d'après LE VOLEUR de Guy de Maupassant
Ce soir-là,
Après un diner chez Claude Servat,
Nous restâmes seulement trois :
Le Poittevin, notre hôte et moi.
Nous étions gris.
Étendus sur des tapis,
Nous discourions
Quand soudain Servat
Se leva
Et décrocha de sa collection
Une tenue de hussard. Il s’en revêtit.
Après quoi, il contraignit
Le Poittevin à se costumer en grenadier
Et, moi, il me déguisa en cuirassier.
Tout à coup, Le Poittevin nous fit taire :
-« On a marché dans le belvédère. »
Servat s’écria :
-« Au voleur ! » Et il entonna :
Aux armes citoyens !
Puis il nous équipa un à un.
Pour moi, un sabre et un mousquet.
Pour Le Poittevin, un pistolet
Servat saisit une sorte de pétoire.
On ouvrit la porte du belvédère.
L’armée entra sur le territoire.
-« Tenons un conseil de guerre ! »
Dit Servat qui se nomma général
Et ordonna : -« Toi, les cuirassiers,
Tu vas couper la retraite à cet animal.
Toi, le grenadier,
Tu seras mon ordonnance. »
Le gros des troupes opéra une reconnaissance.
On fouilla un peu, sans voir l’ennemi.
Puis Servat regarda sous le lit.
Moi, j’ouvris l’armoire et reculai stupéfait :
Un homme me dévisageait.
Je refermai la porte aussitôt
Et la verrouillai à double tour de clé.
L’on tint conseil de nouveau :
Servat voulait tenir le voleur enfermé.
Le Poittevin parlait de l’affamer.
Je proposai de l’embrocher.
Servat dit : -« Je voudrais le voir. »
On ouvrit les deux battants de l’armoire.
Ce fut une bousculade effroyable,
Une lutte invraisemblable.
Il s’agissait d’un vieux bandit
À cheveux gris,
Sordide et déguenillé.
Nous lui avons lié les mains, les pieds
Et nous l’avons assis sur une chaise.
Servat, tout pénétré d’ivresse,
Se tourna vers nous :
-« Nous allons le juger, voulez-vous ? »
Nous étions si gris que cette proposition
Nous parut d’importance.
Le Poittevin présentait la défense
Et moi, je soutenais l’accusation.
L’homme fut condamné à mort à l’unanimité.
Nous allions l’exécuter
Quand un scrupule se fit jour :
On ne meurt pas sans les secours de la religion.
Il fallait un prêtre et sa divine onction
J’objectais : -« Il est deux heures du matin. »
-« Alors qu’il se confesse à Le Poittevin ! »
L’homme roulait des yeux épouvantés :
-« Vous plaisantez ! »
De force, Servat
L’agenouilla.
Et simulant un baptême, il lui versa
Sur la tête
Un gobelet de sainte anisette :
-« Maintenant, confesse tes péchés ! »
S’époumonant, le vieux gredin hurlait :
-« Au secours ! Au secours ! »
Afin de ne pas réveiller
La ville et la cour
On dut le bâillonner.
Il se tordait, ruait.
Servat criait :
-« Qu’allons-nous en faire, à la fin ! »
-« Avons-nous le droit de tuer ce bandit ? »
Demanda Le Poittevin.
Servat répondit
Gravement
Et plein de stupéfaction
(Mais pas seulement) :
-« Oui, nous avons prononcé sa condamnation ! »
Mais l’autre le reprit : -« On ne fusille
Pas les civils. »
-« Alors, il est bon pour le supplice.
On va le conduire au poste de police. »
Le vieux fut donc emmené au commissariat;
Mais là, nos farces étaient bien connues,
L’inspecteur refusa de garder le paria.
Et nous voilà repartis avec le détenu.
Arrivés à notre garnison,
On dénoua ses liens.
On retira son bâillon :
-« Laissez-moi partir, nom d’un chien ! »
On lui offrit un verre de rhum
Et nous trinquâmes avec le bonhomme.
Comme le jour allait paraître
Cette canaille d’être
Se leva et dit d’un ton sentencieux :
-« Pardonnez-moi,
Mais il serait judicieux
Maintenant que je rentre chez moi.
Sachez que c’est à regret
Que je vais quitter votre aimable compagnie. »
Nous nous sentîmes frustrés.
On voulut le retenir. Mais nenni,
Il refusa. On lui serra la main
Et dans un ultime geste humain,
Je lui criais : -« Sous la porte cochère,
Le pavé est glissant. Méfiez-vous, mon cher ! »