De notre point de vue européen, Scott Pilgrim est un objet intéressant pour le traitement de ce Sujet du mois sur l’adaptation de la bande dessinée au cinéma. Il est vrai que l’histoire de Scott Pilgrim nous est d’abord parvenue au travers de son adaptation cinématographique avant d’être traduite et éditée en français. Le film est absolument fascinant d’originalité, brillant dans l’écriture, passionnant d’audaces formelles. Les superlatifs ne sont pas superflus pour parler de cette adaptation, tant celle-ci s’efforce, avec succès, de dynamiter les codes de la comédie. Le réalisateur n’est d’ailleurs pas un total inconnu dans cette recherche d’originalité assumée et réussie. En effet, Edgar Wright s’était fait remarquer avec les derniers chefs-d’œuvre de la comédie britannique : Shaun of the Dead et Hot Fuzz. Il quitte, avec Scott Pilgrim, son coscénariste Simon Pegg, également acteur des deux films avec Nick Frost, et prouve qu’il est un grand réalisateur comique avec cette adaptation de la BD phénomène au Canada.
© Bryan Lee O’Malley
Véritable œuvre de pop-culture, ce comic/manga canadien est l’histoire de Scott Pilgrim, jeune post-ado de 23 ans habitant à Toronto confronté à des déboires amoureux extraordinaires. Sans emploi et bassiste dans un groupe, les Sex Bob-Bomb, il mène une vie paisible jusqu’au rêve étrange qu’il fait d’une fille aux cheveux colorés qui file à toute allure en scooter. Il la rencontrera, en vrai, et se mettra en couple avec elle. Mais sortir avec cette mystérieuse Ramona Flowers n’est pas chose simple car il devra combattre la ligue de ses sept ex-petits-amis maléfiques.
Ainsi se développe le récit halluciné d’un jeune homme peureux qui devient adulte dans sa quête épique pour conquérir le cœur de la jeune fille. Si la bande dessinée a été un succès considérable outre-Atlantique, c’est qu’elle compile en six volumes un savant mélange de comédie absurde et de comédie romantique, une observation assidue, notamment langagière, d’une génération, confrontée aux références geeks de la génération précédente, celle de l’auteur. Tout ce mélange étonne, détonne, rafraîchit, et forme, derrière un dessin noir et blanc simple inspiré des mangas japonais, une œuvre riche, complexe et unique en son genre.
© Universal Pictures International France
S’il est important de rappeler l’identité de cette bande dessinée, c’est que Edgar Wright, également scénariste de l’adaptation, a choisi de prendre à bras le corps les spécificités de celle-ci, choisissant une fidélité totale à l’œuvre de Bryan Lee O’Malley. C’est un choix artistique audacieux de se donner une telle optique d’adaptation : la bande dessinée et le cinéma sont deux arts bien différents, et il est risqué de vouloir faire du cinéma comme de la BD. Car c’est effectivement ce que fait le réalisateur britannique, avec une habileté impressionnante. Comment respecter une œuvre dessinée de six tomes au plus près ? Comment la réduire pour en faire un film de 1h52 ?
D’abord en trouvant un rythme propre ultra-rapide. Si ce montage peut d’abord perdre le spectateur, il s’allie assez vite à un autre aspect de la bande dessinée que le réalisateur a exacerbé avec intelligence : celui de la musique rock du groupe de Scott. Alors que celle-ci est assez secondaire dans la BD, Edgar Wright choisit d’en faire un des éléments principaux de son film, réussissant ainsi à ramasser l’intrigue en séquences très courtes agrémentées de punchlines agréables, formant une multitude de repères pour permettre de suivre l’action. Mais il ne faut pas oublier aussi que O’Malley a beaucoup travaillé un côté "jeu vidéo" dans son récit original. Si Wright respecte ce choix de départ en développant chaque combat contre les ex-maléfiques comme des niveaux différents avec leurs propres difficultés, récompenses et bonus, il travaille son rythme à la manière d’un speed gaming (terme signifiant « finir un jeu le plus rapidement possible ») respectant l’une des passions du Scott dessiné : passer des heures devant sa console.
© Universal Pictures International France
Cependant, s’il est important de qualifier le film de "hyper-fidèle", c’est que ce sont là les seules différences fondamentales entre les deux formats du récit de Scott, et c’est par cette fidélité que Wright trouve l’originalité de son film. Rien ne semble l’arrêter dans sa volonté de calquer presque littéralement l’œuvre du dessinateur canadien. Cette volonté est telle qu’il va jusqu’à retravailler les images de son film en y incrustant les traits signifiant traditionnellement le mouvement du vent dans le neuvième art, les bruits de la rue, des sonneries, ou encore les notes de guitare, comme ceux-ci auraient été inscrits sur le papier d’une bande dessinée. C’est osé, c’est réussi, et cela participe souvent pleinement à l’atmosphère loufoque que Wright a reprise de l’œuvre adaptée.
C’était sans compter sur le travail de casting bluffant qui a été mené pour trouver les acteurs en mesure d’incarner la multitude des personnages de la bande dessinée. Michael Cera, découvert notamment dans Juno et le génial Supergrave, est l’acteur parfait pour jouer la gaucherie adolescente de Scott Pilgrim. Si le personnage de O’Malley touchait le lecteur par son authenticité, il en est de même pour le jeune acteur canadien qui est l’un des nombreux choix pertinents du réalisateur pour ces protagonistes hauts en couleurs.
Le choix de Mary Elizabeth Winstead pour le personnage de Ramona participe lui aussi à cette hyper-fidélité du film, et il est déroutant de voir à quel point, aidée bien entendu par le travail de coiffure et de maquillage, elle ressemble physiquement à la Ramona Flowers dessinée. De plus, en évitant de prendre une réelle tête d’affiche, Wright respecte énormément le mystère constant qui entoure cette fille, si déroutante et mystérieuse qu’elle en est magnétique. C’est ce mystère que l’on retrouve chez la jeune actrice, peu connue du grand public, et elle devient, en incarnant le magnétisme de Ramona, quelque peu envoûtante.
© Universal Pictures International France
Scott Pilgrim est une bande dessinée à lire et à relire, fourmillant de détails croustillants, tout comme l’adaptation magistrale qu’en a faite Edgar Wright. Seuls les grands cinéastes, ici de comique, sont capables d’adopter une œuvre déjà existante pour se l’approprier. En respectant l’original, souvent au mot près, au plan identique en tout point à la version papier, il réussit à remettre dans le film son sens aigu de la grammaire parodique et humoristique aperçu dans ses œuvres précédentes. Gentiment moqueur, il réussit aussi à retrouver ce qui faisait du Scott de O’Malley un grand héros de fiction : sa fragilité comique, sa peur bleue et sa lâcheté qu’il réussit finalement à surmonter par amour, et ce avec beaucoup d’abnégation et de courage.
Nul doute que tous ceux qui ont été un peu looser dans l’âme comme ce beau personnage attachant s’identifient à lui. Scott Pilgrim est un looser magnifique, et c’est ce qui fait tout son charme, qu’il soit dessiné ou magnifiquement filmé.
Simon Bracquemart
Une bande dessinée de Bryan Lee O’Malley (2004-2010)
Un film de Edgar Wright (2010)