Vieillissement et habitat : les acteurs grenoblois réunis autour d’une table ronde

Par Elementesque

J’étais hier à une table ronde intitulée « Vieillissement et habitat : Un habitat / logement adapté à chaque âge » autour d’une problématique globale « Comprendre – Décider – Changer ».

Cette table ronde, qui s’est déroulée dans l’amphithéâtre Orange Labs à Meylan près de Grenoble était organisée conjointement par l’AUEG et le TASDA, et notamment par Véronique Chirié, directrice de la structure TASDA, que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer au dernier salon HANDICA à Lyon. Le TASDA est un carrefour des initiatives en faveur du maintien à domicile et en bonne santé et a un rôle fédérateur des actions dans la région grenobloise.

Cette table ronde fut extrêmement dense : pas moins d’une quinzaine d’intervenants de profils très divers. Difficile pour moi de vous faire un retour complet, surtout que toutes les interventions étaient de qualité. J’ai fait un résumé des quatre moments qui m’ont le plus marqué.

Catherine Gucher – sociologue (UMR PACTE à Grenoble)

Madame Gucher est intervenue sur la façon dont les personnes âgées perçoivent l’adaptabilité de leur logement. En tant qu’architecte d’intérieur, je dois dire que j’ai souvent envisagé l’adaptation du point de vue fonctionnel : si l’on veille à ce qu’un logement soit fonctionnel et idéalement agencé, selon les besoins et les goûts de la personne âgée, celle-ci verra sa vie améliorée et pourra se projeter dans l’avenir dans une attitude positive. Mais les personnes âgées se focalisent davantage sur l’affectif, qui prend le pas sur les aspects fonctionnels et réfléchis.

D’après Catherine Gucher, loin de voir l’aspect positif d’une vie facilitée par des aides techniques (remplacement d’une baignoire par une douche, ajout de barres de maintien), la personne âgée va, lors de l’adaptation de son logement :

  • se sentir stigmatisée d’une part, car son handicap, sa vieillesse, vont devenir visibles. La personne âgée prend conscience de son « état » et le fait d’adapter le logement peut être vécu comme un choc violent; j’avoue que cela m’a surpris car maintenant on voit tellement d’équipements que cela me paraissait faire partie de la vie.
  • se projeter dans l’avenir, et ainsi se confronter à sa « finitude ».

En outre, comme l’a indiqué Madame Gucher, « il n’y a pas un vieillissement, mais des vieillissements » : Il n’y a pas UNE manière de composer avec les changements et les épreuves de la vieillesse. Le changement peut être mal vécu, mais il ne l’est pas de la même manière en fonction de chacun. Cela est étroitement lié à la définition de l’habitat, du « chez soi ». Par exemple, si pour certaines personnes le « chez soi » est limité à leur maison qu’ils n’envisageront jamais de quitter, même inadaptée, d’autres ne seront pas déstabilisées en changeant de logement, du moment qu’ils restent dans le même quartier. Le domicile est ainsi un lieu physique, mais aussi historique, patrimonial, culturel et affectif. Et surtout on ne peut pas accompagner toutes les personnes âgées selon un même schéma, l’adaptation n’est donc pas que dans le logement, elle est tout autant dans la façon d’accompagner la personne dans son vieillissement.

Catherine Gucher a également expliqué le besoin d’autonomie dans la dépendance. Pour éviter le phénomène de déprise, c’est-à-dire d’une forme de « lâcher-prise », la personne âgée doit sentir qu’elle a le droit de choisir pour elle-même, pour éviter qu’elle ne se repose sur les décisions des autres, et également permettre une forme de continuité dans sa vie.

Marie-Laure Gavard-Perret – chercheur en marketing (IAE de Grenoble)

 A priori, on pourrait se demander pourquoi on fait intervenir un chercheur en marketing dans une table ronde sur l’habitat et la vieillesse… Et pourtant cette présentation a été l’une des plus intéressantes de l’après-midi, car Madame Gavard-Perret a orienté son discours autour de la manière de communiquer avec les seniors, et de la façon de les inciter à prendre des mesures suffisamment tôt, tant que tout va bien.

Il faut bien comprendre que les personnes âgées sont un public très spécifique, qui a ses propres codes, et une vision du monde qui évolue avec leur avancée en âge.

43% des plus de 50 ans estiment ne pas comprendre les spots publicitaires à la télévision.

 Cette vision du monde s’explique par des pertes sensorielles (difficulté à distinguer des typographies, difficulté à comprendre un message composé de plusieurs stimuli sonores…) et par des changements cognitifs (déficit d’attention, difficulté à comprendre des données chiffrées…).

Ces bouleversements entraînent des changements d’attitude : les personnes âgées ont tendance à éviter la prise de décision, à les repousser, voire à la les déléguer ce qui comme ont l’a vu plus haut peut s’avérer néfaste. Cela se manifeste également par le fait que ces seniors recherchent moins d’informations avant de prendre des décisions.

Plus les personnes vieillissent, et plus elles ont une tendance à la nostalgie et un intérêt grandissant pour les sentiments (et diminuant pour l’information). Elles se focalisent également davantage sur les informations positives que sur les informations négatives!

Sur la façon de communiquer avec les seniors

Madame Gavard-Perret nous a donné des pistes sur la façon de faire passer des messages qui vont dans le sens du bien-être des personnes âgées

  • Focaliser le message sur les gains, et non sur les pertes : par exemple, « en changeant votre alimentation vous allez vivre plus longtemps » plutôt que « si vous ne le faites pas, voilà ce qui va vous arriver… »
  • Eviter les idées abstraites, favoriser les représentations concrètes et visuelles; répondre au « comment? » plutôt qu’au « pourquoi? »
  • Communiquer pendant des plages horaires en matinée car c’est à ce moment que la personne sera la plus réceptive, notamment aux idées abstraites
  • Focaliser sur des visées émotionnelles plutôt que sur le rationnel (mais ce n’est pas à mon avis le propre des personnes âgées); faire des choix esthétiques « nostalgiques », qui évoquent une époque passée et positive
  • Tenir compte du fait que la personne âgée a besoin de plus de temps pour traiter les informations qu’elle reçoit, l’analyser et prendre une décision (il faut respecter et lui laisser le temps nécessaire)

Simple ne veut pas dire simpliste…

En effet, Madame Gavard-Perret a cité l’exemple de supports de communication destinés aux personnes âgées qui soumettaient les mêmes codes couleurs que ce réservés d’ordinaire à la petite enfance!

Thierry Touzard – Président de la CAPEB Isère

Thierry Touzard est intervenu en tant que représentant de la CAPEB pour évoquer le label Handibat, dont je vous avais déjà parlé dans un précédent article. Si les deux interventions précédentes traitaient surtout de la psychologie de la personne âgée, on est revenus sur les aspects concrets de l’adaptation de l’habitat et de son accessibilité à la personne âgée.

Le label Handibat n’est pas destiné spécifiquement à la personne âgée mais à l’adaptation du logement à toute personne souffrant d’un handicap. Néanmoins, ces problématiques se rejoignent au niveau des lieux de vie, par l’application de normes communes. Le label Handibat est décerné aux entreprises du bâtiment (artisans) qui ont été formées sur la manière d’adapter un logement mais aussi sur la manière d’aborder le projet auprès de la personne souffrant de handicap et de son entourage. Si je regrette que l’intervention de Mr Touzard ne s’étende pas sur les autres acteurs pouvant jouer un rôle semblable, tel que le PACT Isère, Habitat Développement, ou plus généralement les maîtrises d’oeuvre, cette intervention montre que l’accessibilité n’est pas qu’une vue de l’esprit, une chimère, et que même des personnes de terrain se sentent concernées et se préoccupent de ces questions. C’est à mon sens un esprit très positif, car souvent la mise en accessibilité d’un lieu est perçue comme une contrainte.

Pour finir, une vidéo marquante avec des seniors qui revendiquent leur liberté

Pour finir, nous avons pu également visualiser un extrait de cette vidéo, très parlante (et réalisée par Leroy Merlin Sources) sur la façon dont les personnes âgées vivent leur habitat au quotidien. La salle a vivement réagi à certaines scènes pour le moins déconcertantes.

Vers la quarante-troisième minute, on voit une personne âgée, atteinte de cataracte et de DMLA (!), et marchant avec une canne, en train de monter sur un escabot pour accéder à l’intérieur de sa baignoire. Elle va devoir faire des travaux chez elle, car à cause de ses problèmes de vue, elle ne peut déménager, elle éprouverait trop de difficultés ) se réadapter ailleurs.

Pour conclure cet article très long (et pourtant très loin de recenser tous les témoignages!), j’ai beaucoup apprécié d’avoir le regard de personnes qui entourent les personnes âgées au quotidien. Je regrette qu’en dehors de Mr Giard, président de l’association Alerte, il n’y ait pas eu de témoignage des seniors eux-mêmes, mais la vidéo Leroy Merlin est très éloquente. Une belle table ronde, j’attends maintenant la prochaine!