Le vallenato : un goût de Colombie au Venezuela

Publié le 03 février 2014 par Jean-Luc Crucifix @jlcrcfx

L’accordéon : instrument emblématique du vallenato

De retour de froides contrées et après une méchante grippe qui m’a littéralement terrassé, je reprends possession de cet espace.

Une fois n’est pas coutume, je commencerai cet article par une confidence. Lors de mon arrivée au Venezuela –c’était hier, en octobre 1983–, je me suis amouraché dès le troisième jour de ma présence dans ce nouveau pays. Non pas d’une jolie vénézuélienne –encore que…– mais d’une pièce musicale entendue dans un minibus passablement démantibulé qui me conduisait au village de Jají, près de Mérida. À l’époque, je ne connaissais absolument rien de la musique locale, mais le solo d’accordéon que j’ai subitement entendu, dans un style totalement inattendu sous ces latitudes, m’a conquis dès les premières notes.

J’ai su plus tard, après avoir décrit la musique à des amis, que le morceau en question s’intitulait Debajo del higuerón, qu’il était interprété par le groupe Binomio de Oro, et que le genre musical s’appelait le vallenato. J’appris aussi qu’il ne s’agissait pas d’une musique vénézuélienne, mais bien colombienne.

Depuis lors, mon intérêt pour le vallenato n’a jamais faibli. Je retrouvais dans ces solos d’accordéon la liberté des improvisations jazz et dans cette musique d’extraction éminemment populaire quelque chose qui ressemblait au blues, la tristesse en moins : les mêmes histoires du quotidien le plus simple et parfois le plus cru.

À contre-courant

Avec un groupe d’amis, nous avions quasiment formé une confrérie du vallenato à l’Université des Andes, où j’étudiais. Ce faisant, nous ne craignions pas d’aller à contre-courant des tendances et de la mode. En effet, le vallenato, musique populaire s’il en est, était vu par les petits bourgeois universitaires comme une musique de pauvres –pire encore, de paysans pauvres– donc dénuée du moindre intérêt pour qui voudrait grimper dans l’échelle sociale.

Qu’à cela ne tienne : nous avions un grand allié en la personne de Gabriel García Márquez, grand amateur de vallenato, la musique qui a bercé son enfance dans la région de Valledupar. Le grand écrivain et conteur nous fournissait l’alibi intellectuel parfait pour répliquer aux quolibets dont nous étions l’objet lorsque nous lancions un vallenato au cours de nos fêtes !

La fièvre ne s’est pas arrêtée là. J’ai été jusqu’à exporter le vallenato en terres européennes ! Lors d’un de mes voyages en Belgique, j’avais emporté avec moi quelques disques de musique vénézuélienne… ainsi que, bien entendu, de vallenato. J’ai eu l’occasion de présenter cette musique, commentaires à l’appui, dans quelques stations de radio bruxelloises.

Surprise

De retour au Venezuela, grande nouvelle : le groupe Binomio de Oro allait se présenter à El Vigía, à moins de deux heures de route de ma ville. Inutile de dire qu’avec les amis, nous avons fait le déplacement. Et là, il s’est produit un événement que, sur le coup, je n’ai pas tout à fait compris. En plein milieu du concert, ne voilà-t-il pas que Rafael Orozco, le chanteur du groupe, annonce à la foule qu’un jeune Belge a fait la promotion du vallenato dans son pays, que cette personne se trouve dans la foule et qu’il l’invite à monter sur scène !

Me faufilant parmi le public présent, j’ai obtempéré et je suis donc monté sur scène, où les compères de Binomio de Oro m’ont posé toutes sortes de questions à propos de mon engouement pour le vallenato. Ils étaient visiblement étonnés (et fiers) de voir un Européen s’intéresser à leur musique populaire. Heureusement, ils ne m’ont pas demancé de chanter ou de danser, j’en aurais perdu tout mon glamour !

Mon bref moment de gloire passé, j’ai appris que c’était un des mes amis vénézuéliens qui, dans les coulisses, avait concocté cette rencontre inattendue. Voilà donc pour mon histoire personnelle avec le vallenato.

Naufrage d’un navire

Je n’entrerai pas ici dans les détails de l’histoire officielle du vallenato, pour laquelle je vous renvoie aux articles de Wikipedia en espagnol ou en anglais. Sachez cependant qu’à l’origine de ce genre musical, il y a deux siècles, c’est une flûte qui faisait office d’instrument soliste. Selon l’histoire –ou la légende ?– l’accordéon, actuel instrument emblématique du vallenato, n’a été introduit qu’à la fin du 19e siècle, à la suite du naufrage d’un navire allemand rempli d’accordéons sur la côte caribéenne de la Colombie !

Tambour, guacharaca, accordéon : les trois instruments traditionnels du vallenato

Après une période traditionnelle durant laquelle l’instrumentation était limitée à  l’accordéon, à un petit tambour appelé caja et à la guacharaca, un instrument de friction, le genre s’est modernisé et commercialisé aux alentours des années 1970, avec l’adjonction d’un chanteur et de nouveaux instruments, comme la basse ou le piano électrique. Les paroles des chansons ont aussi évolué, évoquant de moins en moins la vie quotidienne des paysans et s’attachant de plus en plus à des thèmes romantiques. À cette période, le vallenato a essaimé vers d’autres pays latinoaméricains, notamment le Venezuela et le Mexique.

Nouvelle vague

Enfin, depuis une quinzaine d’années, une nouvelle vague de vallenato a surgi, mélangeant le genre avec le pop, le rock ou le reggae. Dans la foulée. le genre atteignait une reconnaissance internationale, notamment grâce à un chanteur comme Carlos Vives. Parallèlement s’est développé un vallenato populaire dont les thèmes de prédilection sont plus urbains.

Au Venezuela, le genre reste très vivace parmi les couches populaires de l’ensemble du pays. Même les indiens Warao du delta de l’Orénoque, tout à l’opposé de la Colombie, en sont friands.  Par contre, le vallenato reste décrié par les bien-pensants des classes moyennes et supérieures qui lui reprochent d’être… colombien et surtout d’être vulgaire. Vision typiquement "classiste" qui ne rend pas justice à cette musique qui a su se renouveler sans perdre son esprit : celui du peuple colombien, frère par excellence du peuple vénézuélien.

Le vallenato est une musique de pauvres, sans aucun doute (et alors ?), mais il est loin d’être une musique pauvre.

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Vous voulez en savoir plus sur le vallenato ? Cela tombe bien, Gilles Bègue, spécialiste de la musique vénézuélienne, consacre sa prochaine émission sur la radio de Mende 48fm au vallenato, et plus spécialement à Andrés Acosta "Gusi". Diffusion le jeudi 6 février à 20 h (heure française) / 14h30 (heure vénézuélienne) et rediffusion le dimanche 9 février à 16 h (heure française) / 10h30 (heure vénézuélienne. Et si vous ratez l’émission en direct sur Internet, pas de panique, un podcast sera disponible après la diffusion.

Dans la foulée, ne manquez pas le long-métrage documentaire El acordeón del diablo [L'accordéon du diable] du réalisateur allemand Stefan Schwietert, qui raconte l’histoire réelle et mythique du vallenato à travers la vie d’un des ses plus fameux interprètes, Francisco Rada, grand virtuose de l’accordéon. Une histoire empreinte de réalisme magique que ne désavouerait pas Gabriel García Márquez.


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