pas se qui lui est arrivé. Sylvia, elle, se lève de son lit sans égratignure. Rosa était un peu coincée, mais vite libérée. Jacques, lui était dans une chambre d'où il a pu s'échapper sans dommages.
Finalement, mes parents avec l'aide de quelques voisins réussirent à nous sortir des décombres. Il faisait encore nuit et après le long silence qui suivait le tremblement, maintenant c'était le grand chaos, les cris de gens qui souffraient sous les immeubles effondrés, les feux qui brûlaient. Les gens qui courraient dans la rue en cherchant les leurs. On s'était réuni au bord du ravin en face de chez nous. On demandait à tous les passants s'ils n'avaient pas vu notre frère Maurice. Personne ne l'avait vu. Comme j'étais bien placé, je ne reconnaissais plus la rue Marrakchi, notre maison qui avait 2 étages ne ressemblait maintenant qu'à un tas de pierres, il n'y avait plus ce grand portail à côté où il y avait le Garage de Paris, plus loin à droite un immeuble de trois étages où habitaient nos voisins les Tardis, rien ne restait de l'immeuble. A gauche où habitaient les Liamani , rien ne restait.
Au fur et à mesure que le jour se levait, on commençait à voir la dévastation de notre petit quartier du Talborjt, rien ne tenait debout, tout était écroulé. Les gens commençaient à retirer les survivants et les morts commençaient à être mis dehors, des fois couverts des fois sans rien du tout. Jusqu'à ce jour-là, je n'avais encore jamais vu une personne morte. Je ne comprenais pas pourquoi cela était arrivé et si on était les seuls sur la terre entière où le tremblement avait fait ce ravage. Je m'étais dit que peut être c'était la fin du monde et qu'on n'était pas les seuls avec ce malheur. On avait décidé d'aller voir si nos voisins et cousins étaient encore en vie. Toute la famille de notre voisin Liamani était morte, sauf le mari qui ne faisait que prononcer des mots coraniques, "Achadou Lilah, Mohamed Rassou Lilah". Il pleurait comme un enfant. Dans ces moments horribles, on ne peut rien faire.
Il y a juste quelques heures toute la ville dormait tranquillement et d'un coup tout est bouleversé. Pour certain, c'était la mort, pour d'autre un chemin très long à remonter. Je me posais la question , pourquoi Agadir et pas une autre ville dans un pays très lointain? Qu'est-ce qu'on avait fait pour mériter ce sort? Je me souviens que des marins français étaient venus retirer les gens des décombres, mais il y avait tellement de gens a sauver qu'ils ne pouvaient pas tout faire. Il fallait des grosses machines pour essayer de bouger ces tonnes et tonnes de débris. Quelle catastrophe! Avec mes parents, on continuait a essayer de retrouver la rue où mes cousins habitaient.
La Grand-mère Freha, la petite cousine Thérèse et ma tante Blida étaient mortes. Albert, le petit cousin qu'on appelle Tito, avait reçu des pierres sur son crâne et on le croyait mort. On l'a tout de suite envoyé a Casablanca avec son frère Baba, qui avait reçu de graves blessures sur ses reins. Baba a succombé, mais Albert a survécu. Haim, leur frère, était au cinéma avec mon frère Maurice et notre autre cousin Maurice Abitbol, on ne connaissait pas encore leur sort Chez mes autres cousins, les Abitbol, une famille de huit personnes, un seul a survécu: Maurice qui a eu la chance d'aller au cinéma cette nuit-là... De mes copains, ils sont tous morts à part quelques uns qui eux ont perdu leur famille entière. La situation devenait intolérable, plus le temps passait plus l'agonie montait. Les gens désespéraient. Ceux qui étaient encore ensevelis n'avaient pas de chance de s'en sortir vivants. Je passais devant le cinéma Rex de Talborjt et là je reconnais un vendeur de bonbons avec pas loin son étalage, avec des bonbons partout, il y avait même des paquets intacts de cacahouètes trempées au sucre. Le café Rex était fréquenté par les joueurs de poker et comme c'était le mois du Ramadan, il y avait une centaine de personnes ensevelies sous le bâtiment. Plus loin dans la même rue, je passais devant un bijoutier et dans la vitrine, il y avait encore des bijoux. Plus tard j'ai appris que des voleurs étaient venus voler les gens. J'ai même entendu que certains voleurs coupaient les doigts des gens pour leur enlever leurs bijoux. Apparemment l'armée a commencé à leur tirer dessus.
Dans tout ce chaos, on se met à marcher vers l'aéroport, qui était l'endroit où les vivres devaient arriver et comme c'était la plaine, il y avait moins de danger en cas d'un autre tremblement. Car la terre continuera à trembler de temps à autre, ce qui rendait la situation encore plus dangereuse. Je me souviens qu'on portait un petit garçon enveloppé dans un drap. Il était mort, et ses parents attendaient le moment pour l'enterrer. Je dormais a quelques mètres de lui et j'étais tenté de voir qui était ce pauvre petit gars.
Soudainement, mon frère Maurice apparaît, il nous dit :" j'ai pensé que vous étiez tous morts, après avoir vu l'état de notre maison". On devait être la seule famille qui n'avait pas perdu un seul des siens. Mais la perte de tous nos cousins et nos amis nous avait beaucoup frappé. Le jour après la catastrophe, il n'y avait rien a faire que de rester ensemble et écouter ce que nos parents allaient faire pour nous. Je ne me souviens même pas si il y avait à manger. De toute façon, on oublie la faim, le froid, la chaleur, et les blessures; on essaye de comprendre l'amplitude de ce qu'on vit. Il n'y a vraiment rien à comprendre. On ne sait même pas ce qui se passe autour de nous Une chose était certaine, c'est qu'il y avait des avions qui atterrissaient et décollaient pendant toute la semaine pour apporter de l'aide et des vivres, des médicaments et rapatrier les blessés.
Je ne m'attendais pas à ce bouleversement de ma vie. C'est une chose, si je faisais partie des morts, mais non, il va falloir se refaire sa vie.
Personne ne savait encore combien de personnes étaient mortes. Certains disaient 10.000, d'autres 15.000, mais en fin de compte personne ne saura jamais. J'apprendrai plus tard que sur 800 jeunes juifs qui étudiaient a notre Yeshivah (école hébraïque), seulement une douzaine d'eux survivront, ils seront tous enterrés dans une fosse commune dans le cimetière juif à Yahchach. Tous les quartiers avaient été touchés, Talborjt et Yachach étaient l'épicentre. La Kasbah, Founti et Anza eux étaient rasés parce qu'ils étaient construits sur les collines, tout avait dégringolé: maisons sur maisons, on ne reconnaissait plus rien. La ville nouvelle était touchée, mais comme les structures étaient mieux bâties, il y eut moins de dégâts, sauf pour les immeubles de plus de 3 étages. Il y a en avait un de 7 étages qui était effondré comme si un géant était assis sur le toit et l'aplatissait comme une galette de Pâques. Plus loin, le quartier industriel n'avait pas eu beaucoup de dommages. Plus on s'éloignait de l'épicentre, moins les dommages étaient importants. Les écoles n'avaient pas eu de dégâts, mais comme le tremblement s'est passé a minuit, tous les étudiants étaient chez eux. Si cela était arrivé a midi, il y aurait eu des milliers d'écoliers vivants.
Le roi du Maroc, Mohamed V et ses fils, D. les bénisse, sont venus tout de suite voir ce séisme pour nous réconforter et nous assurer que la ville serait reconstruite. Tout cela c'était bien, mais pour l'instant, on ne savait que faire. Il fallait à tout prix retrouver un sens à la nouvelle vie. Où aller? Quoi faire? Et l'école? Les leçons d'hébreux? Et Mohamed, notre employé, où est -il?
Personne ne s'attendait a cette calamité, donc personne n'avait rien prévu. C'était une situation grave, et dans ma petite tête, je ne voyais pas comment les choses allaient se dérouler. Combien de temps va-t-il falloir pour se retrouver dans un chez soi? Reconstruire toute une ville, combien de temps cela va prendre, et combien de temps pour construire une école ? Oui, on peut tout reconstruire mais mes cousins qui sont morts, comment les revoir? Est-ce que on aura au moins une de leurs photos? Je ne pensais pas à quoi tout cela aboutirait, des milliers de questions passaient par ma tête. J'écoutais les grands parler, j'essayais de voir le moment où on allait tous être regroupés, pour enfin aller quelque part et faire semblant de se refaire une vie. D'un côté, c'était une grande occasion pour ne pas être à école, mais je savais au fond de moi-même que ce sujet allait me passer par la tête. J'aurais préfèré être en cours d'hébreux à réciter mes cours tous les jours au lieu d'être dans cette situation sans issue. Pendant très longtemps dans ma vie je me poserai la même question : S'il n'y avait pas eu de tremblement de terre à Agadir, quel aurait été mon destin ? Et le destins de tant d'autres Gadiris? J'apprendrai au fur et a mesure, qu'on ne choisit pas son destin, que c'est écrit, et qu'il faut s'adapter à ce que nous réserve la vie.
Je serai toujours reconnaissant aux jeunes soldats marocains et aux marins français qui ont tellement contribué à aider tous les gens d'Agadir.
Albert Ohayon
http://www.agadir1960.com/temoignage010.html