Voici l’interview « tendue comme un string » de Brüno, le dessinateur du polar noir ‘Tyler Cross », scénarisé par Fabien Nury
Cette interview complète notre article sur cet album largement récompensé (Prix Fnac BD 2013, sélection polar Angoulême 2014) qui a su trouver un large public
Cette interview complète notre article sur cet album largement récompensé (Prix Fnac BD 2013, sélection polar Angoulême 2014) qui a su trouver un large public
Réalisée sur le festival d’Angoulême 2014,
Par Jacques Viel, pour le site www.unamourdebd.fr
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J.V. : Tu avais travaillé avec Fabien Nury Sur « Atar Gul » précédemment. Vous êtes partis pour continuer toute la vie ?
Brüno : Tant que ça se passe aussi bien que Tyler Cross, il n’y a pas de raison de s’arrêter.
J.V. : Le deuxième épisode de Tyler est en cours. Vous en êtes ou ?
Brüno : Fabien a fini le découpage. Il a écrit les 90 pages de l’album. On commence à travailler la mise en scène et le découpage. (une quinzaine de pages). Je suis dans les temps.
J.V. :C’est prévu pour ?
Brüno : Fin aout / début septembre 2015.
J.V. : 2015 ???
Brüno : Mon éditeur, le premier aurait souhaité une parution un an après. Mais vu qu’il y a 90 pages et que le projet est assez ambitieux, je ne peux pas le faire en un an.
En discutant avec Fabien, on préférait prendre notre temps. On n’a pas laissé le lecteur sur le bord de la route, puisque c’était un « One shot ». Il n’attendait pas forcément une suite. Pour faire les choses bien et proposer un tome 2 au moins aussi bon que le prime, on va prendre notre temps.
On veut garder la bonne énergie qui s’est mise en place.
Brüno : C’est Fabien (jury) qui m’a invité dans un univers qu’il connait parfaitement. Le roman noir coule dans ces veines. C’est un grand connaisseur de romans noirs et des films noirs américains des années 40/50. Il connait bien ce sujet. C’est lui qui m’a proposé de situer « Tyler Cross » dans les années 50 avec comme influences principales des films comme « Un homme est passé », parmi tant d’autres.
Il n’a pas eu à me motiver très longtemps. Il m’a envoyé des très belles photos en noir et blanc où on voyait Bogart avec un Shotgun. En les voyant, je me suis dit que ça allait bien voler avec mon type de graphisme.
J.V. : As-tu adapté ton dessin « naturel » pour coller au style, en forçant les masses noires par exemple ?
Brüno : A la fois le ton du projet et le travail avec Fabien sur la mise en scène ont fait que j’ai du tirer mon dessin vers quelque chose qui était déjà présent dans mon graphisme que j’avais commencé à développer dans « Atar Gul ». Je suis parti des influences naturelles, qui sont la « ligne claire franco-belge », pour aller vers du plus impressionniste et plus réaliste. Du coup, j’ai durci mon dessin, travaillé les masses de noir, parce que le projet et le thème exigeaient un dessin plus dur.
Sur « Commando Colonial », avec Apollo, mon dessin était plus rond; la mise en scène très inspirée de la ligne claire franco-belge classique.
Dans « Tyler Cross », mon dessin est plus expressionniste et un peu plus réaliste, adulte. En même temps, la narration est plus réaliste. On pourrait la qualifier de « cinématographique ». Il y a beaucoup de cases en cinémascope, énormément de gros plans, d’amorces qui viennent booster les compositions. Ca n’a pas été une mince affaire à mettre en place, car mon style de narration naturel est plus « théâtral », avec des plans moyens, cadrés en pied, et assez peu de format cinémascope.
Il a fallut que je confronte mon dessin très synthétique à une forme de narration réaliste.
Je trouve que Le mélange des deux est assez intéressant. Ca m’a appris à ouvrir ma palette « d’outils » en terme de narration. En commençant le tome 2, je me rends compte que c’est rentré; j’ai intégré ces « outils ».
J.V. : Ce sont des choix que vous faites à deux ?
Brüno: Fabien n’est pas directif, mais il intervient énormément. On fait la mise en scène à deux. Je lui propose un premier jet en storyboard, plus ou moins poussé. On part de ça, en discutant longuement. Sur Tyler Cross, il n’y a pas une seule page qu’on ait pas remixé intégralement. Une fois qu’on est calé sur la mise scène, je passe à la mise au propre. Là, il n’intervient plus. Il ne parle jamais de dessin, seulement de mise en scène, de découpage. C’est un truc qu’il adore travailler, comme moi. Donc, les échanges sont très riches. La contrepartie, c’est que c’est assez chronophage. il faut convaincre deux personnes; c’est un ping-pong incessant.
Brüno : Je fais des propositions, comme un casting. Une fois qu’on s’est mis d’accord, ça roule. C’est vrai que le personnage de Stela dans Tyler Cross est un peu spécial. C’était au début de notre relation. On avait discuté aux stades des crayonnés et de la mise en scène. Quand j’ai commencé la mise au propre, j’ai dessinée une Stela à la « Jayne Mansfield », ou aux filles que dessine Crumb, assez plantureuse, un peu vulgaire. Plus « Lorna » que « Kim Novak ». J’ai encré 3 pages comme ça. Fabien a attendu ces 3 pages avant de décrocher son téléphone et venir me dire qu’il n’était pas sur.. On a discuté longuement et il m’a convaincu avec un argument massue. Il m’a dit « là, comme tu l’a dessiné, ça pourrait m’aller, mais elle porte sur elle l’histoire que potentiellement, tout le village lui ai passée dessus. Il faut que tu dessines quelqu’un de plus classe, pour que la scène ou elle se fait malmener par son père soit plus forte. J’ai accepté, fais des rustines, une coupe plus garçonne. C’est le seul moment ou je suis revenu sur des pages encrées.
Apres, on a des échanges assez sains. Je n’ai pas un égo de dessinateur mal placé. J’ai à coeur de servir le livre avant tout. Je suis capable d’entendre des arguments qui vont dans ce sens. Fabien est aussi capable de retravailler un texte après une mise en image.
J.V. : Il y a beaucoup de planches d’actions pures, qui ne sont pas noyés par les dialogues. Que reçois-tu comme informations ?
Brüno : Les livres qu’on a fait ensemble ont ça en commun. Faben a utilisé une écriture à l’image de mon dessin. Ultra-efficace, dégrossi, sans fioritures.
Fabien Nury est un scénariste qui pense en image. Il est capable de scénariser une scène d’action qui ne comprend qu’une ligne de texte. Je trouve ça intéressant.
J.V. : j’ai été très impressionné par l’impact graphique de Tyler Cross. C’était une envie au départ ?
Brüno : On a essayé que tout soit au cordeau, et qu’il y ai fun maximum d’intensité tout le temps, que le message passe avec un maximums de force. C’est nécessaire avec un genre comme le roman noir ou le polar que tu prennes claque sur claque. Dans un genre plus intimiste, tu as le droit d’être « relâché » dans ta façon de raconter. Là, tu es dans un genre ultra balisé, avec un personnage qu’on pourrait trouver dans un « Dirty Harry » ou l’homme sans nom des « Sergio Léone ». On avait à l’esprit le cinéma de Léone ou il n’y a pas de baisse de rythme, excepté que c’est induit dans le récit. Dans l’album, c’est le cas quand Tyler arrive dans le patelin. Mais c’est normal, car il y a une sorte de torpeur dans le lieu… Des qu’on se met en marche, il faut que ça tape à chaque page.
J.V. : La couverture (en split-screen) est une « reprise » de l’affiche de « I died a thousand times »…
Brüno : Fabien m’avait envoyé pas mal d’images de films des années 50, début 60. Lui, comme moi, on adore les affiches composites. Celle-là m’avait tapé dans l’oeil.
Je l’ai reprise comme tel, en reprenant des cases. on a fait des roughs. On était surpris de la facilité avec laquelle on arrivait à un résultat hyper satisfaisant et impactant qui résumait à merveille le projet. C’était trop facile, à tel point qu’on a essayé d’explorer d’autres pistes. On s’est rendu compte que cette première idée était la bonne. Il suffisait de la peaufiner. Il y a des graphistes qui ont fait du super boulot à cette époque. Pourquoi pas s’inspirer de ces excellents travaux ?
C’est Fabien qui est à l’origine de cette piste. Il s’investit même sur cet aspect-là. Très rapidement, il m’a orienté sur une démarche différente, pas plein pot, comme souvent en bande dessinée. Moi, j’adore la « Punch line » sur la couv’ : »Un jour Tyler Cross paiera pour ces crimes, en attendant il en commet d’autres ». On était super contents. En deux phrases, tout le projet est résumé. Tu n’a même pas besoin d’ouvrir le bouquin, tu sais où tu vas.
J.V. : Tu n’a pas fais la couleur. Pourquoi ce choix ?
Brüno : Laurence Croix, je travaille avec elle depuis que je fais de la bande dessinée en couleur. Je ne me sens pas capable de faire la mise en couleur sur tout un album. Quand j’ai fais « Lorna », j’ai choisi la bichromie pour restreindre les possibilités. Je n’allais pas me faire de noeuds au cerveaux en cherchant les gammes colorées. Donc, je suis très content de travailler avec Laurence, car elle fait un super boulot, et je n’ai pas à me préoccuper de la mise en couleur. C’est un vrai échange que je fais avec elle.
Je n’ai pas vraiment de couleurs préférées ou rédhibitoires. Si j’essayais de faire une mise en couleurs totales, je serais vite perdu.
J.V. : C’est une BD que j’ai envie de lire en musique. Si tu avais une playlist à nous conseiller ?
Brüno : C’est assez difficile. Quand j’ai fais l’album, j’écoutais la période électrique de Miles Davis (68-75). C’est ce que j’adore le plus en musique. Je n’ai rien trouvé qui soit aussi puissant que ce truc-là. C’est assez proche du coté très noir, très dur de « Tyler Cross ».