J’avais un peu abandonné ma fréquentation des salles obscures, non par faute d’intérêt, mais par manque du temps nécessaire pour libérer, non plus 1 heure et demie, mais presque 3 heures compte tenu de la durée des films actuels.
Mon fils m’a imposé mon emploi du temps un samedi et j’ai consacré 180 minutes de mon après-midi au dernier opus de monsieur Scorsese : « Le loup de Wall street ». Bien sûr, il y a Leonardo qui prouve, toujours et encore, son talent d’acteur. Le sujet est magnifique : l’argent et les sources de réflexion sont multiples.
La toile de fond est une peinture du monde de la finance, le trading en particulier, et du potentiel d’enrichissement individuel qu’il recèle. J’ai été banquière, je peux donc en témoigner. C’est un fait : on peut devenir très riche dans le trading. Je l’ai vu. Le film est un peu outrancier, je ne sais pas si tout le monde sniffe de la coke devant son écran. Quand à l’organisation de partouzes, je l'imagine difficilement dans les salles de marché de grandes banques françaises ! Mais il y a de la folie dans ce monde là, c’est certain.
Le personnage principal, Jordan Belfort, sous les traits de Leonardo, part de rien. C’est un banlieusard marié à une coiffeuse. Tombé par hasard dans le milieu de Wall street, il va vite apprendre. Car il est ambitieux et motivé. Il aime l’argent. Il a goût du jeu et du risque. Il est audacieux. Doté d’une énergie féroce, c’est un bosseur et il a le sens de la vente.
Tous les ingrédients sont donc réunis en lui pour que ça marche. Evidemment, il fait fortune et plutôt vachement bien.
Dans une optique anglo-saxonne, la prospérité, l’abondance, la richesse sont des bénédictions divines, des récompenses accordées à un travail, juste et honnête.
L’histoire pourrait s’arrêter là, le film durer moins longtemps, la morale serait l’expression de ce rêve américain, maintes et maintes fois décrit : je suis venu, j’ai bossé dur, j’ai gagné beaucoup d’argent, j’ai bien réussi et j’en suis fort aise.
Le spectateur aurait eu son lot de belles pépés, du regard bleu de Léonardo, de belles bagnoles et de somptueuses maisons. Les français que nous sommes auraient supputé quelque chose de bizarre puisque culturellement chez nous, toute réussite est frauduleuse.
Mais que se passe-t-il ? Un grain de sable s'invite. Notre ami Jordan a progressivement développé une addiction à l’argent aussi forte que celle qu’il voue à la drogue. Car "argent" recouvre des notions très diverses, incluant l’argent- monnaie, et les ombres qui lui sont attachées : outre la richesse, la considération, la reconnaissance, la réussite, le statut, le style de vie, les relations, le pouvoir.
Lui le petit mec venu de nulle part, il a tout et il en veut encore. Il est tombé à pieds joints dans un désir de possession illimité. Plongeant dans les 3 péchés capitaux qui symbolisent la concupiscence : la gourmandise, l’avidité et la luxure. Le tout flattant son orgueil.
Il se sent invincible, surpuissant, en tous cas suffisamment pour enfreindre la loi, n’envisageant d’aucune manière se faire piquer. Allant même jusqu’à narguer le FBI.
Le sens de tout ça : il aurait pu arrêter de travailler, couler des jours paisibles avec ravissante femme et enfants entre yacht et maison sublime, consacrer une partie de sa fortune à des causes philantropiques. Par bêtise et vanité ( vertus masculines !), il a perdu.
Quel con !
La Fontaine nous en aurait tiré une fable merveilleuse : "le loup et l'argent".
Notre héros aurait dû poser Rousseau sur sa table de chevet et entre deux prises de coke, faire sienne cette maxime : " l’argent qu’on possède est instrument de liberté, celui qu’on pourchasse est celui de la servitude ".