J’ai aimé que Québec Amérique nous présente “Quelques pas dans l’éternité” dans un tout autre format que les derniers opus de Jean-François Beauchemin. J’ai aimé lire ce petit livre déposé entre mes mains, il s’y est reposé. Que pouvait donc avoir à nous confier, Jean-François Beauchemin, lui qui nous a déjà amené à humer les essentiels thèmes de la vie ?
C’est un journal. Des notes colligées pendant une année, pas sur la pluie et le beau temps mais sur la vie et la mort, sur le ciel et la terre, sur le songe et la réalité. Toujours aussi fouilleur de ses états d’enfance et toujours aussi en alerte devant la beauté. Il ne nous laisse plus le choix de ne pas commencer à le connaître, je parle bien sûr de ceux qui, comme moi, le suivent pas à pas.
La forme du journal apporte un nouvel angle à la pierre précieuse qu’est son propos, que l’on retourne entre nos doigts d’une différente façon. Il y a ce jour à jour, ce quotidien, cette routine d’écriture, cette matière première de son métier assumé, défini : écrivain. Son métier prend beaucoup de place en ces pages qui se tournent au gré des jours de calendrier. Je me suis plu à regarder l’espace temps laissé entre les dates. Qu’avait-il fait qu’il taisait ? J’allais jusqu’à me poser cette question.
Dans ces carnets tenus avec conscience et régularité, on trouve l’homme entier, non pas que les carnets puissent le contenir en entier, mais il renvoie un aboutissement des quatre derniers titres publiés. Nous longeons avec lui son expérience d’écriture, même ses livres pour la jeunesse. Un voile est soulevé afin que nous reluquions les coulisses de sa vie d’écrivain, en sa compagnie. L’écrivain et l’humain sont en relation si intime, presque indissociable.
J’ai réalisé plus que jamais qu’il existe le « avant » et le après son coma : « Ma mort, aux côtés de laquelle je venais de m’étendre quelques jours, m’indiquait désormais où regarder » C’est la première fois que j’ai compris jusqu’à quel point sa maladie, qui a failli lui faucher la vie, l’avait fait rencontrer la douleur. Comment faire pour que la douleur imprégnée dans tes chairs ne transforme ton corps en ennemi juré pour toujours ? C’est l’exercice qu’il s’est employé à faire et qu’il poursuie, pour les séquelles qu’il en reste et toutes les autres qui en découlent.
Ces carnets nous donnent également un aperçu de son modus vivendi, les gestes et pensées qui font de lui un être zen, serein, quand il pourrait être tout autre, à dériver par ses primes pulsions. Sa vie est loin d’être ennuyante, ses mots non plus, et ses réflexions font réfléchir. Ses pensées nous ramènent à soi, en soi. Même s’il donne beaucoup de temps à son compagnon canin, c’est pour mieux réfléchir à l’humain, le centre de l’univers.
Dans ces autres récits, il faisait continuellement référence à la beauté. J’ai été tenté à certains moments de remplacer le mot beauté par « esprit », « dieu », « idéal », « harmonie », juste pour voir si je la comprenais mieux. C’est la beauté qui porte un grand B et je crois que celle-ci varie d’une conscience à l’autre. Ce que je dirais de celle de Jean-François c’est qu’elle apaise, abreuve, rassasie.
La dernière page tournée, j’ai soupiré d’aise, même si ma lecture du début ne laissait pas nécessairement présager une telle satisfaction. Au départ, certaines redites m’ont quelque peu dérangée. La présence d’une histoire, si mince soit-elle, me manquait. Comme les textes s’échelonnent sur une année complète, j’ai perçu un mouvement dans l’humeur de l’auteur. Le début est marqué par une critique littéraire sur son dernier bouquin reçue, indiquant que l’on pouvait croire à de la prétention dans sa manière de s’exprimer. L’auteur a pris soin de nous expliquer jusqu’à quel point, c’est tout le contraire, puisqu’il se met dans le même bateau que ces êtres qui appréhendent mal la vie à certains moments.
Malgré le manque de justesse, je crois avoir compris ce que le critique a tenté dire. Il arrive parfois à Beauchemin d’utiliser un ton de prophète, du genre : « Vous avez tort si vous pensez cela ... ». C’est la forme, pas le fond, on fait la différence si on s’ouvre.
À mesure que j’avançais et plus l’intimité croissait, je faisais de plus en plus corps avec l’écrivain, tombaient des barrières, comme de ces sentences sentencieuses.
Un voeu nouveau d’une belle vivacité est né en moi : répliquer. Je n’ai pas encore placé ma demande au maître « temps », il m’en faudrait une petite réserve pour accomplir ce vœu. Ah, la vie, comme elle nous occupe.