Dans la tradition culinaire du nord du Vietnam, les mets préparés pour le Nouvel an sont d’abord destinés au génie du foyer (protecteur du foyer) et aux ancêtres, avant de pouvoir les déguster à son tour le premier jour de l’année. Ils sont servis traditionnellement dans 4, 6 ou 8 bols et respectivement dans 4, 6 ou 8 assiettes. En général, les plats du nord sont composés du fameux gâteau de riz gluant farci au porc et à la pâte de haricot mungo de forme carrée (bánh chưng), de poulet bouilli (gà luộc), de viande de porc en gelée (thịt đông), de soupe de couenne frite et de légumes (canh bóng bì), de vermicelles de soja aux abats de poulet (miến lòng gà), de mortadelle (giò lụa) et/ou pâté de tête de porc (giò thủ), d’oignons blancs vinaigrés (dưa hành), de légumes en saumure (dưa món), de riz glutineux rouge au momordique de Cochinchine (xôi gấc – car la couleur rouge est une couleur qui représente le bonheur au Vietnam)… Du côté des mets sucrés, il y a toujours un plateau de fruits, des fruits confits et confiseries et des entremets sucrés. Voilà un festin assuré pour bien commencer l’année !
Originaire du sud du Vietnam, ma famille prépare des mets différents de ceux du nord pour le Nouvel an, mais je traiterai en détail ce sujet l’an prochain pour l’année de la chèvre, je vous le promets ! J’ai eu la chance de grandir dans une famille vietnamienne ouverte aux cultures des autres régions du pays, sans ce clivage régionaliste nord / sud très marqué (hélas) qu’on rencontre souvent chez les Vietnamiens. Cela m’a permis, enfant, d’avoir eu la chance de découvrir, de goûter et même d’avoir le plaisir de participer à la confection des plats du nord du nouvel an comme entre autres, le délicieux pâté de tête de porc, appelé Giò thủ, présenté aujourd’hui dans La Kitchenette.
Pour ceux qui ne connaissent pas cet exquis pâté de fête, c’est le jumeau vietnamien du fromage de tête français. Essentiellement à base des morceaux de tête de porc (oreilles, langues, museau), le giò (= « hachis » de porc) thủ (=tête) est parfumé aux champignons noirs et shiitakés, aux oignons et à l’ail, au nuoc mam pur (saumure de poisson) et surtout au poivre. Autrefois, ce pâté de tête était enveloppé dans des feuilles de bananier. Certains en font encore de cette façon. Traditionnellement, il n’y a aucune autre épice ou condiment (pas de cinq-épices, gingembre ou citronnelle) que ceux cités précédemment. Mais comme toujours, il existe plusieurs façons de réaliser ce pâté de tête selon les familles. Certaines personnes ajoutent des épices supplémentaires (des cinq-épices par exemple) pour parfumer, de l’omelette en fines lamelles comme dans le sud pour faire joli, des aromates, de la poudre de bouillon comme il est (trop) souvent d’usage dans la cuisine vietnamienne, ou même du glutamate. En ce qui me concerne, je préfère rester au plus proche de la simplicité.
Une fois que tout est cuit et revenu à la poêle, les gens au Vietnam utilisent souvent des boîtes de lait métalliques vides (qui existent en plusieurs tailles plus ou moins hautes), pour confectionner les pâté de tête. Cela permet d’avoir un long pâté cylindrique et d’obtenir de belles rondelles. Si hors du pays, on ne trouve pas toujours facilement des longues boîtes cylindriques en métal, on peut aussi utiliser des bouteilles en plastique ou simplement des boîtes hermétiques ou des terrines avec couvercle. Personnellement, j’aime utiliser les bouteilles en plastique.
Voici ma recette du pâté de tête à la vietnamienne (Giò thủ).
Préparation : 1 heure. Cuisson : 45 minutes + 15 minutes.
Ingrédients :
- 2 oreilles de porc
- 2 langues de porc
- 2 joues ou 1 museau de porc (si vous n’en trouvez pas, vous pouvez remplacer par du jarret)
- 1 gros oignon haché + 1 gros oignon pour la cuisson de la viande à l’eau
- 3 ou 4 gousses d’ail finement haché
- 20 g de champignons noirs séchés
- 2 têtes de shiitaké (champignons parfumés) séchés
- 2 cuillères à soupe de nuoc mam (saumure de poisson)
- 1 cuillère à soupe de sucre roux de canne
- 1 cuillère à café de poivre noir moulu
- 1 cuillère à soupe de poivres noir et blanc mélangés, à concasser grossièrement.
- 1 cuillère à soupe rase de sel fin + 2 cuillères à soupe de sel pour le nettoyage + 1 cuillère à soupe de sel fin pour la cuisson des morceaux de porc.
- Vinaigre blanc pour nettoyer les oreilles et le museau.
- facultatif : 1 bout de gingembre pour la cuisson à l’eau des morceaux de viande
Matériel :
- Un moule long cylindrique (une bouteille en plastique ou une boîte de conserve haute et fine) pour avoir de belles tranches rondes traditionnelles.
- Sinon, une terrine ou une boîte hermétique rectangulaire fera également l’affaire.
Préparation :
- Bien nettoyer les oreilles, langues et museau avec deux cuillères à soupe de sel. Frotter. Nettoyer en particulière les oreilles et le museau au vinaigre blanc mélangé à un peu d’eau. Rincer abondamment.
- Faire cuire toute la viande dans l’eau bouillante salée (1 cuillère à soupe de sel) avec 1 oignon pelé entier (et facultatif :1 bout de vieux gingembre) pendant 40-45 minutes. Bien surveiller les oreilles au bout de 20-25 minutes. Prendre une baguette asiatique ou une brochette en bois / bambou, et transpercer l’oreille. Si ça passe facilement, retirer les oreilles du bouillon. Si ça cuit trop longtemps, les cartilages vont perdre en croquant. C’est ce croquant qui fait l’intérêt du pâté de tête vietnamien. Laisser cuire le reste des morceaux de viande.
- Après cuisson, sortir du bouillon, nettoyer, laisser refroidir.
- Pendant la cuisson du porc, faire tremper les champignons noirs et shiitakés séchés dans l’eau dans un grand bol pendant 30 minutes. Puis rincer à l’eau pour les nettoyer, égoutter, puis couper les champignons réhydratés en lanières de 2 à 3 mm. Réserver.
- Les oreilles : couper en lanières de 2 à 3 mm d’épaisseur.
- Les langues : peler toute la langue, surtout le dessus de langue qui aura blanchi à la cuisson. Couper en tranches.
- Le museau ou les joues : couper en petits morceaux.
- Peler l’oignon et les gousses d’ail, puis hacher. Concasser grossièrement les grains de poivres noirs et blancs.
- Dans une grande poêle ou marmite, chauffer un peu d’huile sur feu vif, faire revenir l’oignon. Ajouter les oreilles, les langues et le museau ou les joues, puis l’ail. Verser le nuoc mam pur (saumure de poisson), le sel, le sucre, le poivre moulu et les grains de poivre. Faire revenir pendant 10 minutes.
- Ajouter en dernier les champignons. Faire revenir pendant environ 5 minutes. Goûter, rectifier avec un peu de sel, de poivre ou de sucre si nécessaire.
- Lorsque la viande suinte et rend un peu de liquide, devient visqueuse d’aspect, la cuisson arrive à terme. Ce jus est la gelée qui va permettre de lier tous les morceaux de viande en refroidissant. Réserver hors du feu et laisser tiédir.
- A moins de posséder un vrai moule long et cylindrique, on peut en créer un simplement avec une grande bouteille en plastique en coupant le haut de la bouteille. Prendre un grand sac plastique de congélation, chemiser l’intérieur de la bouteille (voir photos).
- Remplir complètement la bouteille de morceaux de viande cuite avec son jus. Bien tasser le contenu au fur et à mesure à l’aide d’une cuillère en bois.
- Au bout de la bouteille, une fois bien remplie avec un peu de débordement de viande, refermer le sachet en plastique en chassant l’air et en comprimant au maximum les morceaux de viande. Faire un nœud au bout. Laisser refroidir à température ambiante pendant 3 à 4 heures.
- Puis garder au réfrigérateur au moins 12 heures avant de déguster. Le froid permettra à l’ensemble du pâté de se former grâce à la « gelée » (nhựa) du porc obtenue pendant la cuisson.
- Le lendemain ou après 12 heures de repos au frais, on peut sortir le pâté de tête de sa bouteille en tirant sur le sachet en plastique.
- Sortir le pâté du sachet et couper en tranches épaisses. Les disposer dans une assiette pour servir.
Et voilà un superbe pâté de tête à la vietnamienne, un délicieux giò thủ pour accompagner les différents mets du Nouvel an vietnamien, ou simplement pour le plaisir d’en savourer sans occasion spéciale, en apéritif, en sandwich ou avec un simple bol de riz blanc… Quel régal !