Par Hicham El Moussaoui, depuis Beni Mellal, Maroc.
Un article de Libre Afrique.
Le gouvernement Benkirane est décidé à appliquer la taxe sur les billets d’avion (100 dh pour la classe économique et 400 dh pour les autres catégories), dès avril prochain. Une taxe, nous dit-on, qui sera à moitié affectée à la promotion du secteur touristique et l’autre moitié ira alimenter le fonds d’appui à la cohésion sociale. Une intention somme toute louable, néanmoins qui risque d’avoir plusieurs effets pervers.
Au niveau microéconomique
Le gouvernement marocain semble oublier que la demande des billets d’avion est élastique, c’est-à-dire très sensible aux variations de prix. Autrement dit, une petite variation du prix entrainera une chute importante en volume du trafic aérien et touristique. D’après l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), la taxe pourrait entrainer une baisse de 2,3% du nombre de touristes arrivant par voie aérienne au Maroc.
Cette taxe va renchérir le coût du voyage, ce qui va réduire la rentabilité pour les compagnies aériennes, surtout les low cost. Le ministre marocain de tourisme se dit sceptique quant à l’impact d’une taxe de 9 euros, mais ça compte quand on sait que des compagnies low-cost vendent des billets à 30 euros. C’est un non-sens surtout dans un contexte d’exacerbation de la concurrence mondiale. Cela va empêcher le Maroc de profiter de l’absence d’instabilité dans les pays voisins et concurrents dans la région MENA (Tunisie, Égypte). Si le Maroc peut encore faire valoir sa stabilité, l’introduction de cette taxe, réduira son attrait aux yeux des touristes européens, dont le prix est devenu désormais un critère déterminant dans leurs choix de destination. C’est d’autant plus vrai que le principal émetteur de touristes vers le Maroc sont des européens, essentiellement des pays de l’Europe du Sud (France, Espagne Italie), dont les économies sont en crise et leurs citoyens en difficultés financières. Aussi, rappelons qu’une des forces relatives du Maroc vient de la compétitivité des prix : le pays se classe au 61e rang pour le niveau des taxes sur les billets d’avion et des redevances aéroportuaires. Dès lors, il ne sera pas étonnant que la compétitivité de la destination soit impactée négativement.
Aussi, cette taxe va modifier la structure du marché et pas toujours au profit des compagnies nationales. D’abord, dans le sens où les compagnies nationales seront pénalisées par cette taxe, notamment la RAM et Air Arabia. En effet, si les deux compagnies les plus exposées à cette taxe ne la répercutent pas à cause de la rude concurrence étrangère, elle devra supporter l’équivalent du supplément de taxe sur les prix des billets. Cela ne sera pas sans conséquence sur leur trésorerie et les handicapera dans leur marche vers le seuil de création de valeur permettant de couvrir les coûts de capital et de générer un développement économique viable pour le secteur. Ensuite, des compagnies étrangères programmant des dessertes à partir des aéroports marocains pourraient retirer la destination marocaine de leurs plannings. D’ailleurs, la suppression de lignes reliant Tanger et Fès à certaines villes européennes, annoncée par certaines compagnies aériennes étrangères en réaction à la taxe aérienne, vient d’être contrebalancée par l’annonce de la RAM de son repositionnement sur les deux villes afin de maintenir la desserte des deux destinations. D’aucuns diront que ça profiterait aux compagnies nationales, mais il n’est pas sûr que cela profitera aux clients qu’ils soient locaux ou ressortissants étrangers. Bref, cette taxe est une pénalité aux compagnies nationales et une barrière à l’entrée pour de nouveaux voyageurs potentiels. Cela va exactement à l’encontre de la vision 2020 du plan sectoriel de tourisme qui prévoit l’attraction de plus de compagnies pour faire baisser le coût des voyages et attirer le maximum de trafic pour les aéroports marocains, un doublement de la taille du secteur en nombre d’arrivées, et un triplement des recettes, positionnant le pays parmi les 20 meilleures destinations.
Au niveau macroéconomique
Le recul du trafic aérien, qui résultera de cette taxe, impactera bien directement le secteur du transport aérien en premier, mais aussi le secteur touristique qui en dépend. Une aberration quand on connait le poids du tourisme dans l’économie nationale (7% de la richesse nationale, deuxième plus gros employeur et deuxième source de devises) et surtout les faibles perspectives de croissance attendue pour l’économie marocaine en 2014.
En voulant imposer cette taxe, le gouvernement risque de se tirer une balle dans le pied car non seulement il va impacter négativement la croissance et les emplois (Selon les estimations de l’IATA, l’instauration de cette taxe se traduira par un manque à gagner de 1,1 milliard de dirhams et menacerait près de 13.000 emplois), mais aussi va entacher son image auprès des investisseurs potentiels qui voient dans le Maroc une hypothétique plate-forme depuis et vers l’Afrique. Le coût de la logistique, en l’occurrence aérienne, est parmi les critères déterminants que le Maroc pourrait faire valoir pour attirer de nouveaux investisseurs. Seulement cette taxe va à l’encontre de cette logique. Car si le Maroc veut vraiment développer son économie il doit éliminer ou du moins réduire les taxes et les redevances sur le transport aérien. Cela renforcera la compétitivité de la destination Maroc à tous points de vue, afin d’attirer non seulement des touristes mais aussi des investisseurs qui vont créer de la richesse et des emplois. Et c’est là la vraie solidarité, offrir des emplois aux Marocains, et non pas prélever des taxes dont l’affectation est toujours entachée de détournements et de gaspillages.
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Sur le web.