J’aime la science. Vous vous en doutiez. J’en ai fait ma profession, la médecine, cette science qui soigne,
Dans un monde de guerres, de famines et d’injustices sociales, il est plus délicat de justifier les milliards de dollars investis dans la recherche de particules élémentaires, ou dans l’exploration des confins de l’univers. À quoi peuvent bien servir ces études que seuls quelques nerds saisissent, des marginaux qu’à tort, on imagine à lunettes, à sarrau, les cheveux longs et blancs, distraits, solitaires dans l’antre de leur laboratoire. Parfois, le titre même de leurs travaux est aussi impénétrable qu’un cumulonimbus en plein orage.
On traite souvent d’inutile ce qu’on ne connaît pas vraiment. Les sciences n’y échappent pas, sorte de vengeance de l’ignorance sur le snobisme apparent de certaines disciplines. Ainsi, épineuses, farouches et d’accès difficile, la physique, la chimie et les mathématiques souffrent d’un certain préjugé négatif.
Pendant que nous rêvons sous une pleine lune, peu nous importe les quatre satellites de Jupiter dérobés à nos yeux. À quoi bon ces observations ennuyeuses, ces calculs fastidieux ? Mais voilà : quand Galilée créa le télescope, quand il découvrit ces lunes en apparence insignifiantes, imaginait-il qu’un jour, sa découverte contribuerait à peaufiner les cartes marines, à sauver des navigateurs ? C’est ça, la science. Des découvertes pour demain. Hélas, notre époque n’est pas patiente.
Les trouvailles scientifiques sont invisibles pour la plupart du monde, surtout quand elles profitent à des professions moins éclatantes. Pourtant, la science a soulagé le maçon, le pêcheur, l’éboueur dans leur travail, sans qu’eux-mêmes le réalisent toujours. Nous tous, à tous les instants, profitons de la rigueur, de la passion et de l’imagination du géomètre, de l’architecte, de l’ingénieur, du biologiste, du physicien… Aujourd’hui, des portes s’ouvrent automatiquement sous l’effet photoélectrique d’Albert Einstein. Sans la connaissance de l’espace et des ondes électromagnétiques, les satellites ne gaveraient pas nos téléphones intelligents de données. La science se cache partout, se mêle de tout. Dans la rue, dans les boutiques, les cinémas, la chasse, la pêche, les tricots… Eh oui, vivent les tissus modernes, plus souples, plus brillants, plus résistants ! Dans une sorte d’ingratitude, avec insouciance, nous jouissons des succès de la science.
Certes, le dernier siècle l’humanité a tiré de la science des avantages sans précédent dans l’histoire de l’espèce humaine. Hélas, des impacts ont été nuisibles et inquiètent pour le long terme. Pollution, surconsommation, ondes électromagnétiques, bombe atomique ; recherche de confort à tout prix, individualisme, inégalité. « La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes. », commentait l’écrivain et biologiste, Jean Rostand. La science a donc mauvaise presse. Le public d’aujourd’hui s’en méfie, autant que non sans raison, il se méfie de sa progéniture, la technologie, les innovations techniques se révélant trop souvent introduites au profit d’une minorité privilégiée. La tendance actuelle à la privatisation et à la mondialisation accentue ce sentiment. La technologie doit servir la société, pas devenir son maître.
La science aspire au bien de l’humanité, pour une vie meilleure. Or, sans le vouloir, elle a contribué à l’abomination. Certes, elle n’a pas tous les torts. Au contraire. Les impacts préjudiciables découlent bien davantage du mauvais usage des dérivés de la science que de la science elle-même. Avant l’envahissement des plastiques dans nos magasins, l’élaboration de produits biodégradables était envisageable. On n’y a simplement pas pensé à temps. Une approche multidisciplinaire à long terme et à grande échelle eût été souhaitable, l’insouciance et l’absence d’analyse pour l’avenir ayant engendré une masse imposante de connaissances et une panoplie d’applications technologiques disparates, parfois futiles. Les regrets ne suffisent plus ! Il faut revenir en arrière ! Hélas, une fois qu’il est entré, essayez de sortir l’éléphant du salon !
Car plusieurs agissent par instinct, sans analyse, sans ordonner leurs pensées. Certains de nos dirigeants s’y spécialisent. Au nom de l’économie, pour ne pas dire de l’économie sauvage, on impose des lois « mammouths », on camoufle des réformes qui atténuent les contraintes environnementales sur une industrie avide de profit, on musèle écologistes et scientifiques, on coupe les vivres aux agences de contrôle, aux défenseurs de notre qualité de vie. Les écosystèmes se bouleversent, des animaux meurent, des espèces s’éteignent, la chaîne alimentaire s’intoxique, nous menace. On crache des matières toxiques dans l’air que nous respirons, la planète se réchauffe, les catastrophes naturelles se multiplient. Voilà le produit de l’ignorance, de l’usage intuitif de ce qu’on ignore, du manque de vision, du copinage industrialo-politique.
La science peut très bien s’occuper de développement durable. Mais les ressources lui manque, ne viennent pas, le pouvoir n’y croit pas, parce que ses priorités sont ailleurs. La science doit pourtant trouver des fonds. L’industrie ne demande pas mieux que de lui en procurer, en échange de résultats qui l’avantagent. Pendant qu’industriels et dirigeants mangent leur caviar dans les chics endroits d’un globe moribond, qu’ailleurs on crève de faim ou sous les balles, et que la science rêve encore d’une vie meilleure, le monde s’autodétruit avec le produit de la science.
Malgré tout, l’espoir demeure. Tant que l’humain occupera une place dans l’univers, il y aura de la
Le mandat de la science est clair. Elle doit cependant assumer ses responsabilités dans une approche plus globale, délaisser la recherche obsessive de la croissance, poursuivre ses travaux dans une perspective d’écologie durable. L’astrophysicien Carl Sagan, dans Contact, concédait que « la science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants. » La science moderne doit donc s’allier la sagesse des sociétés indigènes et des philosophes de toutes les cultures contre le pouvoir de l’argent, une alliance qui nous sauvera peut-être.
© Jean-Marc Ouellet 2014