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De la matière grasse et de l’eau

Publié le 07 février 2014 par Nicolas Esse @nicolasesse

Oxygène, carbone, hydrogène, azote, calcium, phosphore, 95%. Ensuite, on ajoute une série d’éléments plus ou moins rares qui vont de l’azote au molybdène, on verse dans un Bécher  qu’on présente au-dessus de la flamme du bec Bunsen et on maintient le mélange dans une fourchette de température variant entre 36,1 °C et 37,8 °C.

Après neuf mois de cuisson lente, on obtient un être humain.

Qui peut croire à cette fable qui fait de nous un concentré d’eau et de matière grasse ? D’abord, apprenez que l’eau ne se mélange pas au gras. Faites l’expérience : versez une cuillère à soupe d’huile d’olive dans une tasse de thé à la camomille. Remuez pendant cinq, dix, vingt ou quarante minutes si vous êtes d’un naturel obstiné. Si vous continuer à remuer la cuillère de manière concentrique après plus de quarante minutes, il est urgent de consulter. Cessez donc de remuer, pour l’amour du ciel! Clinc, clinc, clinc, le tintement aigrelet de la cuillère contre la paroi de porcelaine va bientôt me rendre fou.

Voilà, respirons, laissons reposer un peu le mélange et que constatons-nous ? Je chausse mes lunettes et j’observe à la surface de la camomille une fine pellicule d’huile qui toujours pas coulé malgré toute l’étendue de vos transports. Et d’abord, je me demande bien qui a eu l’idée de mettre de l’huile d’olive dans la camomille, et pourquoi pas du gazole, tant qu’on y est ? Je vous laisse goûter, si le cœur vous en dit. Moi, rien que l’odeur me soulève le cœur.

De la camomille à l’huile d’olive, on a pas idée. Berk.

Pour connaître avec précision la composition exacte de l’être humain, il n’existe qu’une seule méthode fiable : prenez le sujet debout. Allongez-le bien à plat sur un matelas moelleux et ferme juste ce qu’il faut. Recouvrez-le d’un léger duvet de plumes recouvert de satin frais. Eteignez la lumière. Fermez la porte et laissez reposer. Après quelques minutes Clothilde a fermé les yeux. Elle se retourne. Se met sur le côté. Cale sa tête sur son oreiller. Sa respiration se ralentit. Clothilde s’endort et Clothilde sourit, elle s’en va, elle s’envole et là, on dispose d’un quart de seconde pour lancer son filet à papillons, un quart de seconde, pas plus, il faut être vif, précis, le geste doit être à la fois ferme et fluide pour arrêter délicatement l’élan de ce corps céleste et translucide; D’ailleurs, pour le filet, on n’utilisera que de la soie : seule la soie est assez délicate pour ne pas couper le fil des rêves.

Une fois Clothilde prise dans nos rets, nous n’aurons que quelques secondes pour prélever une mèche de ses cheveux avant de la laisser reprendre son envol et de retourner à notre laboratoire. Coupons les cheveux en segments de quatre centimètres et déposons-les dans une boîte de Pétri que nous présentons à l’objectif du microscope. Réglons la netteté et la profondeur de champ. Agrandissons dix-mille fois. Que voyons-nous ? De la poussière, on dirait. Agrandissons cent- mille fois. Des grains de poussière. Un million de fois. Toutes sortes de grains de poussière, de la poussière d’étoiles et de ciels, de la poussière de petits matins, des particules dorées de crépuscules d’été. Des atomes de rires d’enfants. De la pluie et de la neige. Des larmes grosses comme le poing. Des traces de sang. De l’air tendre et de la bise plus aigre que du vinaigre. Un grêlon minuscule. Un grain de blé. L’or gris des nuages. La mer. Une chute libre. Un cri. Deux yeux qui s’ouvrent. La première note de guitare. La nuit noire. La nuit blanche. Le parfum de l’encre. Le grain de sable et celui de la peau.

Tous ces grains de poussière qui font de nous ce que nous sommes, immenses et friables, colosses de pierre façonnés par le ciel et statues d’argile érodées par le vent.



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