- Vous allez vers B…? Me fit t-elle lorsque je baissais la vitre de ma bagnole.
- Oui, vous avez de la chance, j’y passe. Venez, montez vite !
C’était une dame déjà d’un certain âge, habillée d’une robe mauve foncé parsemée de petites fleurs blanches comme en portent souvent les vieilles femmes, en Ardèche.
Elle posa ses fesses sur le siège, à côté de moi, lissa sa robe du plat de la main, y posa son sac à commission, se tortilla un peu afin de se mettre à l’aise et, jetant un coup d’oeil sur le siège arrière où j’avais mis ma canne à pêche et mes waders :
- Vous allez à la pêche, Monsieur ?
- Oui. Il fait vraiment trop chaud pour rester enfermé.
Au bout d’un petit moment de silence, elle reprit.
- Alors si vous êtes pêcheur, vous avez sans doute entendu parler du Sylvain Poudevigne , non ?
- Sylvain, on l’appelait le sorcier de l’eau. Je sais que beaucoup de personnes trouvent ça ridicule et se moquent de nous. Des rebouteux, des guérisseurs. Nous, on appelle ça plutôt des conjureurs. Il y en a qui vous guérissent du feu comme le père Dours. Même les zonas, il les conjure. Vous n’avez qu’à voir la queue de gens qui vont se faire soigner à sa ferme, pour en être convaincu.
Le Sylvain, lui, c’était l’eau. Ça vient de famille, ce pouvoir-là. Ils se le repassent de père en fils. En tout cas, le Sylvain et l’eau, c’était comme qui dirait « cul et chemise ». Un jour, même, je l’ai surpris dans le Chassezac.
Et puis un jour, Micheline, sa femme est tombée amoureuse du gars de la SAUR, vous savez, la compagnie des eaux. Le type venait relever les compteurs et d’une pierre deux coups, il a levé la Micheline.
Quelques jours après, on l’a retrouvé, le Sylvain. Pendu au cerisier de son jardin. Pendu avec le tuyau d’arrosage. Et là ou ça devient mystérieux, comme avec tous ces sorciers, c’est que le robinet de flotte sur lequel était fixé le tuyau d’arrosage, et bien le robinet était grand ouvert et malgré le noeud coulant enserrant le cou du pauvre homme, l’eau coulait à flots à la sortie du tuyau. Hein, cher Monsieur, comment vous l’expliquez ce phénomène ?
-Tiens, si vous pouviez me laisser juste là, après le virage, ce serait gentil. C’est là qu’elle habite ma fille.
Lorsqu’elle fut sortie de ma voiture, je la vis, plié en deux de rire, s’éloigner à petits pas.
C’est à ce moment, qu’il me vint à l’esprit qu’elle s’était rudement foutu de ma poire, cette satanée bonne femme.