>copier >couper >coller >annuler coller : La place des artistes caribéennes dans la diaspora par Joscelyn Gardner

Publié le 07 février 2014 par Aicasc @aica_sc

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La place des artistes caribéennes dans la diaspora

Joscelyn Gardner

Cet essai porte sur l’évolution de mon approche de l’identité féminine créole car elle se rapporte à ma propre pratique visuelle, ainsi qu’à l’incidence des récentes expositions d’envergure consacrées à l’art contemporain des Caraïbes sur ma perception de ma situation d’artiste caribéenne dans la diaspora. Il explore également le travail d’autres artistes féminines avec qui je suis liée par notre culture commune et vise à montrer qu’en tant qu’artistes caribéennes, nous sommes en effet unies dans une réalité culturelle qui, comme notre paysage infini (l’« espace » des Caraïbes), est à la fois ici et partout.

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   Quand j’ai immigré des Caraïbes au Canada (2000), je suis passée dans la catégorie plus ou moins familière « d’artiste diasporique des Caraïbes ». Une série d’expositions collectives récentes  aux États-Unis, à commencer  par Infinite Island: Contemporary Caribbean Art (Musée de Brooklyn, New York, 2007), a attiré l’attention sur l’art de la région en mettant au premier plan des artistes qui sont soit nés dans les îles et qui y vivent encore, soit nés dans les îles et qui ont émigrés ailleurs, ou qui font partie de la diaspora plus large (générations hétérogènes nées à l’extérieur de la région). Qu’est-ce que ces artistes ont en commun, en dehors de leur relation géographique à un lieu d’origine réel / imaginé / construit ? Comment les artistes d’îles tropicales extrêmement dispersées qui s’étendent entre l’Amérique du Nord et du Sud, composées de différents groupes ethniques, de systèmes politiques divers et de différentes langues imposées par les circonstances historiques peuvent-ils composer un groupe homogène? Dans quelle mesure la question du «  lieu » affecte – t- elle la compréhension que l’artiste caribéen a de la Caraïbe et sa relation avec celle – ci ? Et plus précisément, comment les artistes caribéennes expriment leur « différence » dans ce cadre culturel complexe ?

   En Mars 2010, j’ai été invitée, avec deux autres artistes caribéennes, à présenter notre travail au Global Caribbean symposium [1] à Miami. Hébergée par l’Université de Miami, en même temps que l’exposition  Global Caribbean: Focus on the Contemporary Caribbean Visual Art Landscape  la conférence a eu lieu Little Cultural Haïti Center  un nouveau complexe dédié à l’art de la région des Caraïbes. Cette exposition, initiée par Culturesfrance, et organisée par l’artiste de renommée internationale  d’origine haïtienne,  Edouard Duval-Carrié, figurait  sur le programme officiel Art Basel Miami Beach en Décembre 2009[2]. L’exposition rassemblait  22 artistes (14 hommes, 8 femmes) dont le travail est en lien avec les Caraïbes. Elle avait pour objectif la promotion de  l’art des Caraïbes sur le marché international de l’art et devait  permettre aux artistes caribéens de rencontrer et d’échanger  au sujet de leur travail. La ville de Miami avait  été choisie comme lieu d’exposition en raison de son importance comme  centre majeur de l’art contemporain, mais aussi comme  « berceau culturel et linguistique des « cultures » créoles » compte tenu de son importante  population caribéenne.

   Cette exposition se distinguait  des récentes expositions  précédentes  sur « l’Art des Caraïbes »[3] car les artistes des Caraïbes n’étaient plus présentés comme des « représentants » de leur région d’origine, mais étaient  regroupés en fonction des sites d’exposition. Tumelo Mosaka, curator d’Infinite Island (New York), avait réparti les œuvres  en quatre sections thématiques : histoire et mémoire, politique et identité ; mythe, rituel et croyance ; et culture populaire. Les artistes ont été classés par ordre alphabétique dans le  catalogue. L’exposition traitait la question de l’hybridation  dans  la région et  des thématiques communes des artistes individuels. Rockstone and Bootheel: Contemporary West Indian Art  (Real Art Ways, Hartford, CT, 2009) est allé plus loin en utilisant un concept de « fusion » où de nombreuses formes / sujets d’art différents ont été juxtaposés pour suggérer le « mélange » explosif provenant des Caraïbes[4]. De même, Global Caribbean a rassemblé divers artistes de différents  groupes linguistiques en mettant l’accent sur ​​les œuvres elles-mêmes plutôt que sur le lieu d’origine de chaque artiste[5]. Cependant, l’originalité a consisté à lier  l’exposition et une conférence universitaire  où les artistes visuels étaient les principaux conférenciers. Cela   a facilité la discussion entre les artistes partageant les mêmes idées et les théoriciens culturels. Cet effort pour assurer une interaction intense entre les artistes, les écrivains et les théoriciens m’a radicalement fait prendre conscience de mon interconnexion avec d’autres artistes d’un même milieu culturel. Grâce à cette  reconnaissance d’une communauté d’idées grandissante au sein d’un groupe culturel d’artistes dispersé, l’expérience généralement isolée de la diaspora est en passe de devenir un terrain fertile pour le développement mutuel.

   Ces pratiques curatoriales autour de  l’art et des artistes des Caraïbes sont également indispensables à la maturation de l’art de la région au sein de la région elle-même. En dehors de Cuba (avec sa Biennale de la Havane de renommée internationale), Puerto Rico (avec sa Triennale d’impression San Juan ), la République dominicaine (avec sa Biennale de la peinture régionale), et de la Jamaïque, la plupart des autres îles manquent de lieux pour héberger de grandes expositions professionnelles, des expositions collectives d’envergure  ou même des petites expositions avec les nouveaux médias contemporains. Les artistes rencontrent également des difficultés pour  se déplacer entre les îles en raison d’obstacles logistiques, économiques et politiques. L’initiative récente de l’AICA Caraïbe du Sud , sous la direction de Dominique Brebion (Martinique) de présenter  une  exposition collective d’art des Caraïbes dans la région en même temps que  la conférence annuelle de l’AICA a également été une étape importante pour les artistes de la région en portant leur art à l’attention des critiques d’art régionaux et internationaux[6]. Cependant, les grandes expositions du groupe en dehors de la région sont souvent les seules occasions pour les artistes des Caraïbes de se rencontrer et de voir le travail des autres. Bien que cette expérience ait une grande valeur pour les artistes impliqués, on peut craindre  que cette ghettoïsation des artistes dans une catégorie « Caraïbes » puisse nuire à l’acceptation de leur travail d’une façon générale. Le feed-back des critiques d’art établis à New York autour d’Infinite Island, a suggéré que, malgré la validation d’une exposition d’art des Caraïbes dans un (du point de vue des artistes) musée sans grande envergure , New York n’était pas prête à adopter l’art caribéen souvent  perçu comme démodé et vieillot  par rapport à la scène new-yorkaise de l’art contemporain[7].

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   Comme beaucoup d’artistes de la diaspora, la compréhension de mon contexte caribéen a évolué au fil du temps par rapport à ma situation géographique / théorique personnelle. Née dans l’ancienne colonie esclavagiste  britannique de la Barbade dans une famille installée dans l’île depuis le  17ème siècle, j’ai exploré l’identité créole du point de vue d’une perspective féministe pendant près de 20 ans. Actuellement, mon travail sonde les archives coloniales caribéennes afin d’explorer mon identité créole blanche et souligner la relation historique étroite  entre les caribéennes de toutes  races. J’utilise des  stratégies interventionnistes, la rupture des versions patriarcales ou coloniales de l’histoire en réinsérant les voix / les images / les traces des femmes oubliées  par  cette histoire dans une tentative de réconcilier le passé et le présent pour progresser vers une guérison métaphorique des blessures historiques.  Aujourd’hui  mon travail vise à exprimer la répression et la dissociation qui surviennent au sujet de  la question de l’esclavage et la culpabilité du Blanc  dans un monde postcolonial plus élargi.

   Avant d’émigrer, cependant, je n’avais pas pris conscience  des tensions raciales sur l’île ou du  privilège d’avoir une peau blanche. Dans les années 90 ma pratique en arts visuels proposait une compréhension de l’identité créole matérialisée dans des projets suggérant une créolisation  en tant que ‘mélange’ de différences historiques rendue  possible   en mettant de côté la couleur de la peau de façon symbolique.

   Des œuvres telles que In the Chamber of my Birth: A Repeating Voyage to my Self (dans la chambre de ma naissance : un voyage infini vers moi-même) fondées sur « The repeating island[8] » d’Antonio Benitez-Rojo, ont suggéré le « viol » des Caraïbes par les conquistadors européens et l’invasion par la mer  de peuples d’Amérique du Sud, d’Europe et d’Afrique,   circonstance historique qui devait être surmontée grâce à la reconnaissance des avantages de la créolisation. Ici, j’ai proposé le corps d’une femme créole (mon corps) sous la forme d’un   cocon en train de muer afin de transcender les  différences apportées aux îles par nos arrière-grand-mères dans des pirogues (la déesse Atabeyra amérindienne), des caravelles (la Vierge Marie européenne), et des navires négriers (la déesse Ezili africaine)[9].

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Joscelyn Gardner
Virtual Omphalos
multi media installation
1996

   Dans Virtual Omphalos (1996)[10], j’ai utilisé des images en mouvement et du son  pour aborder  l’identité caribéenne en relation avec  notre ère de l’électronique au moyen d’un mythe amérindien de la création du monde comme une toile d’araignée géante. Ce travail, en partie inspiré par une phrase « vision of a shrinking, decentralized world and its effect upon mankind’s values and perceptions » de Marshall McLuhan (vision d’un monde en voie de rétrécissement et décentralisé et  son effet sur les valeurs et les perceptions de l’humanité) et par l’idée de la dématérialisation de l’art à la fin du millénaire, était composé de 400 diapositives projetées par 8 projecteurs. Un couloir d’entrée étroit ouvert sur  un grand espace de forme octogonale dans lequel des projections en fondu – enchaîné de l’océan entourent le spectateur sur tous les murs. Le bruit de la mer avec en écho une voix féminine en arrière – plan constituait le fil de la communication.

   Sous la transparence de l’eau en mouvement, des figurines de plâtre enveloppées (Cocon) (figures maternelles /  poupées funéraires) symbolisent l’héritage amérindien, européen et africain des Caraïbes  apparaissent  et disparaissent  pour suggérer ce qui est effacé par le temps. Virtual Omphalos désigne la mer des Caraïbes comme le ventre des possibilités entre les Amériques et l’île comme le nombril de la terre / omphalos. Dans notre village global qui s’entremêle il me semblait que,  bien que vivant sur une île minuscule nous pourrions pratiquer une résistance marginale en nous imaginant comme le centre du monde. Ma proposition suggérait que l’unification culturelle / raciale des Caraïbes pourrait être un modèle mondial.

     Après mon arrivée au Canada en 2000, mon travail a radicalement changé. Là, avec la distance, j’ai reconnu mon déni passé de la stratification raciale dans mon île natale. Si j’avais intégré mon corps (blanc) dans mon travail, dans mon désir un peu naïf de me concentrer sur la réalisation de l’intégration raciale, mon examen de l’identité créole féminine avait refusé de s’engager dans le rôle du créole blanc, dans l’histoire tragique et douloureuse de la peau dans les Caraïbes.

   La décision d’émigrer avait été provoquée par la nécessité à la fois d’élargir mes horizons artistiques et d’échapper à la marginalisation culturelle dans  laquelle je me débattais comme artiste à la Barbade. Le déménagement s’est avéré être un moment charnière. Une fois au Canada, l’idée d’« appartenance » est devenue une notion centrale dans ma pensée. La tentative de s’installer dans un pays à prédominance blanche m’a exposé à une nouvelle compréhension de ma propre identité. J’étais dans la curieuse position de m’exiler de mon pays natal où, bien que privilégiée, j’étais  culturellement marginalisée ; pourtant, au Canada, même si je partageais la blancheur et l’éducation occidentale, mon bagage culturel endossait  une forme de « différence » « pesante ».

   Reconnaissant que je devais affronter les dures réalités de l’héritage du système esclavagiste de plantation, je me suis mise  à démêler la construction historique de l’identité créole, et en particulier, de l’identité féminine créole blanche, et de rechercher les voix (de femmes) que cette histoire a « fait taire ».

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Joscelyn Gardner
Creole portraits II
2007

   Ma pratique visuelle implique maintenant de sonder les archives coloniales à la recherche des représentations du corps créole. En analysant les œuvres littéraires et les sources visuelles, je me mise à exposer des objets « cachés » qui jetteront un nouvel éclairage sur les implications d’une histoire coloniale et patriarcale dans la vie des femmes créoles (noires et blanches), et qui révèleront leur relation historique commune (bien qu’inégale). Cette étude a notamment analysé l’art du portrait et son langage symbolique, les objets liés à l’esclavage, la littérature coloniale et les documents personnels pour détourner le discours du maître en affirmant un espace pour les multiples subjectivités féminines qui ne sont pas reconnues dans les canons historiques « officiels » (masculins).

   Un de mes travaux les plus célèbres qui incarne ces idées est l’installation multimédia White Skin, Black Kin: A Creole Conversation Piece (2003) (peau blanche, peau noire : une conservation créole). Ce travail a émergé à la suite à ma découverte dans la remise du Musée de la Barbade d’une peinture d’un planteur colonial barbadien intitulé Portrait of Seale-Yearwood Esq. (c. 1730) qui s’est avéré crucial pour mon étude par ses éléments de preuve tangible de la pratique du métissage. La ressemblance entre les deux personnages représentés (le maître blanc et son esclave sans nom, un  majordome mulâtre) met en évidence qu’il s’agit d’un portrait « de famille ». L’esclave est en fait le fils du planteur – le fruit de sa relation libertine avec une de ses femmes esclaves. L’esclave  dont le corps a été exploité et la femme du planteur (maîtresse de la plantation) dont le rôle sexuel a été usurpé sont toutes  les deux absentes de la peinture et efficacement réduites au silence au nom de la domination coloniale et patriarcale.

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tospy – turvy doll ou poupée à deux visages

   La poupée à deux visages puissamment évocatrice du 18ème siècle a été une autre découverte importante. Dans Touching Liberty, Sanchez-Eppler  considère cette poupée comme un trope visuel de la relation binaire entre les femmes  noires et blanches et de leur statut commun de propriété dans les obligations patriarcales du mariage et de l’esclavage[11]. Généralement constitué de morceaux de tissu et rembourrées de chiffons, elle combine deux poupées en une : une poupée blanche d’un côté et une poupée noire de l’autre. Une  jupe longue les lie l’une et à l’autre et cache successivement l’une ou l’autre. Dans ce travail, j’utilise l’idée de « retournement » entre les poupées noires et blanches comme une métaphore de la relation complexe entre les femmes créoles au cours de la période de l’esclavage. Cette poupée jouant à cacher et révéler, exprime la dynamique interraciale/ l’hybridité culturelle qui résulte de la proximité étroite de la différence raciale établissant  le lien entre un être et l’autre dans un corps sexué.

   Dans White Skin, Black Kin: A Creole Conversation Piece, je récupère le tableau du dix-huitième siècle comme un moyen d’aborder l’expression de l’identité créole (et les dynamiques de pouvoir patriarcales / coloniales) sur la scène de la plantation. Dans ce portrait de famille recréé (fictif) d’une  scène de la plantation d’une Grande Maison destiné à explorer les relations familiales créoles, la femme créole blanche n’apparaît que dans un « texte entendu ». Posé sur un fond d’ascendance patrilinéaire (portraits sur le mur), les membres féminins de la famille (mère et filles) expriment le fossé entre le pouvoir masculin symbolique et la domesticité féminine passée sous silence. Je détourne ces formes d’art du portrait non équivoques en « re-présentant » la famille dans son ensemble. Alors que les membres de la famille blanche expriment visuellement la convenance sociale et familiale (gelée) dans leur salon bien décoré, les membres fantomatiques  noirs « de la famille » sont présentés au moyen de dispositifs d’intervention visuels et / ou sonores pour démêler symboliquement les incohérences au sein du ménage. Avec leurs mouvements fantomatiques sur l’écran et avec leurs conversations « chuchotées », la famille noire / interraciale insiste sur une présence en rupture avec l’artifice du portrait (historique) officiellement mis en scène. Une histoire violente de l’exploitation sexuelle par le maître blanc est fortement révélée au spectateur attentif à travers les récits personnels et les dialogues diffusés qui sont entendus lorsque le spectateur se promène autour de l’espace d’exposition. L’inclusion du fauteuil du maître (sur lequel se trouve la poupée à deux visages d’un enfant) placé à proximité du Portrait of Seale-Yearwood Esq. contribue en outre de faire allusion à ces secrets de « famille » et de déstabiliser le récit originel.[12]

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Roshini Kampadoo
Sreen Still for amendements
2007

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   Nicole Awai et Roshini Kempadoo étaient les deux autres artistes caribéennes invitées à présenter leur démarche artistique au Colloque Global Caribbean.  Installées  à New York et à Londres au Royaume-Uni,  chacune apporte de nouvelles perspectives par leurs pratiques artistiques en fonction de leur propre contexte spatial / politique et le relationnel complexe entre ces espaces et les Caraïbes. Dans cette perspective transnationale, leur travail a évolué de manière similaire au cours du temps pour adopter des préoccupations sociopolitiques par rapport à leur expérience du « lieu ». Comme pour beaucoup d’artistes de la diaspora des Caraïbes, une histoire commune du colonialisme émerge comme un point de convergence qui sert de base à la production artistique qu’elle s’inspire de questions du présent ou du passé.

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Nicole Awaï
Mix More Media

   Comme les femmes qui ont grandi dans les Caraïbes alors que la région sortait d’une culture coloniale, et qui vivent maintenant dans les villes métropolitaines de l’Ancien Monde, leur travail reconnaît la « double colonisation » par les idéologies impériales et patriarcales discutées par Gayatri Spivak dans Can the Subaltern Speak? (1985).

   Nicole Awai s’interroge sur la marginalisation des populations des Caraïbes dans les grands pays développés et explore la façon dont l’expérience de l’exil influence la vision que les gens de la diaspora (noirs) ont d’eux-mêmes par rapport aux stéréotypes qui leur sont imposés par les habitants du pays d’accueil. Nicole Awaï évoquent les artistes noirs des Caraïbes intégrés dans le contexte « afro-américain » des  Etats-Unis où les objets et motifs racistes issus de la culture populaire, liés à la Négritude ont été (historiquement) attribués à l’Autre. Jouant sur une collection de certains de ces objets difficilement décryptables  donnés par des amis qui pensaient que cela l’aurait intéressé (dont certains lui étaient totalement inconnus), elle vise à « exposer » (plutôt que « cacher ») leurs attributs dans un « kaiso visuel » qui détourne leur signification. Dans ses travaux mixtes sur papier de la série Specimens from Local Ephemera (spécimens de l’éphémère local), elle décode et recode ces objets dans une reconstruction imaginaire pour « parcourir un chemin autour ou au-delà de l’identité [caribéenne].[13] » Les récits visuels sous la forme de dessins techniques composites combinent des collages d’images de ces objets étranges (par exemple, une poupée à deux têtes) avec des dessins de boulons et de vis ou des dispositifs d’assemblage accompagnés d’une légende composée à partir de noms d’échantillons de vernis à ongle. Parfois, un « exsudat » noir apparaît, semblable au pus d’une plaie (métaphore pour la blessure et la guérison), pour faire encore allusion à un état de flux, en constante évolution. Local Ephemera devient « le monde de l’entre-deux, qui se situe quelque part entre la perspective (point de vue) et la périphérie (vue au-delà d’un point). » Ici « local » indique l’ « espace personnel immédiat » et « éphémère » indique « un objet d’utilité de courte durée. » L’artiste trace un espace / un « lieu » transitoire qui parle de sa relation ambiguë à la fois à l’espace physique / mental et à l’espace temporel dans lequel elle se trouve.

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Roshini Kampadoo
Screen still for amendments
2007

   Roshini Kempadoo aborde également la notion d’« entre-deux » dans son travail, en particulier, l’idée du sujet de la diaspora qui n’est pas totalement « ici ou là » en termes spatiaux ou temporels (Bhabha). En s’appuyant sur l’histoire et les souvenirs, ses installations photographiques ou numériques ré-imaginent et re-travaillent les héritages historiques des points de vue réels et / ou fictionnels pour créer des déclarations politiques  poignantes qui ont plus d’impact que les lectures stéréotypées de  l’identité culturelle (caribéenne).  Dans la série Virtual Exiles, ses sujets se lancent dans un voyage mythique de retour vers un « foyer fantasmé ». Domino Effects, un projet collaboratif en cours de réalisation, commente les bouleversements sociaux entre les Caraïbes, l’Inde et la Grande-Bretagne, après l’abolition de la traite transatlantique des esclaves. Cette installation interactive inspirée  par  le jeu populaire des dominos joué dans des espaces publics dans toutes les Caraïbes, dévoile des situations et des récits obscurs, souvent ceux des femmes, dans une tentative de remettre en cause « la célébration » du bicentenaire de l’abolition de l’esclavage (2007) par  la Grande-Bretagne. En exposant les parallèles et les conséquences contemporaines, elle vise à « problématiser le récit romantique classique omniprésent, dans lequel l’ex-esclave africain émancipé devient un héros /ou une héroïne  et  où la nation, espace indépendant de liberté  fournit le scénario « et ils seront heureux jusqu’à la fin des temps »[14]. Plutôt que d’invoquer le mythe de la patrie ou le désir de retourner aux origines perdues, ces œuvres révèlent collectivement comment l’expérience de l’exil de l’artiste a influencé sa perception du sujet noir de la diaspora dans son pays d’adoption et lui ouvre de nouvelles perspectives sur le natif  des Caraïbes dans son pays d’origine.

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Nicole Awaï
Local Ephemera
Resistance with black ooze

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   Les artistes caribéennes de la diaspora continuent à tisser un récit dissonant sur l’interprétation de l’identité caribéenne contemporaine, apportant leurs visions multiples à partir de lieux de résidence provisoires. La recherche d’un sentiment d’identité et d’appartenance ainsi que les effets persistants d’une histoire coloniale partagée assurent une certaine continuité perceptible dans leur vision comme si elles cherchaient à façonner de nouveaux récits pour sécuriser l’avenir. Les connexions croissantes des artistes des Caraïbes au sein de la diaspora et à l’intérieur même de leur  pays natal via les réseaux sociaux, les communautés sur Internet[15] et les systèmes mondiaux de communication de pointe renforce aussi la métaphore des Caraïbes comme un espace perméable complexe et en constante évolution. Dans ce paysage infini et « répétitif », les artistes féminines sont en train de construire des relations significatives avec d’autres artistes visuels des Caraïbes, curators et des écrivains pour assurer un dialogue[16] pertinent et élargi. En tant que productrices actives de la culture, elles contribuent à façonner le discours sur l’art des Caraïbes.

Joscelyn Gardner, Virtual Omphalos, 1996 – installation multimédia


[1   Le Colloque Global Caribbean (4 au 6 mars 2010) hébergé par l'Université de Miami et Little Haïtiucultural Center  (ville de Miami). Le PUMA Prix de la Mobilité Créative a joué un rôle dans le recueil des fonds pour rassembler les artistes. Les trois artistes invités étaient Nicole Awai, Joscelyn Gardner et Roshini Kempadoo

2  L'exposition est également présentée au Musée international des arts modestes à Sète, France, en 2010.

[3]  Parmi les expositions précédentes : Karibische Kunst Heute (Documenta Halle Halle et K-18, Kassel, Allemagne, 1994) ; Caribe insular (Casa de America et Museo Extremeno e Iberoamericano de Arte Contemporáneo, Madrid, Espagne, 1998) et Visions des Caraïbes (Miami, La Nouvelle-Orléans, et Hartford, États-Unis, 1995), entre autres.

[4] Les conservatrices, Kristina Newman-Scott et Yona Backer, sont d’origine jamaïcaine. L’exposition était axée sur des artistes de la Caraïbe anglophone. Un catalogue complet sera publié avec des textes d’écrivains de la région et de l’extérieur.

[5]  Le curator a fait remarquer : « Je pense que l’origine nationale de ces artistes est parfois hors sujet, même quand ils s’efforcent de créer un discours qui pourrait être qualifié de régional. »

[6] Atlantide Caraïbe (16 artistes) a eu lieu à la Fondation Clement en Martinique en 2008.

[7 critique Holland dans le New York Times

[8] Antonio Benitez Rojo-, L’île infinie : Les Caraïbes et la perspective postmoderne, États-Unis: Duke UP, 1992.

[9] This work was exhibited in Lips, Sticks, and Marks, an important group show by a collective of 7 Caribbean Women Artists that was shown at The Art Foundry in Barbados and at the Museum of Port-of-Spain in Trinidad in 1998.

[10] Presented at the XXIII Bienal Internacional de Sao Paulo where artists from the Caribbean were asked to explore the notion of Caribbean identity.

[11]   Sanchez-Eppler, Touching Liberty

12 The discussion of this work is taken from my essay Postcolonial Portraits: “Speaking the Unspeakable” in the White Skin, Black Kin: “Speaking the Unspeakable” catalogue (Barbados: Barbados Museum, 2004).

[13]  Nicole Awai in Email from Here, Small Axe 27 (US: Duke U P, August 2007).

[14  site Web de Roshini Kempadoo (www.roshinikempadoo.com).

[15] Il existe un réseau de réseaux et de blogs liés à l’art caribéen qui offre des possibilités d’interaction entre les artistes, tels que le Réseau Créatif des Caraïbes, Small Axe, l’AICA (sud des Caraïbes), Alice Yard (Trinidad), cross/sparks.

[16]  Par exemple, chacune de ces trois artistes ont participé soit au programme de résidence internationale ou aux ateliers d’artistes internationaux organisés par Caribbean Contemporary Arts (CCA) à Port d’Espagne, Trinidad, qui a contribué à faire venir des artistes de la diaspora des Caraïbes ainsi que dans la région.