Ce sont les gens qui n’ont pas vocation à être dans des centres d’hébergement: des salariés, des retraités, des étudiants, des familles monoparentales. Pour des problèmes de logements, et de précarité de l’emploi, être « clochard » aujourd’hui n’est plus un choix, ça se subit.
En plein froid hivernal, Thomas se réchauffe par le fourneau. Il prépare les colis alimentaires destinés à des dizaines d’anonymes qui viennent à l’Accueil du jour d’Abej-Diaconie , l’association de solidarité à Vitry-sur-Seine, afin de retrouver la chaleur. Un jeu de cartes autour d’un café, des plaisanteries jadis oubliées « pour changer les idées » sourit Marie, une régulière. Les décorations de Noёl encore accrochés aident à oublier la précarité. Comme le sait Sébastien, sorti de prison il y a 3 ans, et qui vient au centre depuis. « Les gens viennent ici pour “gratter”, Moi qui suis français, je n’en aurais pas le droit ? » s’emporte-t-il, colis serré sous sa hanche. De la cuisine, Thomas désapprouve d’un hochement de la tête. Lui n’est pas un habitué. Ancien professeur de 3ème cycle, trilingue, et portant beau ses 73 ans, il a 25 ans d’expérience d’enseignant, dont 10 ans à l’Unesco. Mais son brillant parcours ne lui a pas permis d’éviter le gouffre. Lui vit depuis 4 mois à Jaurès , le centre parisien d’hébergement d’urgence. Malgré le projet de réhumanisation entrepris par la Direction du centre, l’atmosphère est toujours celle d’un hôpital. La lumière crue ne cache guère les conditions de promiscuité et le manque d’intimité que subissent les vingt-huit locataires. On est loin du XVIIIe arrondissement de Paris où Thomas habitait pendant 9 ans avec sa femme, avant qu’elle ne le quitte. « Un jour, je suis rentré et elle avait changé les serrures ». Après une arrestation musclée par la police, il se trouve dehors et est obligé de dormir dans sa voiture. « Puis, c’est devenu trop dangereux. La nuit, des bandes de jeunes me faisaient de mauvaises surprises… », Il entre donc à Jaurès. Avec une retraite de 400€ par mois, il ne peut se loger autrement. Thomas fait partie de ces nouveaux Sans Domicile Fixe, pour qui le fait d’être « clochard » n’est pas un choix, mais imposé : des familles monoparentales, intérimaires, retraités, jeunes.
1 SDF sur 3 a un CDI
La population SDF dont l’Insee avait estimé le nombre à environ 63.000 en 2001, serait aujourd’hui 100.000 selon les associations. Qui sont saturées. Mi-novembre, elles ont tiré la sonnette d’alarme face à l’arrivée de nouvelles populations dans leurs centres, dont une augmentation de 30% de travailleurs pauvres. Ce sont « des personnes aux budgets réduits poussés vers l’aide alimentaire » dit Alain Seugé, président de la FFBA . Parmi eux, 34% ont un CDI, selon le Baromètre 2008 des Banques Alimentaires.
Les nouveaux SDF sont-ils en lien direct avec la crise ? Quelles sont les causes ? Dans le collimateur, les problèmes du logement. Sommes-nous à l’abri d’être sans abri ?
D’après un sondage réalisé par TNS-Sofres en octobre 2008, 60% des Français (contre 47% en 2006) sont pessimistes. L’image du clochard nous renvoie notre propre misère, explique dans son livre Patrick Declerck . La fragilisation des liens familiaux, puis progressivement des liens sociaux, fait en sorte que « tout un chacun peut basculer au jour du lendemain » dit Alexandre Bonjour, directeur d’Abej-Diaconie. Les prochains SDF « c’est nous », ajoute-t-il. Pour Alain Seugé, la précarité de l’emploi joue un rôle important, encore plus réel pour les femmes puisqu’elles sont 4 fois plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel. « Avec un CDD à 20h par semaine, qui paie entre 400 à 600 euros par mois, on ne peut pas trouver un logement avec ça », dénonce le DAL . «A Paris il faut gagner 3 fois le prix du loyer, et, dans certains cas porter la caution d’un garant » s’indigne Marie, militante. « Tout ce qui sort du couple Français modèle de souche, trentenaire, fonctionnaire ou cadre », connaissent plus de difficultés sur le marché immobilier. Même des gens gagnant 2 200 € net sont bloqués. « Les propriétaires ne les considèrent pas », révèle Marie. La crise a aggravé les choses. Les classes moyennes achètent moins cher, créant plus de demandes en bas de l’échelle. Eric Pliez, l’ancien président de la FNARS , déplore le manque de création de logements sociaux. « Les communes préfèrent payer des amendes que d’avoir des immigrés », estime le DAL. Pliez prévoit même un afflux dans les centres d’hébergement de personnes actuellement logés dans leur famille ou chez des amis, des situations que la crise financière va bientôt rendre intenables. Selon l’Insee 13,2% de la population sont en dessous du seuil de la pauvreté, disposant de revenus inférieurs à 880 €. Et ce sont les métiers précaires comme les services de nettoiement, le bâtiment, la restauration et les boîtes intérim qui sont les premiers à être touchés par la récession.
1,470 € par mois et dans la rue
Alain est un de ces travailleurs pauvres. Il a 43 ans, célibataire, “Gaulois” se décrit-il, et sans logement. « Je squatte où je peux, dans le parking chauffé, sur les pavés…», sourit-il. Au fond de lui pourtant, il est en colère. Dans un gymnase de la Porte d’Ivry à Paris, il prépare les pancartes pour la manifestation du DAL, prévu dimanche prochain. Manifestation qui va finalement être interdite. Jusqu’à alors, il a été embauché par Forclum, une grande boîte d’intérim, pour de l’installation électrique. « Je croyais que le métier d’électricien n’aurait pas de chômage car il y a toujours des coupures… » Sa dernière mission date d’octobre. Avec un CAP d’électricien, il est habilité à mettre la haute tension à 20 000 volts. « En octobre, on m’avait mis seulement sur les 400 volts». Il touche le RMI mais préfère travailler avec le salaire de 1,470 € qui va avec, « quand je travaille », ponctue-t-il. Il va alors se doucher chez des amis, et pose ses affaires « à droite et à gauche ». Pas question d’être redevable à quiconque, « je suis trop indépendant ». Sous son gilet jaune, sur lequel on lit le slogan du DAL « un toit, c’est un droit », Alain porte sur lui un thermos de café et une gamelle. Il ne dort pas dans le gymnase de Porte d’Ivry avec les autres mal-logés, qui attendent toujours que l’Etat les reloge. Il vient pour le combat. « Personne ne bouge pour eux. Unis on est plus forts ».
Selon les associations, des solutions existent et notamment la loi de réquisition. « Il y a beaucoup des immeubles vides en Ile de France alors que les SDF crèvent sur le pas de porte », proteste Norbert, autre militant du DAL. Le 17 décembre, Christine Boutin, la Ministre du logement a donc proposé « Solibail », une intermédiation locative, où les associations se portent locataires au lieu des SDF. « De quoi soulager la crise de confiance de certains bailleurs », convient Mme Boutin. Mais ce dispositif est destiné à de logements temporaires, les occupants ne pouvant rester qu’entre 3 et 18 mois. Pour Khater Yenboi, directeur u Chorba , « l’Etat confond l’accès au logement avec l’accès à l’hébergement ». Ce qui ne peut qu’entraîner à de nouvelles populations des SDF. Quant à Jean-Yves Courtain, directeur du CDSL , c’est trop tôt d’établir une corrélation entre celles-ci et la crise. « Ca se fera ressentir dès la fin du 1er trimestre ». Ce qui est certain c’est que ces nouveaux SDF « ne vont pas se laisser à battre» juge Yenboi. Alain entend bien se joindre à la prochaine manifestation prévue dimanche prochain sur Matignon. Thomas, lui, va bientôt quitter le centre Jaurès pour un HLM.
Encadré
Pourquoi on ne touche pas au droit de la propriété
Paradoxalement, la France n’a jamais eu autant de logements vacants et autant d’argent disponible pour financer le manque des habitations : 7,64 Md € ait été affectés au budget 2009. Alors que de « 700 000 à 800 000 personnes se retrouvent aux portes de logement », selon la Fondation Abbé Pierre (FAP). L’Etat préfère « ouvrir un gymnase en hiver » ou loger les sans-abri dans des « hôtels miteux payés à prix d’or où aucun touriste ne voudrait aller plutôt que d’instaurer la loi de réquisition » confirme le DAL. « Il y a un fort attachement en France à la propriété privée », explique Patrick Chassignet, chargé de la solidarité à la FAP. « Obliger les gens à mettre à disposition leurs biens, ça heurte trop les mœurs ». D’ailleurs, Nicolas Sarkozy a beau marteler sa volonté de « faire de la France un pays de propriétaires » l’attente moyenne pour ne serait-ce qu’être logé dans un HLM s’élève à 10 ans. « Les propriétaires laissent pourrir leurs immeubles et les revendent plus cher sous prétexte d’insalubrité » dit le DAL. « C’est de l’argent placé, ils attendent jusqu’à ce que le prix augmente pour revendre plus fort », confirme Chassignet. Si bien qu’aujourd’hui, 80% de logements sociaux sont habités par des ménages « non pauvres ». Le nouveau dispositif de l’Etat « Solibail » est destiné donc à débloquer ce système locatif, où les propriétaires pourront accéder à des déductions fiscales de 30% de leurs revenus locatifs. Il sera généralisé dans le courant de 2009.