l'exode de 2000 passagers sous la Manche
La lumière aveuglante nous tombe dessus comme un voile de mariée. Efface les traits tirés des passagers, pendant un instant, puis repart. Cheveux ébouriffés, les yeux éclatés, Marie-Noëlle conduit ses quatre enfants sur le gravier noir d’Eurotunnel. Seule. Valises d’une main, sa fille Laure dans l’autre, elle essuie la sueur de son front trempé. Comme si elle voulait estomper les dix dernières heures bloquées dans l’Eurostar. Le voyage sans fin de Paris à Londres en dit long sur son visage hagard.
Cinq trains sont tombés en panne le soir du vendredi 18 décembre, provoquant l’évacuation de plus de 2000 passagers. Du jamais vu dans l’histoire de la Manche. De fait, les silhouettes des hommes en costards et des mères de famille trimbalant leurs bagages se détachent le long du tunnel. En empruntant la voie par laquelle les trains passent sous les sons de « l’eau qui coule », Marie-Noëlle ressent quelque chose d’inouïe de sa geste.
Un fait qui n’est pas perdu sur son fils, Benjamin. « On a l’impression d’être dans un film de James Bond », s’extasie-t-il, en regardant les tuyaux métalliques en surplomb. Ils ressemblent aux jambes allongés du personnage Buzz l’Eclair du film de Disney. Comme le ranger de l’espace, dont le prénom est inspiré de l’astronaute d’Apollo, Buzz Aldrin, les passagers d’Eurostar sont des pionniers : « on est les premiers à faire ça (marcher sous la Manche) », renchérit Benjamin avec fierté, sa bouille rougeoyant de chaleur.
Ça coince entre l’Eurostar et l’Eurotunnel
Net changement avec l’air glacial du Calais, constate Martin, qui apprécie les nouvelles conditions quasi tropiques du tunnel. Pendant deux heures, alors que son train attendait avant entrer la Manche, ce juriste de BNP Paribas, au front légèrement dégarni, a dû supplier le personnel d’Eurostar pour des couvertures, tellement il faisait froid. C’est cette différence en température entre l’extérieur et l’intérieur du tunnel qui a causé la panne électrique, fait valoir la porte-parole de l’Eurostar.
Argument faible pour l’Eurotunnel qui ne pardonne guère à la compagnie continentale pour l’interruption causée à ses services pour assister à l’évacuation des voyageurs. En filigrane, la société pointe du doigt au manque de prévoyance de l’Eurostar. Plusieurs passagers qu’ils ont transférés vers les navettes, avant de leur acheminer vers le terminal de Folkestone, dans le Kent, pour attraper un nouveau train, n’avaient pas pu manger, ni boire.
« Parc à bestiaux »
En attendant un nouveau train d'Eurostar
Le gâteau que Mathilde a prévu pour souffler ses 19 ans, elle l’a remplacé comme dîner. « On s’adapte », raconte la jeune fille au style branché. Ce qui ne cache pas pour autant son déception en ratant les bars et boîtes de nuit de Londres: « on avait tout prévu, les billets, l’hôtel, tout est gâché ». Là, ramassée par terre dans des compartiments d’Eurotunnel habituellement utilisés par des voitures, elle a l’impression de se retrouver dans un « parc à bestiaux ».
Entre le sol salubre de la navette et son quartier huppé de South Kensington, rien n’à voir pour Frank, un expatrié français à la moustache tombante qui travaille dans le City. Et pourtant, il parle de l’exode comme une « aventure humain ». Jamais autant de personnes n’auraient s’entraidés en se partageant de la nourriture, se prêtant des portables pour passer des coups de fils à des proches inquiets. « Il y a certains moments qui renforcent la solidarité, ceci en est un ».