05 février 2014
J’en viens à me demander si je ne fais pas une fixation sur l’Allemagne du IIIème Reich.
Après avoir lu tous les livres de Philip Kerr et beaucoup apprécié le personnage fictif de Bernhard Gunter, lu avec passion les 1000 pages de Ian Kershaw consacrées à la biographie d’Hitler, je viens de refermer le document d’Erik Larson qui relate l’action de l’ambassadeur des Etats-Unis William Dodd à Berlin de 1934 à 1937.
Car il ne s’agit ni d’un essai, ni d’un roman, ni d’une biographie, mais un peu tout à la fois : un travail soutenu de recherche des sources, de recoupements journalistiques, une mise en scène vivante de la période et des sentiments des protagonistes dignes d’un film, ou plutôt d’un docu-fiction, bien dans la manière de l’ouvrage précédent de l’auteur : « Le Diable dans la ville blanche » que j’avais beaucoup aimé.
Nous voici donc entraînés à Berlin, suivant les traces de cet universitaire modeste, démocrate de l’école de Jefferson, sans éclat, sans fortune, nommé "à défaut » d’autres candidatures par le président Roosevelt à un poste-clé de la diplomatie américaine, alors qu’il n’appartient pas au « petit club » des diplomates de métier. A l’été 1933, William Dodd s’installe à Berlin avec son épouse, son fils Bill Jr. ..et sa fille Martha, 25 ans qui aspire à devenir romancière et laisse derrière elle un mariage raté.
Hitler vient de prendre le pouvoir, dans les rues paradent les odieux SA, on commence à restreindre les libertés des Juifs et on tabasse allègrement dans la rue quiconque ne répond pas assez vite au salut hitlérien.
William Dodd a conservé d’une année universitaire passée à Leipzig une attitude très favorable au peuple allemand et à sa culture. Il ne se montre au début pas hostile aux discriminations auxquelles sont confrontés les Juifs, il trouve même qu’en Amérique aussi, ils ont un peu tendance à devenir trop encombrants … Mais, seul sans doute de sa génération, il va rapidement prendre conscience du climat de terreur larvée, puis plus explicite, qui s’empare du pays sous la botte nazie. Cette ambiance, il n’hésite pas à la comparer à celle de la période de la Terreur sous Robespierre.
Sa fille Martha se montre, elle, au début, tout à fait enthousiaste face à la révolution national-socialiste, et multiplie les liaisons avec des personnalités allemandes de haut rang, des journalistes et de beaux attachés d’ambassade.
Le tournant de cette période est la sanglante répression des équipes des Sturmtruppen du capitaine Röhm, entre le 29 juin et le 2 juillet 1934, la « Nuit des longs couteaux ».
Combien de victimes, nul ne le sait au juste. Mais il est à noter que nul gouvernement ne rappela son ambassadeur, que la population allemande ne manifesta aucune révulsion, que Hitler put quelques jours après cumuler tous les pouvoirs, remilitariser, anéantir les Juifs, agresser l’Europe entière …
Mal vu de ses collègues auxquels il reproche leur manque de rigueur, mal noté de sa hiérarchie, William Dodd est le seul à souhaiter l’abandon de la politique isolationniste de son pays et à prévoir l’imminence du conflit mondial. Sa position d’opposant irréductible, incompatible avec sa mission d’ambassadeur lui vaudra le rappel. Mais une fois sa liberté de parole retrouvée, il se fera le héraut de la lutte contre le nazisme aux Etats-Unis. Quant à Martha, sa fille, elle changera aussi de point de vue jusqu’à se laisser recruter par le NKVD …
Merci à Victoire de m'avoir passé cet authentique "page-turner" ...
Dans le jardin de la Bête, par Erik Larson, traduit de l'anglais par Edith Ochs, Editions Cherche-midi et au Livre de Poche, 628 p. 8,30 €