Et si la récente baisse de Marine Le Pen dans les sondages d’opinion découlait paradoxalement de la propagation des idées du FN ?

Publié le 03 février 2014 par Délis

De nombreux observateurs ont noté en ce début d’année une baisse de Marine Le Pen dans différents baromètres politiques : par rapport à il y a quelques mois, les Français seraient un peu moins nombreux à en avoir une bonne image, à lui accorder leur confiance ou à souhaiter la voir jouer un rôle important à l’avenir. Pourtant, la nouvelle vague du baromètre de la confiance politique réalisée par le CEVIPOF démontre que les idées du FN continuent de se diffuser dans la population française. Comment peut-on expliquer cet apparent paradoxe ? Faut-il imputer cette dégradation de la cote de confiance de Marine Le Pen, certes ténue mais significative, aux récents accrocs à la stratégie de dédiabolisation ou au contraire y voir les prémices d’une incapacité à incarner durablement une dynamique « anti-système » ? Le lien entre image du Front National, pénétration de ses idées et vote en faveur de ses candidats est-il évident ou ne s’établit pas nécessairement de manière linéaire ?

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Une progression nette et continue des idées portées par le Front National dans l’Opinion

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L’analyse de la dernière vague du baromètre de la confiance politique réalisée par l’institut Opinionway et le CEVIPOF à la fin de l’année 2013 laisse de nouveau entrevoir une progression des discours portés par le Front National, qu’il s’agisse des critiques à l’encontre d’une « classe politique » jugée corrompue et indifférenciée, du rejet de la présence d’immigrés sur le territoire national ou encore de la défense de la souveraineté française face aux menaces extérieures symbolisées, selon lui, par l’Union Européenne et la mondialisation.

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87% des Français estiment en effet aujourd’hui que les responsables politiques se préoccupent peu, voire pas du tout, de ce que pensent les gens comme eux, cette proportion étant en hausse de 2 points par rapport à la vague de l’année dernière et de 6 points par rapport à la première vague du baromètre en 2009. 73% adhèrent à l’idée selon laquelle aujourd’hui, les notions de Gauche et de Droite ne veulent plus rien dire, ce qui correspond à une progression de 5 points en un an et de 10 points en 4 ans. Et 6 Français sur 10 déclarent n’avoir confiance ni en la Droite ni en la Gauche pour gouverner le pays, soit 8 points de plus que lors des deux dernières éditions de cette étude. Les discours du Front National sur la fracture grandissante entre les élites et le peuple et la volonté de ses représentants de renvoyer dos à dos dans une même impuissance « l’UMPS » semblent ainsi fortement entrer en résonnance avec l’état d’esprit des Français à l’encontre de leurs responsables politiques. 31% d’entre eux vont même jusqu’à déclarer ressentir principalement du dégoût à l’encontre de la classe politique française, ce chiffre étant lui aussi en forte hausse par rapport à l’année dernière (+5 points). Sur ce terreau, le Front National cherche à capitaliser sur une proximité affichée avec les Français, la compréhension de leurs problèmes constituant d’ailleurs régulièrement l’une des premières qualités prêtées à ses responsables.

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Le questionnement sur le rapport à « l’autre » semble traduire lui aussi une imprégnation des idées du Front National dans la population française. Ainsi, 67% des Français considèrent désormais qu’il y a trop d’immigrés en France, soit une hausse de 2 points en 12 mois mais surtout de 18 points en 4 ans. 66% des Français disent faire confiance de manière générale aux personnes qui ont une opinion religieuse différente de la leur et 60% à ceux qui ont une nationalité différente, ces deux proportions étant quant à elles en recul respectif de 2 et 5 points par rapport à décembre 2012. Plus globalement, les ¾ des Français estiment qu’on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres, alors que 2/3 étaient de cet avis en 2009.

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Les souhaits concernant la position de la France dans l’Europe et dans le monde dessinent également une « frontisation » des opinions : ainsi, 47% des Français pensent que notre pays doit se protéger davantage du monde aujourd’hui (+1 point par rapport à 2012, +17 points par rapport à 2009) quand 32% considèrent que l’appartenance de la France à l’Union Européenne est une mauvaise chose (+3 points et +9 points). Le parti de Marine Le Pen désire d’ailleurs surfer sur cet euro-scepticisme pour engranger un succès aux élections européennes en mai prochain et pourquoi pas devenir le « 1er parti de France ».

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Enfin, sur les sujets sociétaux, certaines propositions défendues par le Front National progressent également : aujourd’hui 1 Français sur 2 se dit favorable au rétablissement de la peine de mort, soit 5 points de plus qu’en 2012 et 18 points de plus qu’en 2009, le Front National revendiquant le rétablissement de la peine capitale et souhaitant la tenue d’un référendum sur cette question. Lors des débats sur le mariage pour tous ou lors de la réforme pénale, les sondages d’opinion avaient également mis en lumière le « succès » des prises de position du FN auprès d’une frange importante de la population.

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Mais un coup d’arrêt à la progression de Marine Le Pen dans les sondages, voire une légère inflexion

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Cependant, dans le même temps, on observe dans les enquêtes d’opinion un léger recul de la Présidente du Front National :

-   Dans le baromètre du changement dans l’action politique mené par Opinionway pour CLAI/Metronews et LCI, Marine Le Pen subit en effet une baisse de 5 points du nombre de Français se déclarant satisfaits de son action et s’établit donc à 27% ;

-   Même tendance dans le baromètre politique de TNS Sofres / Sopra Group pour Le Figaro Magazine de janvier 2014 : 25% des Français indiquent souhaiter que Marine Le Pen joue un rôle important au cours des mois et des années à venir, soit une baisse marquée de 5 points, alors que la plupart des autres personnalités politiques testées progressent ;

-   Marine Le Pen baisse également de 4 points dans le baromètre de l’action politique d’Ipsos  pour le Point et recule de la 19ème à la 29ème place du classement général. Avec 29% de Français portant à son encontre un jugement favorable, elle enregistre son score le plus faible depuis l’élection de François Hollande.

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Notons que dans l’Observatoire CSA pour les Echos et Radio Classique, la « bonne image » de Marine Le Pen est stable au global à 29% mais enregistre néanmoins une baisse de 3 points parmi les sympathisants de Gauche et de 5 points parmi les sympathisants de Droite par rapport à décembre 2013. De plus, la Présidente du Front National avait reculé dans l’opinion les mois précédents, puisqu’elle recueillait 33% d’opinions positives en octobre 2013 et même 36% en mai de la même année. Idem dans le tableau de bord politique de l’IFOP pour Paris Match : la bonne opinion à l’égard de la Présidente du FN est stable à 36%. Mais rappelons qu’elle bénéficiait de 42% d’opinions positives en octobre dernier, la baisse ayant été mesurée un peu plus précocement que dans les autres instituts.

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Difficile de savoir aujourd’hui si cette légère décrue de l’image de Marine Le Pen dans l’Opinion s’accompagnera d’un « tassement » des intentions de vote en faveur des candidats du Front National aux prochaines élections. Mais rappelons qu’en octobre dernier, dans un sondage LH2 pour le Nouvel Observateur, 24% des Français se disaient prêts à voter pour une liste Front National lors des prochaines élections municipales. Et en novembre, 42% des électeurs indiquaient ne pas exclure de le faire selon un sondage Polling Vox pour l’UEJF (18% certainement et 24% peut-être). A la rentrée de septembre, 16% des personnes interrogées dans le pays par CSA déclaraient avoir l’intention de voter pour une liste soutenue par le Front National ou le Rassemblement Bleu Marine.

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Les prochaines enquêtes de ce type seront à scruter avec attention afin de déterminer si on observe au niveau national un repli de cette dynamique du Front National. Derniers sondages en date qui peuvent avoir figure d’indices : la semaine dernière, un sondage d’intention de vote donnait le candidat FN, Steeve Briois, en tête au premier tour dans le fief d’Hénin-Beaumont mais assez largement battu au second tour. Si cette enquête est à prendre, comme toutes les intentions de vote et particulièrement celles menées dans cette ville, avec précaution, elle peut apparaitre comme un signe d’un potentiel « essoufflement » du Front National. De même à Marseille, les listes du Front National récolteraient selon un sondage mené en début d’année 21% des voix, ce qui constitue un très bon score mais ne dépasse pas le score obtenu par Marine Le Pen à l’élection présidentielle dans cette ville. Selon l’institut BVA, 18% des personnes qui s’expriment aujourd’hui souhaitent une victoire du FN dans leur commune. Là encore, il s’agit d’un score important, mais en recul sensible par rapport à novembre dernier (-4 points). C’est l’abstention qui aujourd’hui semble le plus tenter les électeurs : selon une enquête IFOP commanditée par le JDD, plus d’un tiers des électeurs déclarent qu’ils pourraient ne pas se déplacer aux urnes dans quelques semaines.

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Un échec de la dédiabolisation ou au contraire une banalisation trop efficace ?

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Face à ces tendances contradictoires, plusieurs clefs de lecture sont possibles. L’explication la plus souvent exposée dans les médias en ce début d’année serait que la stratégie de dédiabolisation conduite par Marine Le Pen aurait été mise à mal par les propos de certains candidats FN aux élections municipales sur Christiane Taubira, par les propos polémiques tenus par la Présidente du FN lors de la libération des otages français de retour du Sahel, ou encore par l’affaire Dieudonné. Le parti aurait été rattrapé par ses vieux démons racistes et antisémites, ce qui aurait mis en lumière le caractère superficiel de la dédiabolisation. Cette thèse apparaît convaincante au regard des baisses enregistrées auprès des sympathisants des partis « traditionnels » de Droite. En effet, c’est parmi les sympathisants de la Droite, et notamment ceux de l’UMP, que Marine Le Pen connaît ses plus fortes baisses dans les enquêtes précédemment mentionnées, par exemple -8 points chez Opinionway ou -7 points chez TNS Sofres.  En outre à quelques mois des élections, Marine Le Pen et son parti sont peut-être pénalisés auprès de cette catégorie de population par le fait d’être perçus comme des adversaires des listes UMP. Et ils bénéficient sans doute d’une moindre présence sur le terrain auprès des électeurs. Rencontrant dans certaines villes des difficultés à constituer une liste, les candidats frontistes peinent peut-être à incarner la proximité aux Français qu’ils revendiquent, ce qui les rend moins audibles et laisse plus d’espace aux autres formations politiques.

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Toutefois, se contenter de cette seule explication serait méconnaître que les idées du Front National mais également les actes et opinions racistes continuent de se répandre en France (comme le montrent les chiffres du Ministère de l’Intérieur) et que « l’humour » de Dieudonné fait rire près d’un sympathisant frontiste sur deux selon un sondage Harris Interactive. Et ce serait ignorer que la Présidente du Front National perd également quelques points parmi les personnes les plus proches de sa formation politique. En effet, dans la dernière vague du baromètre d’Ipsos, la Présidente du Front National jouit d’un soutien moins franc des sympathisants FN : 48% d’entre eux portent désormais un jugement « très » favorable sur Marine Le Pen, contre 61% il y a seulement deux mois. L’hypothèse avancée par Federico Vacas, directeur adjoint du département Politique de l’institut apparaît dès lors également probante. Il indique que « La présidente du Front national peine actuellement à faire entendre sa différence vis-à-vis de ce qu’elle appelle « l’UMPS » sur les sujets qui font aujourd’hui l’actualité : tout comme l’ensemble de la classe politique, elle condamne les propos de Dieudonné (même si elle a critiqué l’interdiction du spectacle), elle souligne l’importance de préserver la vie privée des personnalités politiques, elle se démarque des dérapages de certains représentants locaux du FN. ». Ainsi, Marine Le Pen n’incarnerait plus l’anti-système et serait même débordée sur ce point par des acteurs issus de la société civile comme Dieudonné. Cette explication a en outre le mérite de contribuer à éclairer le paradoxe entre la progression des idées coutumières du FN et la baisse de la Présidente du parti dans l’Opinion.

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N’étant alors plus suffisamment « diabolisé » et ne représentant plus le vote contestataire par excellence, le Front National susciterait moins l’intérêt de ses soutiens, voire pousserait moins d’électeurs à se rendre dans les urnes. L’identité du parti se diluerait sous une forme de respectabilité ne convenant pas nécessairement à son électorat caractérisé avant tout par sa colère. Si en 2012, certains imputaient l’échec de Nicolas Sarkozy à sa difficulté à capter les voix du FN en faisant « moins bien que l’original », ne pourrait-on pas penser qu’aujourd’hui, un certain nombre de sympathisants UMP attirés un temps par le FN retourneraient vers leur parti d’origine ou se réfugieraient dans l’abstention, déçus par une Marine Le Pen perçue comme trop proche des autres responsables politiques ? La sécurité, l’immigration, la nécessité de moraliser le monde politique et économique étant désormais des thèmes intégrés par toutes les forces politiques, même de Gauche, le Front National peinerait à conserver sa spécificité. Relevons qu’en octobre dernier, un quart des Français déclarait considérer le FN comme un parti de droite classique, cette opinion étant même particulièrement défendue par les ouvriers (38%) et les plus modestes (37%). Si expliquer le moindre soutien à Marine Le Pen par un sentiment croissant de banalisation du FN est également séduisant, soulignons toutefois que pour l’instant, les sympathisants frontistes demeurent parmi les plus mobilisés pour les futures élections municipales.

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Les raisons de la légère inflexion de la cote de Marine Le Pen dans les sondages ne sont sans doute pas monolithiques et les deux explications présentées ci-dessus illustrent bien la ligne de crête à laquelle est obligée de s’astreindre la Présidente du FN pour ne pas froisser sa base tout en espérant élargir son socle électoral. La stratégie de dédiabolisation du Front National qu’elle a portée depuis son élection semble jusqu’à maintenant avoir porté ses fruits. Mais si la baisse se poursuit pour elle dans les enquêtes d’opinion et que le succès n’est pas aussi grand qu’escompté aux élections municipales et européennes, Marine Le Pen pourrait se retrouver en difficulté dans son propre camp et être amenée à revoir ou assouplir sa stratégie politique des dernières années.

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Cette analyse a également été publiée sur le site d’Atlantico