Le premier plan montre un homme d’une quarantaine d’années (Christian Bale) en train de se préparer face à un miroir, dans la salle de bains. Il prend le temps d’installer un postiche capillaire, de le fixer, de l’arranger, pour camoufler une calvitie déjà bien visible. C’est notre premier contact avec le personnage principal du film, Irving Rosenfeld, et déjà, il triche. Il camoufle la vérité, se fait passer pour ce qu’il n’est pas…
Normal : le type est un escroc. Et un escroc d’envergure. Sa spécialité : promettre à ses clients la négociation de prêts bancaires d’envergure – qui ne seront jamais accordés – en échange d’une forte commission fixe – toujours encaissée, elle, par le “courtier”.
Du moins, c’est ce qu’il faisait avant de se faire piéger par l’agent du FBI Richie DiMaso (Bradley Cooper), en même temps que sa partenaire et maîtresse, . et sa partenaire, Sydney Prosser (Amy Adams). Le flic leur a laissé le choix : aller illico croupir en prison ou l’aider à monter une opération pour coincer des hommes d’affaires et des politiciens corrompus. Irving et Sydney ont évidemment choisi la deuxième option. Et les voilà obligés de se faire passer pour les conseillers d’un faux-Cheikh Arabe – un Cheikh en blanc, en quelque sorte – pour appâter leurs cibles et les pousser à la faute sous le regard de DiMaso.
Evidemment, l’opération est complexe. Et à plus d’un titre…
Iring et Sydney n’ont pas d’autre choix que de coopérer avec les fédéraux, qui n’ont aucun scrupule à les mettre en première ligne, seuls face au danger. Car les clients qu’ils doivent embobiner sont autrement moins commodes que leurs pigeons habituels. Ils appartiennent à des sphères que le duo évitait soigneusement jusque-là, celles des des financiers corrompus, des avocats véreux, des politiciens cupides et des mafiosi brutaux, peu enclins à se laisser arnaquer sans piper mot…
Ils doivent aussi composer avec Rosalyn (Jennifer Lawrence), l’épouse qu’Irving se traîne comme un boulet. La jeune femme n’est pas du tout impliquée dans la combine, mais elle insiste pour accompagner son mari aux soirées chez Carmine Polito (Jeremy Renner), l’élu que le FBI aimerait faire tomber. Son penchant pour la boisson, doublé d’une propension à beaucoup parler, fait peser une menace sur l’ensemble de l’opération et génère de surcroît des tensions entre Irving et Sydney.
Heureusement, le couple a plus d’un tour dans son sac. Irving et Sydney maîtrisent en effet toutes les techniques d’escroquerie, de bluff et de mystification. Et ils comptent bien employer ces compétences particulières pour tirer leur épingle du jeu…
On aurait aimé que le réalisateur, David O.Russell, soit aussi doué dans l’art de la manipulation, qu’il nous happe dans un récit plein de rebondissements, de trahisons et de tours de passe-passe cinématographiques délicieusement. Hélas, son American bluff suit un cheminement des plus prévisibles. Tout est dans le titre… On sait donc dès le départ qu’il s’agit d’un gigantesque bluff. Et on peut donc aisément deviner tout ce qui va se dérouler au cours d’une intrigue finalement assez simple. Etalée sur plus de deux heures de métrage, on peut trouver ça un peu trop long…
Le problème, ici, vient du choix de s’inspirer d’évènements réels. Les noms des personnages ont été changés, mais il y a bien eu une grande opération menée par le FBI pour établir la corruption de plusieurs politiciens de l’état du New Jersey, pendant les années 1970. Pour réussir ce grand coup de filet, baptisé opération ABSCAM (1), ils ont fait appel à un escroc notoire Melvin Weinberg, qui a inspiré le scénario de American Bluff. En collant au plus près à la vie du personnage et au fil des évènements réels, Russell et son scénariste s’interdisent les artifices qui auraient pu donner du tonus à la narration.
Ici, il manque les circonvolutions narratives qui faisaient tomber les spectateurs de La Prisonnière espagnole ou Engrenages de David Mamet, dans des pièges subtils et manipulateurs. Ou les retournements de situation brillants qui faisaient le prix d’un film comme L’Arnaque.
Le cinéaste connaît pourtant ses classiques sur les bouts des doigts. Il s’inspire par moments du film de George Roy Hill, cherche à imposer un ton entre comédie et thriller à la façon d’Ocean’s eleven, convoque fatalement l’esprit de Scorsese lors de l’irruption des mafiosi dans la combine… Et il s’applique à restituer l’ambiance colorée et disco des années 1970 avec la même application que Quentin Tarantino dans Jackie Brown. Y compris au niveau de la bande-son, belle compilation de morceaux d’époque entrelacés avec la musique originale de Danny Elfman.
Au niveau de la mise en scène, il n’y a rien à redire. Sauf, bien sûr, au niveau de l’originalité. Car à puiser un peu partout pour donner au film un cachet “vintage”, le cinéaste étouffe toute ambition stylistique personnelle. Il se contente de reproduire à l’identique – voire un peu moins bien – des schémas déjà bien rôdés, que le spectateur a déjà vu des dizaines de fois. Et son film, s’il reste un divertissement plutôt “haut de gamme”, parfaitement soigné, donne l’impression désagréable d’arriver un peu après la bataille…
Restent les acteurs, tous très bien choisis.
En parfait caméléon, Christian Bale se glisse dans la peau de cet escroc chauve et bedonnant, tourmenté par les femmes de sa vie. Amy Adams est parfaite en arnaqueuse sexy. Jennifer Lawrence, retrouve avec bonheur le réalisateur qui lui a permis de remporter l’Oscar de la meilleure actrice pour Happiness therapy, et se met en évidence dans le rôle de l’épouse d’Irving, une femme au bord de la crise de nerfs. Bradley Cooper, son partenaire dans le film précité, récupère le rôle de l’agent du FBI chargé de l’opération, type à la fois agaçant par son inébranlable confiance en lui, et touchant par son excentricité – notamment cette façon d’entretenir une chevelure bouclée qui ne lui va pas du tout.
On croise également quelques second-rôles ayant noué des liens avec le cinéaste lors de films précédents, comme Saïd Taghmaoui qui fut l’un de ses Rois du désert en 1999…
Tous se sentent en confiance sous le regard bienveillant de ce cinéaste, au point de s’autoriser à flirter fréquemment avec le cabotinage pur et dur pour donner au film une dimension comique plus affirmée. Et la plupart du temps, cela fonctionne…
C’est peut-être grâce à ces performances excessives que les quatre comédiens principaux ont réussi à s’inscrire dans la course aux Oscars, dans les quatre catégories différentes (meilleur acteur, meilleure actrice, meilleur second rôle masculin et meilleur second rôle féminin)(2). Et que le film et ses auteurs sont également à la lutte pour les précieuses statuettes dans les catégories majeures (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario…) (3).
Pourquoi pas… Mais on espère juste que les membres de l’académie ne pousseront pas l’arnaque jusqu’à primer ce film somme toute assez banal au détriment d’oeuvres plus méritantes, comme Gravity, Le Loup de Wall Street, 12 years a slave et autres Dallas buyers club.
On le répète, American bluff n’est pas un mauvais film, loin de là. C’est un divertissement soigné, tant dans sa mise en scène que sa direction d’acteurs, mais dont le scénario ne tient pas toutes ses promesses. On est loin de la comédie grinçante et du thriller manipulateur attendus. Et la partie la plus intéressante de l’oeuvre – l’implication d’un politicien certes corrompu, mais véritablement dévoué au bien-être de ses administrés – est juste survolée, alors qu’elle aurait pu lui donner une autre dimension, plus forte.
Dommage, car cela nous laisse sur une impression des plus mitigées, entre frustration et déception… Espérons que le cinéaste, fort du succès de ses deux précédents films sur le sol américain, saura se remettre en question pour réaliser des oeuvres plus abouties et plus personnelles.
(1) : Pour Abdul, prénom du Cheikh factice, et Scam, “escroquerie”.
(2) : Christian Bale aurait plus mérité d’être nommé pour son rôle dans Les Brasiers de la colère que dans celui-ci, nettement moins intense, mais bon…
(3) : En tout, dix nominations, en comptant les Oscars techniques (costumes, décors…)
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American bluff
American Hustle
Réalisateur : David O. Russell
Avec : Christian Bale, Amy Adams, Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Jeremy Renner
Origine : Etats-Unis
Genre : arnaque
Durée : 2h18
Date de sortie France : 05/02/2014
Note pour ce film :●●●○○○
Contrepoint critique : Le Parisien
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