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Carte blanche à Guillaume Bo et Fabio Attanasio

Publié le 04 février 2014 par Llc

Nous entamons aujourd’hui une série d’articles-invités, qui, je l’espère, décidera d’authentiques connaisseurs à nous rejoindre pour partager notre passion pour le style, l’art de vivre et les savoir-faire italiens. Merci à Guillaume Bo, consultant, créateur de Men Need More Style, blog consacré à l’élégance classique et contemporaine, disponible sur Facebook. Merci aussi à Fabio Attanasio, notre confrère napolitain installé à Milan, grand militant, comme nous, de la cause artisanale italienne. Bonne lecture à tous !

Fabio Attanasio/Guillaume Bo : discussion à bâtons rompus

Guillaume Bo – Pour cette première, je m’étais dit que je parlerais couleurs ou histoire du vêtement ou… culture. Laurent m’avait laissé carte blanche. Il s’agissait donc d’être à la hauteur ! En y repensant, je me suis dit qu’un homme pouvait m’aider à faire le lien entre ces éléments qui finalement ne font qu’un lorsque nous parlons d’élégance « à l’italienne ». J’ai donc contacté mon ami Fabio Attanasio (The Bespoke Dudes), qui incarne pour moi la synthèse parfaite entre la sprezzatura, l’élégance naturelle, l’amour des belles matières, la sobriété aussi. Il est en outre, à mon avis, l’un des chefs de file de cette nouvelle école transalpine qui cultive le retour aux sources et un profond désir de voir ces savoir-faire, ce patrimoine reconnus et sauvegardés. Je lui ai donc donné rendez-vous un dimanche après midi. Voici ce que nous nous sommes raconté…

Juste une précision : l’entretien s’est déroulé en anglais et en… espagnol. Oui, je ne parle pas italien et Fabio est plus à l’aise en espagnol qu’en anglais !

fabio attanasio 1 Carte blanche à Guillaume Bo et Fabio Attanasio

Guillaume Bo – Fabio, je sais que tu habites Milan désormais mais ça n’a pas toujours été le cas, c’est même assez récent ?

Fabio Attanasio – Oui, oui, tout à fait Guillaume. Je suis venu m’installer ici il y a cinq ans. J’ai vécu toute ma vie à Naples.

Guillaume Bo – Penses tu que ton amour des vêtements vienne de là ?

Fabio Attanasio – Je ne sais pas vraiment. Ma grand-mère par exemple fabriquait des robes de mariée. Je la voyais coudre tout le temps. J’avoue ne pas m’être posé la question. Ce que je sais c’est que très tôt, j’ai ressenti ce besoin de m’habiller. Au début, j’avais seize ans, ça n’était pas brillant. J’étais dans les trucs à la mode, les marques, etc. Mais ça n’a pas duré longtemps. J’ai très vite su que je préférais acheter mieux, des vêtements qui durent. Et petit à petit, je me suis mis à L.B.M. 1911, à Boglioli, etc. J’étais très maniaque et je rendais folle ma retoucheuse. Je pouvais lui faire faire quatre à cinq fois les mêmes retouches pour quelques millimètres. Ma mère vit toujours à Naples. J’y vais souvent. Ce que je sais, c’est que si la mode est à Milan, le style, lui, se trouve à Naples. En revanche, compte tenu des problèmes économiques et de tous les problèmes propres à la ville, les gens ne peuvent plus se permettre d’aller chez le tailleur. Alors que tu peux encore trouver des tailleurs par dizaines capables de te fabriquer de vraies vestes à la main, à la napolitaine. Mais c’est devenu inabordable pour l’Italien moyen. C’est désormais un vrai luxe. Le danger et le paradoxe sont là de nos jours. Les tailleurs travaillent grâce aux étrangers uniquement. Ils viennent de Dubaï, d’Arabie saoudite, de Hong-Kong, d’Afrique du Sud… Tout notre savoir faire, nous le vendons à d’autres. À Naples, tu peux vraiment sentir cette transformation. À Milan, c’est différent, tu rencontres encore beaucoup de gens bien habillés, mais l’école milanaise est différente. Autant à Naples, les tailleurs tiennent à ce que tes vestes soient aussi légères qu’une chemise, autant ici – et ils peuvent être très bons aussi -, ils aiment l’entoilage complet, la structure. C’est une conception complètement différente !

Guillaume Bo – Crois tu que cette conception soit liée à un choix délibéré ou simplement au climat local ? Pour ma part, je suis convaincu que le culturel est lié à l’environnement. Pour moi, la première école est britannique, les Italiens (et Naples plus spécifiquement, avec cette quasi religion de la légèreté) se la sont appropriée ensuite. Je ne vois donc que le climat pour expliquer cette conception. C’est peut être aussi leur vision de l’élégance ?

Fabio Attanasio – Je ne sais pas vraiment. Peut être. Un mélange des deux, je dirais. Ce que je sais, c’est qu’Attolini est le père de la veste napolitaine que les gentlemen anglais adoptèrent peu de temps après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, même si 90% des tissus utilisés à Naples sont britanniques, les tailleurs fabriquent toujours des vestes aussi légères qu’une chemise !

Guillaume Bo – Je te demandais ça parce que tu es toi-même résolument Italien dans tes choix stylistiques. Tu t’habilles plus léger, plus sport, tu aimes le dépareillé. Tu as aussi un côté plus jeune, ce qui n’a rien de péjoratif dans ma bouche (Fabio aura vingt-sept ans en mars).

Fabio Attanasio – Je suis tout à fait d’accord avec ça. L’un de mes vœux les plus chers serait que les jeunes soient sensibles à l’univers tailleur. A l’heure actuelle, c’est beaucoup trop cher, mais pourquoi ? Il y a cinquante ans, les petites gens, les travailleurs de la classe moyenne allaient chez le tailleur. Une fois dans leur vie peut être, mais ils avaient quelque chose à eux, des étoffes belles et durables. D’ailleurs, ils n’avaient pas le choix. S’ils voulaient un costume, ils devaient s’y rendre. Aujourd’hui, nous avons les grandes enseignes, Zara, H&M, la grande distribution, nous avons perdu le plaisir de ce qui peut durer toute une vie. Je trouve ça particulièrement triste. Si la crise a un aspect positif, alors c’est celui-là. Nous voulons dépenser moins mais mieux, donc redécouvrir la qualité, les tissus. Le consumérisme des années 1980 est sur le point de s’éteindre. Si les tailleurs étaient plus nombreux, les prix baisseraient considérablement. Or, il est devenu quasi impossible de trouver de jeunes tailleurs. J’en connais seulement deux de moins de trente ans. Le sur-mesure n’est pas réservé aux personnes d’un certain âge. Il est destiné aux gentlemen, qu’ils aient dix-huit ou soixante-dix ans.

Guillaume Bo – Tu sais Fabio, vous, Italiens, êtes encore très chanceux. La situation est bien plus dramatique en France. Nous comptons nos tailleurs sur les doigts de la main. À propos, tu aimes le travail artisanal, tu fais la promotion du sur-mesure, mais tu portes aussi du prêt-à-porter ? Je dis souvent aux gens : « Faites les soldes, allez chiner, prenez le temps. Vous trouverez toujours de bonnes affaires ».

Fabio Attanasio – Tu as absolument raison. C’est surtout une histoire de coupe. Tu peux acheter un costume hors de prix mais si les épaules sont trop larges, tu ne seras pas élégant. Au début de The Bespoke Dudes, je m’habillais en prêt-à-porter que je faisais ensuite retoucher. J’aime que tout soit exactement comme je veux. Ceci dit, c’est ma passion, je ne juge pas ceux qui ne sont pas aussi impliqués que moi. La plupart de mes amis se foutent royalement de leur façon de se vêtir. Personnellement, je ne me sens pas à l’aise lorsque mes vêtements ne sont pas adaptés à mon souhait.

Guillaume Bo – Justement, comment t’est venu ce désir de te lancer? Et d’abord, pourquoi ce nom, The Bespoke Dudes ?

Fabio Attanasio – Eh bien, je passais des journées entières sur le web, je stockais des milliers d’images pendant que je faisais mes études. Je suis parti à Buenos Aires pendant six mois pour un stage, et, là-bas, une amie qui me rendait visite m’a dit : « Pourquoi ne pas faire toi aussi un blog? Tu passes ta vie à penser à ça, à tout collectionner ! » L’idée ne m’avait jamais même traversé l’esprit. Je me destinais à être avocat et je travaillais dans ce sens. Une fois rentré en Italie, je me suis rendu compte que mes études me plaisaient moins. Avec trois de mes meilleurs amis de fac, après une après-midi de brainstorming, le nom de Bespoke est devenu évident. Dudes est venu après. Je trouvais ça plus sympa et moins formel que Gentlemen. Et au pluriel parce que je ne voulais pas me mettre en avant, je voulais parler des tenues, d’un esprit. C’est ce que j’apprécie le plus désormais, quand les gens me disent que mes combinaisons leur parlent, qu’ils viennent chercher sur le blog des informations sur les maisons, la façon, les matières. Je crois qu’avoir vécu à Naples m’a donné la culture nécessaire et que maintenant, vivre à Milan me permet de mêler cette culture à la mode en général. J’ai commencé à aller dans les ateliers, je voyais les tissus, je constatais qu’il n’y avait aucune machine. J’en avais des frissons ! Mon premier entretien important, je l’ai eu avec Nicoletta Caraceni. J’étais très nerveux. Les tailleurs me disaient qu’il était rare de rencontrer un jeune homme de vingt-cinq ans passionné de la sorte. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai réalisé que tout ce que j’aimais était là. L’histoire, l’atmosphère, le livre d’or avec tous ces gens comme Yves Saint Laurent, Agnelli… En Italie, personne ne relayait ça.

Guillaume Bo – Personne ne traitait du « sartorialisme ».

Fabio Attanasio – À l’époque, je suivais beaucoup The Sartorialist et je regrettais qu’il ne parle pas des tailleurs, ni même des gens qui portaient du sur-mesure, l’essence du « sartorialisme » en somme. Si j’avais créé un blog sur la mode, ça ne m’aurait mené nulle part. Je souhaitais être le premier Italien à parler de cet univers des tailleurs Italiens. Le plus fou, c’est que des sites ou des blogs existaient déjà, mais en Chine ou au Japon. Les Italiens se moquent de notre signature, de notre histoire. Ils ne s’y intéressent plus. Je rendais visite il y a peu au maître de la veste florentine, Liverano, qui me disait qu’aucun Italien ne voulait venir travailler dans ses ateliers. L’apprentissage est long, les jeunes pensent que c’est mal payé, etc. J’aimerais que les Italiens retrouvent le goût et l’amour des produits italiens.

Guillaume Bo – Ce qui explique aussi le succès de ton blog, c’est que tu proposes des choix. Jusque là, toute personne souhaitant se faire fabriquer un costume en Italie devait faire confiance à un ami ou à la rumeur. Toi, tu commences à répertorier les tailleurs.

Fabio Attanasio – Oui, je voulais créer une plateforme qui permette aux gens de savoir concrètement ce que font tels ou tels tailleurs, en fonction ou non de patrons existants. Beaucoup prétendent tout faire à la main mais c’est faux. Jusque là, j’étais dans l’observation et la recherche. Bientôt, je me permettrai d’émettre des critiques. Je ne veux pas être seulement un site publicitaire. Je pense que mes lecteurs sont demandeurs et ont besoin de pouvoir me faire confiance.

Guillaume Bo – Ce que j’aime aussi dans ta démarche, Fabio, c’est ton élégance mesurée. Tu n’adhères pas à la tendance show off générale que l’on observe au Pitti par exemple, tu n’en fais jamais trop.

Fabio Attanasio – Je recherche la mesure. Je ne suis pas un clown qui s’habille juste pour le Pitti et qui repart. Je m’habille comme je le fais tous les jours, en essayant d’être cohérent. Je ne me déguise pas pour les photographes. L’exemple parfait, je l’ai rencontré en la personne de Mariano Rubinacci. C’est un vrai gentleman, sobre, élégant. Il m’a beaucoup appris. Sur le fait, par exemple, que la cravate n’est pas toujours appropriée et qu’il est bon de s’adapter à l’endroit ou l’on se rend. C’est aussi ça, être un gentleman. Tu n’as pas besoin d’en rajouter.

fabio attanasio 2 Carte blanche à Guillaume Bo et Fabio Attanasio
fabio attanasio 3 Carte blanche à Guillaume Bo et Fabio Attanasio
fabio attanasio 4 Carte blanche à Guillaume Bo et Fabio Attanasio

Guillaume Bo – As-tu dans l’idée de créer ta propre marque ou ce rôle d’ambassadeur du bespoke te satisfait-il ?

Fabio Attanasio – Créer ma marque, beaucoup m’en parlent. Je ne sais pas. Mon rôle de consultant en qui les gens ont confiance me plaît. Il m’est impossible d’imaginer demander de l’argent aux tailleurs en échange de recommandations. Je sais que, grâce à eux, je vais continuer à apprendre. Mon véritable but est de travailler en tant que journaliste, mais je considère que j’ai encore trop de lacunes en anglais. Ce sera la prochaine étape.

Guillaume Bo – Parle-moi un peu des couleurs et de ta façon de t’habiller.

Fabio Attanasio – Mon style n’est pas si étudié que ça. J’applique quelques règles, par exemple ne jamais mettre un pantalon plus foncé que ma veste, porter des couleurs qui me flattent. Le vert olive va avec mon teint, le bleu aussi, je crois que c’est le cas pour nous tous. Tout dépend des tissus, des matières. J’aime beaucoup aussi les tenues dépareillées. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé. Je m’en suis rendu compte au bout d’un certain temps. Je me sens tout simplement plus à l’aise et plus beau dans ce genre de mises, plus confiant. Je prends une pochette, je la glisse là… et c’est bon. Je suis le seul juge de moi même.

Guillaume Bo – Nous parlons depuis un long moment maintenant. Pour conclure, pourrais-tu citer quelqu’un que tu considères comme un vrai gentleman italien ?

Fabio Attanasio – Sans hésiter, je dirais Giampaolo Alliata. Non seulement il a de l’allure, mais il est très respectueux, très élégant en toutes choses.

guillaume bo Carte blanche à Guillaume Bo et Fabio Attanasio
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