Pour notre dossier sur les fans, on a demandé à des gens de nous raconter comment ils vivaient la chose.
Texte et aquarelle : Pierrick
Je pourrais parler de Beck pendant des heures.
C'est sûrement la raison pour laquelle on m'a proposé de faire un article sur TEA, à l'occasion d'une thématique sur les fans.
Je vais pourtant tenter de faire court.
La première fois que j'ai eu affaire à Beck c'était en 2004, quand sa version d'"Everybody's Gotta Learn Sometimes" semblait, au moins, une bonne alternative à la version de Zucchero qui polluait les supermarchés, au mieux, la meilleure reprise existante de la chanson des Korgis. A l'époque, bien qu'écoutant déjà pas mal de trucs dont je n'ai toujours pas honte aujourd'hui, je faisais un peu une fixette sur Kurt Cobain et Morrison, héritage fraternel qui me paraissait quand même être un fardeau. Ce n'était pas vraiment "ma" musique et puis être fan de chanteurs morts s'avère très rapidement frustrant. Les raisons sont évidentes, hein, ne serait-ce qu'il n'y a aucune chance de les voir en live et qu'aller taguer la tombe de Jim au Père-Lachaise ou pleurer devant le panneau d'Aberdeen ne vaudra jamais l'émotion de chanter en choeur une de vos chansons favorites avec son créateur.
J'ai dû attendre 2006 et de tomber sur le clip de "Girl" en poussant l'internet de mon internat à son maximum pour avoir une vraie révélation. Un mec pas trop grand, pas trop beau (en tout cas dans ce clip) avait une veste méchamment stylée et l'air de s'en foutre avec classe dans lequel l'adolescent en pleine crise existentielle que j'étais à l'époque se retrouvait pas mal. On m'a envoyé alors quelques titres phares, issus de chaque album, et l'éclectisme, la différence de voix et d'instrus, jusqu'au genre même de certains textes comparés à d'autres, tout ça a constitué une vraie claque. Du R'n'b lubrique aux paroles suintants la sexualité jusqu'à son absurde ("Touch my ass if you're qualified" "It's thursday night I think I'm pregnant again"), jusqu'à l'expression d'un coeur en miettes dans un album rendant hommage à Neil Young, Nick Drake et Gainsbourg ("There's one road back to civilization, but there's no road back to you"), le tout dans deux albums consécutifs (Midnite Vultures puis Sea Change), Beck possède une palette tellement variée que j'ai longtemps douté qu'il s'agissait de la même personne, et que les hasards de Youtube et de Deezer embrouillaient mes recherches. Surtout que Beck est un nom plutôt répandu.
Des titres comme "Nicotine & Gravy", "Girl", "Think I'm in Love" tournaient en boucle dans le petit appareil blanc merdique qui me servait d'MP3. C'était désormais une évidence, je devenais fan de Beck.
Cependant les groupes de fans ne m'ont jamais attiré et j'ai toujours été un peu réticent à l'idée de discuter d'une de mes passions avec des gens qui cherchent les vieux slips de chanteurs dans des poubelles ou qui s'évanouissent à l'idée d'avoir en commun la marque de céréales de leur petit déj avec leur idole. Mais j'ai découvert au fil de ma quête de savoir beckien, une façon totalement différente d'être fan. Un groupe Facebook où les fans se retrouvent avant et après le concert, partagent leurs créations à propos de notre artiste préféré (une japonaise surnommée "Ham" est incroyable, elle a réalisé un clip pour "Timebomb" qui est considéré par beaucoup comme le clip officiel). Une des traditions également est d'aller manger ensemble dans un Zankou Chicken, sorte de fast-food mais bien meilleur, dont Beck cite le nom dans "Debra". Lorsque j'ai eu la chance cet été de parcourir les Etats-Unis de SF à NY, j'ai rencontré en vrai beaucoup de ceux qui n'étaient pendant quatre ans que des avatars sur un forum de discussion. A San Francisco, des jeunes de 7 à 17 ans reprenaient ses chansons dans le cadre du "SF Rock Project"; à Los Angeles, le créateur du groupe de fans m'a contacté pour que j'aie droit moi aussi au Zankou Chicken, il est venu me chercher en voiture et on a parlé Beck et sujets divers le temps d'un fast food. A Salt Lake City j'ai rencontré deux personnes que je considère désormais comme de très bons amis et que je connaissais par le groupe de fans.
Enfin à Brooklyn, ce fut un des plus beaux jours de ma vie quand avec une demi-douzaine de fans, nous avons assistés au concert contre la barrière, à quelques pas de Mr Hansen et nous avons pu, après une heure d'errance, outrepasser la sécurité afin de parler un peu avec lui, serrer la main de ses musiciens et mater, je l’avoue, Binki Shapiro de plus près.
photo : Cynthia Li
Il y aurait un milliard de choses à dire encore sur Bek David Campbell (oui j'aime tirer sur la corde des noms de naissance, nom de famille et périphrases pour éviter les répétitions), son appartenance à la Scientologie (sujet à mille débats ne serait-ce que dans ma tête), ses liens avec des artistes passionnants, autant dans la musique (ses productions pour Malkmus, Thurston Moore, Childish Gambino, ses Record Club avec Os Mutantes et St Vincent, sa BO pour Scott Pilgrim), dans la photographie (il est pote avec l'extrêmement douée Autumn de Wilde), la vidéo (Chris Milk, Michel Gondry, Spike Jonze…) et même la haute-couture (vous avez peut-être vu sa tête dans la dernière campagne d'Hedi Slimane pour Saint-Laurent ?)…
Je vais cependant conclure ici mon article, j'avais promis de faire court et je me retrouve avec un pavé digne de Patton Oswalt dans Parks & Rec. Voici pour nous quitter, un petit TOP 5 un peu random mais évitant les tubes :
• "Feather in Your Cap" : une B-side magnifique, avec des paroles sublimes et une mélancolie délicieuse. Dans le même genre, "Brother" me fait chialer à chaque fois et les paroles sont magiques ("I have read in paper books/ My eyes are glands on twisted hooks"…)
• "Necessary Evil", B-side de Modern Guilt, avec son grain old-school, sa slide guitar accompagnant un blues existentialiste, elle est parfaite.
• "The Vagabond", duo avec Air, présent sur 10 000Hz Legend, l'album le plus ambitieux des deux Français, boudé à sa sortie. Sur le même disque, on peut entendre son falsetto sur "Don't Be Light".
• "Defriended", avec son rythme saccadé, sa basse géniale et ses petites ressemblances avec le son d'Animal Collective. La version de 14 minutes rend la version single banale à côté, je vous la conseille. (Egalement "Gimme" et "I Won’t Be Long", toutes trois sorties cet été)
• "Silk Pillow". En duo avec Donald Glover, et à la production du titre. On n'avait pas entendu Beck rapper depuis un bail, il sait toujours déblatérer du nonsense avec un flot de blanc, certes, mais respectable.