Lors de ma redécouverte du musée Carnavalet dont je vous parlais la semaine dernière, mon regard fut attiré par ce portrait. Qui était cette belle jeune femme dont le regard semble se perdre dans le lointain ? Le cartel m’indiqua qu’il s’agissait de Fortunée Hamelin, peinte par Andrea Appiani en 1796, une des « Merveilleuses » du Directoire. En contemplant ce portrait peint il y a 218 ans j'ai eu envie de savoir ce que fut la vie de Fortunée durant cette période troublée.
(*) Les rires en vieux Français
En réaction à l’égalitarisme vestimentaire des sans-culottes, des modes extravagantes se répandent parmi la jeunesse dorée. Il y a d’abord les « Muscadins » nommés ainsi car ils sont parfumés de musc, portent des costumes excentriques (habit étriqué, cravate bouffante, cheveux poudrés flottants) et tiennent à la main un bâton à poignée plombée appelé « le pouvoir exécutif ». Les « Incroyables » tirent leur nom d’un tic de langage, ils suppriment volontairement les « r » — afin de renier publiquement la Révolution — et répètent continuellement « C’est incoyable ». Enfin les « Merveilleuses » c'est à dire stupéfiantes dans leurs audaces vestimentaires. Sous prétexte d'en finir avec le « gothique » et le « féodal » elles adoptent le style antique, des drapés de mousseline transparents, des pantalons couleur chair, des jupes courtes à la Diane chasseresse faisant apparaître les jambes et les bras nus. Les plus jolies femmes de Paris participent avec frénésie à cette mode. Parmi elles Joséphine de Beauharnais (future épouse de Bonaparte), Theresa Cabarrus connue sous le nom de Madame Tallien, Juliette Récamier, Anne-Françoise-Élisabeth Lange dite Mademoiselle Lange et Fortunée Hamelin.
Née en 1776 à Saint Domingue aux Antilles elle était la fille d’un riche planteur qui mourut lors d’un naufrage. Envoyée en France pour parfaire son éducation elle épousa Romain Hamelin qui consolida sa fortune en devenant fournisseur des armées. La beauté exotique de Fortunée lui permit de s’introduire dans « le tout Paris » de l’époque. Les chroniques de l’époque vantent sa taille de nymphe, ses yeux marron, ses lèvres rouges, ses dents blanches et son teint très brun (ce qui ne ressort pas de son portrait). Outre son physique elle avait des talents de danseuse, montait à cheval, avait de l’esprit et un goût très sûr sur la mode.
Elle lança les robes « à la sauvage » et la couleur « cuisse de nymphe émue » la mode étant alors aux perruques elle en avait plus de 40.
Son surnom de « plus joli polisson de France » vient sans doute de cet épisode. Un jour de l’été 1796 elle se promena avec une autre Merveilleuse sur les Champs-Elysées en robe transparente, la poitrine découverte. Il se produisit alors des attroupements si menaçants qu'elles durent s'enfuir en fiacre. Pour échapper au scandale, son mari l’emmena avec lui en Italie. Elle fit alors la connaissance de Bonaparte à qui elle vouera toute sa vie un véritable culte. Un jour que le général arriva en retard à l’une de ses fêtes elle lui dit : « on voit assez que l’on ne se bat pas ici, général, vous vous y faites attendre ».
Mais les extravagances de la minorité riche et oisive des Merveilleuses et des Incroyables choquaient la grande majorité de la population attachée aux mœurs traditionnelles et scandalisée par le contraste entre ce luxe et la misère ambiante. Bonaparte le comprit très bien lorsqu’il arriva au pouvoir. Avec le retour à l’ordre les « Merveilleuses » s’assagirent car on ne tolérait plus les débordements du Directoire. Fortunée Hamelin épousa en secondes noces le banquier Ouvrard qui fut arrêté en 1807 par la police de Fouché pour ses malversations financières. Pendant la Restauration elle reste fidèle à Napoléon qu’elle aide pendant les Cent jours en l’avertissant du départ de Louis XVIII et en faisant placarder sur les murs de Paris des affiches portant le texte des trois proclamations adressées par l’Empereur à son armée et au peuple français.
Condamnée à l’exil au retour des Bourbons elle revient à Paris au bout de deux ans. Elle ouvre un salon où elle reçoit la bonne société, le prince de Talleyrand notamment et le jeune René de Chateaubriand avec qui elle aurait eu une liaison malgré leur différence d’âge. L’écrivain n’en parle pas dans ses « Mémoires d’outre-tombe » écrites à l’époque où il était devenu l’amant de Juliette Récamier qui détestait sa rivale.
Fortunée Hamelin meurt en avril 1851, elle repose au cimetière du Père Lachaise.