Edith Heard, lauréate pour ses travaux sur l’épigénétique
La Fondation Allianz-Institut de France célèbre 30 ans de soutien à la recherche médicale en remettant son Prix 2013 au Professeur Edith Heard pour ses travaux sur l’épigénétique. Pour la première fois, ce Prix couronne les travaux d’une femme chercheuse.
Directrice du département «Génétique et Biologie du développement» à l’Institut Curie et Professeur au Collège de France, Edith Heard a fait des études supérieures à Cambridge et à Londres, puis a intégré l’Institut Pasteur en 1990. En 2012, Edith Heard a fait son entrée au Collège de France.
Depuis 20 ans, Edith Heard se consacre à l’étude des états d’activation du chromosome X dans les cellules chez les mammifères. L’inactivation du chromosome X est en effet un processus vital pour les femelles de mammifères qui se met en place dès le développement de l’embryon. Ces recherches pourraient permettre de parvenir à traiter certains cancers à l’aide de molécules ciblant les marques épigénétiques en cause.
« Comment, chez les femelles de mammifères, se met en place « l’inactivation du chromosome X ?
C’est une des questions que j’étudie à l’Institut Curie. Dans chaque cellule de mammifère femelle, tous les gènes (ou presque) présents sur l’un des deux chromosomes X sont réprimés.
Cette inactivation se produit très tôt, au cours du développement de l’embryon femelle. Faute de quoi, l’embryon meurt prématurément ! Les femelles ont ainsi trouvé cette étonnante façon d’établir une parité « à rebours » vis-à-vis des mâles – qui eux n’ont qu’un seul chromosome X… Cette inactivation du X est un processus épigénétique.
Une double dose de X, létale pour l’embryon…
Notre équipe vient de montrer que lors du développement embryonnaire, la présence de deux chromosomes X actifs bloque la différenciation des cellules.
C’est pour cette raison qu’une « double dose » du X est létale pour l’embryon femelle.
Mes recherches sont très fondamentales et j’ai la chance de travailler à l’Institut Curie, dédié à la recherche sur le cancer et à ses traitements. D’où mon intérêt pour comprendre le rôle des processus épigénétiques dans le développement des cancers.
Nous venons ainsi de montrer qu’il existe, sur le chromosome X inactif, plusieurs gènes qui sont réactivés de manière aberrante, dans certaines tumeurs du sein.
Les épimutations, de plus en plus souvent mises en cause dans des cancers
Quand on séquence le génome des cellules tumorales, on découvre de nombreux gènes mutés. Mais il arrive qu’on ne trouve pas de mutations dans les gènes où l’on s’y attendait !
De plus en plus souvent, des changements épigénétiques («épimutations») paraissent incriminés dans l’évolution des cancers.
L’inactivation ou l’expression aberrante de certains gènes – sans que leur séquence nucléotidique soit affectée – peut avoir un impact sur la prolifération, la survie ou l’invasivité des cellules tumorales.
Il existe plusieurs gènes « suppresseurs de tumeurs » sur le chromosome X.
Par exemple, le gène FOXP3 réprime normalement le gène Her2 – qui est lui-même amplifié dans certains cancers du sein.
D’où un risque de transformation tumorale, dans certaines cellules, si le gène FOXP3 muté est porté par le chromosome X actif.
Ou si le gène sauvage est inactivé par une épimutation. Par ailleurs, certaines «marques épigénétiques» pourraient servir d’outils diagnostiques ou pronostiques en cancérologie - pour améliorer les signatures moléculaires permettant de classifier les tumeurs et mieux choisir ainsi les traitements appropriés.
A la recherche de traitements anti-cancer ciblant l’épigénome
Ces recherches soulèvent l’espoir de parvenir à traiter certains cancers à l’aide de molécules qui cibleraient spécifiquement les marques épigénétiques en cause.
On dispose déjà de quelques médicaments de ce type. Les progrès à cet égard devraient être rapides, car on dispose d’outils permettant d’établir le profil de l’épigénome des patients atteints de cancer. On peut désormais suivre comment cet épigénome évolue après traitement, dans l’espoir de réussir à mettre au point de nouvelles molécules anti-cancer qui cibleraient l’épigénome. »
L’épigénétique, c’est la transmission de changements de caractères qui ne sont pas fondés sur des variations de séquence de l’ADN. Un phénomène qui bafoue les lois de l’hérédité classique, régies par la génétique mendélienne.
Les caractères épigénétiques sont dus à la présence ou à l’absence de « marques chimiques » qui «taguent» spécifiquement certaines séquences de l’ADN – activant ou inactivant ainsi certains gènes.
Ces marques sont transmises à la descendance, au fil des divisions cellulaires ou des générations sexuées.
L’épigénétique fascine, car elle dessine un paysage du vivant où «tout n’est pas inscrit dans la séquence de l’ADN». Elle explique pourquoi, par exemple, chacun de nous est constitué de cellules aussi différentes que nos cellules du foie, de la peau, du cerveau, des muscles ou des os…
Cela, alors que toutes ces cellules possèdent le même patrimoine génétique.
L’épigénétique fascine, car elle soulève tout un jeu de questions essentielles : quelle part joue-t-elle dans le développement d’un individu ? dans l’hérédité ? dans l’apparition de maladies comme les cancers ?
Quel est, dans cette « hérédité épigénétique », le poids de facteurs de l’environnement : la nutrition du père ou de la mère durant ou avant la grossesse, l’exposition précoce à des polluants ou toxiques, ou encore des stress majeurs vécus par les ascendants, etc. ?
Enfin, quelle est l’importance de ces processus épigénétiques dans l’évolution des espèces ?
Autant d’interrogations captivantes, qui mobilisent aujourd’hui de très nombreux laboratoires à travers le monde.
Edith Heard, une généticienne à l’Institut Curie Elle est la première femme scientifique à recevoir,en 2013, ce prestigieux prix de la Fondation Allianz-Institut de France.
Quand Edith Heard fut nommée professeur au Collège de France, en avril 2012, elle a rejoint les 4 seules autres femmes – pour 47 hommes… – titulaires d’une chaire pérenne dans cette vénérable institution.
C’était la première fois qu’une femme si jeune (47 ans) était nommée au Collège de France.
Au début des années 1980, cette native du Royaume-Uni entame des études de physique à l’université de Cambridge.
Un an plus tard, elle opte pour la biologie, discipline qui lui paraît plus dynamique.
Puis elle s’oriente vers la génétique et choisit un sujet de thèse en cancérologie, à l’Imperial Cancer Research Fund de Londres.Elle rejoint ensuite l’Institut Pasteur en 1990, pour identifier les séquences responsables de l’inactivation du X.
Elle se souvient de débuts difficiles : «mes résultats ne concordaient pas avec les dogmes en vigueur. Cela m’a forcée à concevoir d’autres hypothèses et d’autres stratégies.»
En 1997, elle obtient enfin un résultat positif.
Elle part aux Etats-Unis, à Cold Spring Harbor, pour apprendre des techniques utiles à son approche épigénétique.Elle revient à Paris en 2001 et monte une jeune équipe à l’Institut Curie.
Elle y dirige aujourd’hui une unité Institut Curie-Inserm-CNRS de 100 personnes – dont sa propre équipe d’environ 15 personnes.«Lorsque je suis arrivée à l’université de Cambridge, ce fut un choc pour moi, confie-t-elle : nous n’étions que deux filles, sur les 23 étudiants de première année en physique de mon collège.
On m’a fait comprendre que je n’étais pas tout à fait à ma place».Mais la pugnacité, alliée à une forme de douceur, n’est pas la moindre de ses qualités. «Je fais partie d’une génération de femmes pour lesquelles il restait un peu difficile de percer en sciences.
Clairement, cela a changé aujourd’hui.Avec le recul, je réalise la chance que j’ai eue de mener ma carrière en France – où il était bien plus facile pour une femme de mener de front vie professionnelle et familiale».
Source : Allianz, soutien de la recherche médicale