[anthologie permanente] Marie-Claire Bancquart

Par Florence Trocmé

Marie-Claire Bancquart publie Mots de passe aux éditions Le Castor astral.  


Au sommet des églises, des cathédrales 
veillent d’étranges bêtes 
juchées sur le penchant des toits 
 
elles sauvegardent les paroles fortes des hommes 
tourment ou amour 
 
 
et l’en-deçà même de la parole :  
quand nous savions  
seulement 
grogner, gémir, hurler 
 
 
 
langages  
non explicites 
 
nous en avons perdu le souvenir 
 
 
ils ont inspiré sourdement les sculpteurs.  
 
○ 
 
Notre nom de charretier flamand, sur les routes cahoteuses du Nord. 
Peut-être celles qui transportaient le poisson vers Paris ? Les enfants des pauvres faisaient semblant de jour à cache-cache autour de la voiture, dans l’espoir, au vrai, de s’emparer d’un hareng.  
Quelquefois, nous nous retournions sur les bancs pour en attraper un, le leur lancer. Nous n’étions plus des Bancquart, mais des Chevaliers de la Charrette…. 
 
 
… Nous ?  
C’est un nom que tu as reçu d’un inconnu, voici quelques siècles. Seule information certaine : il possédait une charrette à bancs.  
 
Moi, ce nom, je l’ai pris, je l’ai dérobé. Le mien premier colle à mes cartes d’identité, de sécurité sociale. 
Du moins puis-je le repousser de mes écrits, prendre le tien comme l’inverse d’un pseudonyme, comme un vrai nom de cœur.  
 
Noms : 
 
difficiles 
jamais tout à fait sûrs. 
 
Ah, pouvoir être un anonyme de l’amour…
 
 
○ 
 
Combien d’arbres durant ce voyage 
ont pris parole entre le ciel et nous 
sans que nous connaissions leur nom 
 
pas plus 
que celui des bêtes, dans l’écorce, entre les feuilles.  
 
Mais un sourd travail est venu de ces anonymes 
 
peu importait chaque élément 
 
nous vivions comme en filigrane 
dans leur ensemble énigmatique 
 
À notre tour  
nous étions 
évidents 
et inexplicables.  
 
○ 
 
Si je pouvais saisir un petit rien 
un morceau du rien 
toutes choses viendraient à moi 
elles qui dansent  
dans son étoffe 
 
Si je pouvais 
mordre les choses dans leur plein 
je connaîtrais le goût profond du monde 
 
indécise 
je me tiens droite au moins 
 
entre mes lèvres 
un début de motet 
pour fondre la neige 
traverser de rythmes la terre… 
 
On entend du temps battre 
comme une promesse de vie dans un œuf.  
 
 
Marie-Claire Bancquart, Mots de Passe, Le Castor Astral, 2014, pp. 9, 13 et 15 et 137.  
 
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