Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

Publié le 07 février 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

J’aime la science.  Vous vous en doutiez.  J’en ai fait ma profession, la médecine, cette science qui soigne, guérit, une science dont le niveau d’excellence actuel n’eût été possible sans la recherche, celle en anatomie, physiologie, pharmacologie, et j’en passe.  Personne ne remet en question la pertinence de la science médicale.  Elle sauve des vies.

Dans un monde de guerres, de famines et d’injustices sociales, il est plus délicat de justifier les milliards de dollars investis dans la recherche de particules élémentaires, ou dans l’exploration des confins de l’univers.  À quoi peuvent bien servir ces études que seuls quelques nerds saisissent, des marginaux qu’à tort, on imagine à lunettes, à sarrau, les cheveux longs et blancs, distraits, solitaires dans l’antre de leur laboratoire.  Parfois, le titre même de leurs travaux est aussi impénétrable qu’un cumulonimbus en plein orage.

On traite souvent d’inutile ce qu’on ne connaît pas vraiment.  Les sciences n’y échappent pas, sorte de vengeance de l’ignorance sur le snobisme apparent de certaines disciplines.  Ainsi, épineuses, farouches et d’accès difficile, la physique, la chimie et les mathématiques souffrent d’un certain préjugé négatif.

Pendant que nous rêvons sous une pleine lune, peu nous importe les quatre satellites de Jupiter dérobés à nos yeux.  À quoi bon ces observations ennuyeuses, ces calculs fastidieux ?  Mais voilà : quand Galilée créa le télescope, quand il découvrit ces lunes en apparence insignifiantes, imaginait-il qu’un jour, sa découverte contribuerait à peaufiner les cartes marines, à sauver des navigateurs ?  C’est ça, la science.  Des  découvertes pour demain.  Hélas, notre époque n’est pas patiente.

Les trouvailles scientifiques sont invisibles pour la plupart du monde, surtout quand elles profitent à des professions moins éclatantes.  Pourtant, la science a soulagé le maçon, le pêcheur, l’éboueur dans leur travail, sans qu’eux-mêmes le réalisent toujours.  Nous tous, à tous les instants, profitons de la rigueur, de la passion et de l’imagination du géomètre, de l’architecte, de l’ingénieur, du biologiste, du physicien…  Aujourd’hui, des portes s’ouvrent automatiquement sous l’effet photoélectrique d’Albert Einstein.  Sans la connaissance de l’espace et des ondes électromagnétiques, les satellites ne gaveraient pas nos téléphones intelligents de données.  La science se cache partout, se mêle de tout.  Dans la rue, dans les boutiques, les cinémas, la chasse, la pêche, les tricots…  Eh oui, vivent les tissus modernes, plus souples, plus brillants, plus résistants !  Dans une sorte d’ingratitude, avec insouciance, nous jouissons des succès de la science.

Aujourd’hui, avec l’éducation pour tous, ou presque, la science et les technologies qui en résultent ont élargi notre vision du monde.  Nous sommes de plus en plus conscients de partager la planète avec d’autres créatures vivantes et du rôle essentiel de l’environnement sur la vie, les activités humaines les modifiant, les menaçant.

Certes, le dernier siècle l’humanité a tiré de la science des avantages sans précédent dans l’histoire de l’espèce humaine.  Hélas, des impacts ont été nuisibles et inquiètent pour le long terme.  Pollution, surconsommation, ondes électromagnétiques, bombe atomique ; recherche de confort à tout prix, individualisme, inégalité.  « La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes. », commentait l’écrivain et biologiste, Jean Rostand.  La science a donc mauvaise presse.  Le public d’aujourd’hui s’en méfie, autant que non sans raison, il se méfie de sa progéniture, la technologie, les innovations techniques se révélant trop souvent introduites au profit d’une minorité privilégiée.  La tendance actuelle à la privatisation et à la mondialisation accentue ce sentiment.  La technologie doit servir la société, pas devenir son maître.

La science aspire au bien de l’humanité, pour une vie meilleure.  Or, sans le vouloir, elle a contribué à l’abomination.  Certes, elle n’a pas tous les torts.  Au contraire.  Les impacts préjudiciables découlent bien davantage du mauvais usage des dérivés de la science que de la science elle-même.  Avant l’envahissement des plastiques dans nos magasins, l’élaboration de produits biodégradables était envisageable.  On n’y a simplement pas pensé à temps.  Une approche multidisciplinaire à long terme et à grande échelle eût été souhaitable, l’insouciance et l’absence d’analyse pour l’avenir ayant engendré une masse imposante de connaissances et une panoplie d’applications technologiques disparates, parfois futiles.  Les regrets ne suffisent plus !  Il faut revenir en arrière !  Hélas, une fois qu’il est entré, essayez de sortir l’éléphant du salon !

Car plusieurs agissent par instinct, sans analyse, sans ordonner leurs pensées.  Certains de nos dirigeants s’y spécialisent.  Au nom de l’économie, pour ne pas dire de l’économie sauvage, on impose des lois « mammouths », on camoufle des réformes qui atténuent les contraintes environnementales sur une industrie avide de profit, on musèle écologistes et scientifiques, on coupe les vivres aux agences de contrôle, aux défenseurs de notre qualité de vie.  Les écosystèmes se bouleversent, des animaux meurent, des espèces s’éteignent, la chaîne alimentaire s’intoxique, nous menace.  On crache des matières toxiques dans l’air que nous respirons, la planète se réchauffe, les catastrophes naturelles se multiplient.  Voilà le produit de l’ignorance, de l’usage intuitif de ce qu’on ignore, du manque de vision, du copinage industrialo-politique.

La science peut très bien s’occuper de développement durable.  Mais les ressources lui manque, ne viennent pas, le pouvoir n’y croit pas, parce que ses priorités sont ailleurs.  La science doit pourtant trouver des fonds.  L’industrie ne demande pas mieux que de lui en procurer, en échange de résultats qui l’avantagent.  Pendant qu’industriels et dirigeants mangent leur caviar dans les chics endroits d’un globe moribond, qu’ailleurs on crève de faim ou sous les balles, et que la science rêve encore d’une vie meilleure, le monde s’autodétruit avec le produit de la science.

Malgré tout, l’espoir demeure.  Tant que l’humain occupera une place dans l’univers, il y aura de la science.  Elle fait partie de l’Homme.  « La science ?  Après tout, qu’est-elle, sinon une longue et systématique curiosité. », écrivait François Rabelais.  Vitale, elle ne consiste certes pas qu’en des formules entrées de force dans la tête.  La science, c’est l’fun lorsque transmise avec passion, lorsque son essentialité est envisagée dans notre quotidien.  Elle sert l’humanité, bien sûr, mais son existence ne repose pas seulement sur cette noble cause.  De tempérament inquiet, l’homme veut surtout connaître, comprendre le monde, ses origines, assouvir ce besoin de se situer dans l’univers.  La science porte aux réflexions, satisfait le besoin de l’esprit de savoir.  Dans Le pouvoir des mots, Edgar  Allan Poe disait : « Ce n’est pas dans la science qu’est le bonheur, mais dans l’acquisition de la science. » Destiné à chercher, rien ne sera plus glorieux pour l’homme que le charme de découvrir.  Et après l’excitation d’avoir découvert, la quête reprendra, d’autres questions s’imposant, d’autres problématiques se manifestant.  Qui sait où la science nous mènera ?  Un jour, une nouvelle particule nous permettra peut-être de voyager dans le temps, nous offrant l’opportunité de corriger nos bêtises.  Ou bien, l’exploration du cosmos nous dénichera un refuge potentiel dans l’éventualité pas si absurde que nous ayons un jour à fuir les cendres de notre incurie.

Le mandat de la science est clair.  Elle doit cependant assumer ses responsabilités dans une approche plus globale, délaisser la recherche obsessive de la croissance, poursuivre ses travaux dans une perspective d’écologie durable.  L’astrophysicien Carl Sagan, dans Contact, concédait que « la science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » La science moderne doit donc s’allier la sagesse des sociétés indigènes et des philosophes de toutes les cultures contre le pouvoir de l’argent, une alliance qui nous sauvera peut-être.

© Jean-Marc Ouellet 2014

Notice biographique

Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)