Par Pascal Maillard
Dans une chronique de ce jour, Hubert Huertas fait l'hypothèse d'un "pourrissement" de la "Manif pour tous" et d'une "démobilisation accompagnée de la radicalisation de petits groupes morcelés". Tout au contraire, j'estime que ce mouvement populaire, lié à "Jour de colère" et à bien d'autres branches de la fachosphère, constitue une lame de fond, puissante, durable, insidieuse.Un nouveau clérico-fascisme se développe en France, soluble dans le dieudonnisme, et qui se diffuse dans toutes les couches de la société, de la bonne bourgeoisie catholique aux classes sociales les plus défavorisées, prospérant particulièrement dans les quartiers pauvres des banlieues et se nourrissant de la misère matérielle et morale. Nous savons que c'est dans toute l'Europe que la peste brune reprend du poil de la bête, nourrie et renforcée par les politiques qui y sont conduites. La première cause du développement exponentiel des droites extrêmes est bien.
Étude de pieds et de main,1817-1819Théodore GERICAULT,
Musée Fabre, MontpellierCela fait au moins un an que l'on peut observer comment ce milieu protéiforme se déploie sur la toile, emploie habilement les réseaux sociaux et noyaute les commentaires de tous les sites. Même Mediapart est envahi par plusieurs centaines d'abonnés hyperactifs et appartenant à cette fachosphère. L'efficacité de cette pieuvre sous-Marine repose sur un art consommé de la manipulation, qui s'est revélé redoutable à l'occasion du mouvement "Jour de colère" que les pouvoirs publics semblent bien impuissants à juguler.Le site Vigi-gender, d'un professionalisme exceptionnel, et une large campagne de "mailing" aux parents d'élèves, auront permis d'assoir durablement un travail de sape orienté vers l'Education nationale, la communauté enseignante et les recherches en sociologie. Les relais dieudonnesque et soraliens auront fait le reste. A cet égard, il est intéressant de lire l'entretien que Farida Belghoul a donné au site d'information franco-turc Zaman-France. Les commentaires sont éloquents, de même qu'une vidéo qu'on y trouve postée (ici sur Youtube).Cette vidéo témoigne d'une attaque contre la sociologie à partir d'une conception strictement biologiste et génétique de la sexualité. Une attaque délibérée contre tous les féminismes et les associations LGBT. Une attaque contre tous les homosexuels. Une attaque aussi contre l’Éducation nationale et les services publics. A écouter cette professeure de biologie, on a la conviction que ces très excellents manipulateurs voudraient nous faire retourner un siècle en arrière. N'aurait-elle paspeur de l'égalité entre les sexes? Ce qui est certain, c'est que cette campagne perverse est directement homophobe. Elle se développe avec des relais enseignants dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités. Elle ment sciemment et va jusqu'à produire de faux documents. La plus grande vigilance s'impose de la maternelle à l'université.Mais ce qu'il convient de souligner aussi, c'est que cette campagne a des soubassements antisémites. Peu semblent avoir aperçu que l'extrême-droite catholique fait cause commune avec les islamistes les plus radicaux, sur fond d'homophobie et d'antisémitisme. La supposée "théorie du genre" (elle n'existe pas, rappelons-le) serait, selon quelques dangereux idéologues, "le fruit de lesbiennes juives américaines". Où trouve-t-on cette thèse antisémite? Sur un site catholique (ici) et sur le site salafiste Al-Imane (c'est là). La même vidéo. La conférence de Claude Timmerman, un ingénieur qui se fait passer pour un scientifique alors qu'il ne professe que des insanités, circule sur les sites royalistes, catholiques intégristes, dieudonnistes, islamistes, de droite extrême, etc. Il est très facile de la retrouver. Les thèses de Timmerman et des catholiques anti-gender ont leur pendant dans les discours que tiennent aujourd'hui certains imams. Il faut entendre et analyser l'intégralité de ce prêche d'un imam toulousain. Il y a une urgence à saisir et alerter toutes les autorités religieuses, catholiques et musulmanes en priorité, afin qu'elles rappellent à leurs cadres religieux et à leur fidèles, le respect de l'Etat, les lois de la République et les règles du vivre ensemble.Combattre l'extrême-droite est désormais inséparable d'une vigoureuse dénonciation de ces illuminés, catholiques intégristes ou réactionnaires, qui ont réussi à faire la jonction avec certains milieux islamistes. Il y a un énorme travail d'analyse et d'explication à produire pour contrer leurs insinuations et leurs mensonges qui surfent sur l'homophobie ordinaire et visent à la renforcer. La contre-offensive face à ces extrémistes incultes mais bien organisés, doit être conduite dans tous les lieux où ils manipulent l'opinion et diffusent leur venin. C'est-à-dire partout, dans les lieux d'éducation et de culture, dans les établissements scolaires, publics et privés, dans les quartiers populaires surtout, où ils font des ravages. Et ici même, sur Mediapart, comme sur tous les sites où ils s'infiltrent et propèrent. Je profite de ce billet pour reproduire l'Appel de Strasbourg, déjà signé par une centaine d'universitaires, relayé par de nombreux journaux (ici, là ou là), et qui sera mis à la pétition dans les jours qui viennent. Ce texte rétablit la vérité et gagnerait à être largement diffusé. Le combat pour l'égalité doit être conduit avec des outils d'information et d'explication efficaces, avec un souci de pédagogie, mais sans aucune concession pour les manipulateurs de tous poils.
Il est temps de comprendre et de faire comprendre que "La manif pour tous", c'est "LA MANIP POUR TOUS"! Merci de faire passer le message. Pascal Maillard PS : Ce billet constitue la reprise de plusieurs commentaires publiés sur le fil de discussion de cette chronique de Hubert Huertas.Des enseignants et chercheurs de l’Université de Strasbourg réagissent.Depuis quelques jours, les élèves et les parents d’élèves sont harcelés de mails et de SMS provenant d’associations extrémistes qui propagent la rumeur selon laquelle, parce que « le genre » est introduit dans les programmes scolaires, leurs enfants seraient en danger à l’école. Non seulement cette manœuvre de déstabilisation des parents est révoltante (les enfants ont été privés d’école) mais de plus cette rumeur est totalement mensongère.NON, les enfants ne sont pas en danger. Non, il n’y aura pas de projection de films « sexuels » à l’école, et les garçons ne seront pas transformés en filles (et inversement). NON, la prétendue « théorie du genre » n’existe pas. Le genre est simplement un concept pour penser des réalités objectives. On n’est pas homme ou femme de la même manière au moyen-âge et aujourd’hui. On n’est pas homme ou femme de la même manière en Afrique, en Asie, dans le monde arabe, en Suède, en France ou en Italie. On n’est pas homme ou femme de la même manière selon qu’on est cadre ou ouvrier. Le genre est un outil que les scientifiques utilisent pour penser et analyser ces différences.OUI, les programmes scolaires invitent à réfléchir sur les stéréotypes de sexe, car l’école, le collège, le lycée sont le lieu où les enseignants promeuvent l’égalité et le respect mutuel, où les enfants apprennent le respect des différences (culturelle, sexuelle, religieuse).OUI, l’école est le lieu où l’on permet à chacun, par les cours de français, d’histoire, de SVT, d’éducation civique, d’éducation physique, de réfléchir sur les conséquences néfastes des idées reçues et d’interroger certains préjugés, ceux qui ont fait que pendant des siècles un protestant ne se mariait pas avec une catholique, ceux qui font que l’on insulte encore aujourd’hui une ministre à cause de sa couleur de peau, ceux qui font que des petits garçons sont malmenés aux cris de « pédés » dans la cour de l’école, ceux qui font que Matteo n’osera jamais dire qu’il est élevé et aimé par deux mamans, ceux qui font qu’Alice veut mourir car on la traite de garçon manqué, ceux qui créent la haine et la discorde.Les études de genre recouvrent un champ scientifique soutenu par le Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur et le CNRS, et elles ont des utilités nombreuses dans l’éducation et la lutte contre les discriminations : ces études et ces travaux existent à l’université depuis longtemps. L’Académie de Strasbourg organise une journée de formation continue sur cette question, à destination des professeurs d’histoire géographie et, à l’Université de Strasbourg, un cours d’histoire des femmes et du genre est proposé dans la licence de Sciences historiques, tout comme, par exemple, plusieurs cours de sociologie, de sciences de l’éducation, d’anthropologie portent sur le genre. Des séances de sensibilisation aux questions d’égalité entre les sexes sont intégrées dans le parcours de formation des enseignants du primaire et du secondaire.«Vati liest die Zeitung im Wohnzimmer. Mutti ist in der Küche.» (Papa lit le journal dans le salon, Maman est dans la cuisine). Voilà comment les petits Alsaciens apprenaient l’allemand, à travers les aventures de Rolf et Gisela, dans les années 1980.Réfléchir sur le genre, c'est réfléchir sur les effets de ce type de messages. En permettant aux élèves de se demander pourquoi les princesses ne pourraient pas aussi sauver les princes, en montrant que, selon les lieux et les époques, les rôles des hommes et des femmes ont varié et que l’amour a des formes multiples, les chercheurs, les enseignants et les professeurs des écoles permettent aux enfants, citoyens et citoyennes de demain, de construire un monde plus égalitaire et plus harmonieux. Liens utiles concernant cette note :
POUR EN FINIR AVEC LES IDÉES REÇUES.
LES ÉTUDES DE GENRE, LA RECHERCHE ET L’ÉDUCATION : LA BONNE RENCONTRE