"Notre ennemi..."
Vendredi 7 février, les Echos publiaient une interview glaçante d'un "Gouverneur", non pas d'une prison, mais de la Banque de France. Il s'appelle Christian Noyer. L'homme empile, sur une pleine page du quotidien économique, suffisamment de poncifs et d'arguments néolibéraux pour nous convaincre: oui, notre ennemi, c'est la finance. Et Christian Noyer l'incarne farouchement bien.
"Le pacte de responsabilité est un pas dans la bonne direction, mais il en faudra d'autres". Christian Noyer s'oppose aussi à toute nouvelle taxe sur les transactions financières. Il dénonce les "rigidités" françaises, les "contraintes réglementaires et bureaucratiques". Des fonctionnaires, "il faut évidemment réamorcer la baisse des effectifs." On mesure l'ampleur du cynisme quand il évoque l'Espagne: " en Espagne, le marché du travail était très rigide, de même que le mécanisme d’indexation des salaires. On voit aujourd’hui un redressement rapide des exportations." L'interview est une caricature. Ses propos sont une caricature.
On regrette la privatisation de la banque centrale en 1992. Christian Noyer mérite son licenciement. Il voudrait un rejet franc et massif de l'Europe aux prochaines élections européennes qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Les Echos servent les "bonnes" questions, sans rebond ni critique: les 50 milliards d'économies sont bien la contrepartie d'une indulgence de la Commission. "Les réformes structurelles qui sont en train d’être élaborées et mises en œuvre en France sont déjà la contrepartie du délai de deux ans accordé par la Commission et nos partenaires." Où est le rapport de forces ? Nulle part. Noyer est le messager d'une grande imposture, l'Europe démocratique.
Christian Noyer, qui donne des leçons de "bonne gestion" à Hollande, a l'écoute de Pierre Moscovici. On imagine même que notre ministre des finances ira jusqu'à minimiser l'incident. Ces propos de ce haut fonctionnaire français sont un pire qu'un "incident", plutôt une insulte à la démocratie. Ils incarnent bien l'adversaire du moment.
Défiance sociale
En France, ce pays que Noyer a peut-être oublié, le nombre de faillites s'est "à peine" stabilisé - 62.252 en 2013, soit 1,7% de plus que l'année d'avant.
Bercy confirme quelques premiers résultats du quinquennat Hollande: le déficit budgétaire a baissé. Il s'affiche à 75 milliards d'euros en 2013, 12 de moins que l'année précédente. Contrairement à l'argument libéral en vogue à droite et parfois à gauche, les recettes fiscales n'ont pas chuté. Elles sont simplement moins importantes que prévu initialement. Elles ont cru de 16 milliards d'euros.
Le déficit commercial s'est, lui aussi, réduit l'an passé, à 61 milliards. C'est une fausse bonne nouvelle. La consommation, et donc les importations, se sont tassées. La croissance revient "un peu". On scrute les baromètres de confiance en tous genres.
Vendredi 7 février, François Hollande débarque à l'improviste chez l'un de ces sites de braderie "hype" du commerce en ligne, "ventesprivées.com". Il en profite pour fustiger "l'optimisation fiscale" de quelques géants du Net. On murmure que Google aurait été condamné à un redressement de un milliard d'euros. Yahoo annonce le regroupement de ses activités... en Irlande.
Qui peut avoir confiance ?
Défiance à gauche
Les sondages sont encore plus exécrables. Entre 19 et 23% de popularité, Hollande décroche aussi à gauche. Il ne lui reste qu'un (petit) socle de sympathisants socialistes, à en croire les sondeurs.
Où est le signe fort qui réconciliera la gauche ?
Le droit de vote des étrangers ? Il faudrait que la gauche gagne au moins 33 sénateurs au prochain scrutin de septembre. Un score loin d'être assuré si le PS subit la déroute qu'on lui promet aux prochaines municipales.
Un bel élan social ? Ecoutez donc Noyer, relisez Mosco, enterrez vos ambitions.
Jeudi soir, Manuel Valls fait la star sur France 2 ("De gauche, profondément. Républicain, absolument. Patriote, de plus en plus. Européen, à condition de changer l'Europe"). En coulisses, Ayrault cherche à lui retirer la gestion des questions d'intégration, pour les confier à un nouvel organisme public. Mediapart publie la feuille de route de Matignon.
Pour ce 6 février, anniversaire d'un autre 6 février quatre-vingt ans plus tôt où des factieux fascistes tentèrent le coup de force contre la République, le service public invite le jeune énarque et frontiste Philipot. Manuel Valls tacle comme il faut. Mais le ministre est mal. Lundi, 5 jours plus tôt, il a annoncé le retrait d'une réforme attendue qui ne le concernait pas, la légalisation de la protection médicale assistée (PMA) pour les couples homosexuels. Il en annonce l'abandon au micro de RTL, quelques heures après les deux manifestations réussies des anti-mariage gay de la manif pour tous. En fin de journée, Jean-Marc Ayrault, qu'on avait finit par oublier, supprime purement et simplement la loi famille de Dominique Bertinotti de l'agenda officiel de l'année. Officiellement, le projet n'est pas "prêt".
La petite France réac a eu raison du projet. Mardi matin, François Hollande appelle directement sa ministre Bertinotti pour la réconforter. A gauche, la lassitude guette. L'énervement est palpable, la déception unanime.
La "gauche de la gauche" s'indigne si fort qu'on regrette son absence de mobilisation quand il fallait défendre le projet.
Défiance à droite
La droite est à peine mieux lotie. Triangulée par Hollande sur le terrain économique, débordée par la "Tea-partisation" d'une frange de son électorat le plus actif, grignotée sur son extrême par le souverainisme xénophobe du Front national, l'UMP se cherche sans se trouver. Le retour de Sarkozy a aussi éteint les ambitions individuelles. L'ancien monarque est à nouveau partout, inchangé.
Sur les réseaux sociaux, la réacosphère est suragitée.
Comme chaque semaine, les affaires nauséabondes de l'ancien quinquennat refont brièvement surface. Il y a d'abord François Pérol, l'ancien secrétaire général adjoint de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, propulsé par son chef à la tête des Caisses d'Epargnes et Banques Populaires qu'il fusionna. Sarkozy avait fait fi des règles de déontologie les plus évidentes. Jeudi 6 février, François Pérol est mis en examen pour prise illégale d'intérêt. Son conseil de surveillance, qui représente les actionnaires, lui écrit renouvelle aussitôt sa confiance... à l'unanimité.
Bienvenue en France. La "confiance" de cet entre-soi alimente la défiance du plus grand nombre.
Nicolas Sarkozy lui-même pourrait passer en Cour de Justice de la République, mais pour une autre affaire. On attend la suite. Olivier Morice, avocat des familles des victimes de l'attentat de Karachi, a affirmé ce vendredi que les juges en charge du volet financier de l’affaire avaient "suggéré" cette saisine.
"Il apparaît cependant au vu des éléments recueillis par l’information qu’il appartient à la CJR d’entendre Nicolas Sarkozy comme témoin assisté, en qualité de ministre du Budget" (source).Marine Le Pen rôde. Lundi soir, elle raconte n'importe quoi sur la première banque française, lors d'une émission télévisée. Ses propos irresponsables sont démentis le lendemain. Mediapart lâche un joli scoop: la justice enquête sur un étonnant bond de la fortune de l'euro-député Le Pen (le père), entre 2004 et 2009.
Vendredi, une quarantaine de chefs d'Etat se pressaient à Sotchi, en Russie. Un site inattendu où l'autocratie locale a dépensé une grosse quarantaine de milliards de dollars pour installer des Jeux Olympiques d'Hiver dans un endroit sans neige. François Hollande préférait la Tunisie, qui venait de se doter d'une constitution laïque. Le symbole, cette fois-ci au moins, était fort. Les Tunisiens, eux, semblent avoir confiance dans leur avenir.
Le soir même, Hollande déboule à l'improviste (encore!) dans un match d'improvisation théâtrale à Trappes.
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« Un financier, ça n’a jamais de remords. Même pas de regrets. Tout simplement la pétoche. » Michel Audiard (via Bastamag)