Michaël Foessel lui-même, en 2008, posait la question en ces termes: «Qu’auraient été les revendications féministes si l’on n’avait pas arraché une part de “privé” à la sphère de la domesticité? Contrairement à ce que suppose la sacralisation de l’espace public, ce qui se passe dans un couple, une cuisine ou même, horresco referens, dans une chambre à coucher peut être l’objet d’une démocratisation puisque ces lieux sont susceptibles d’injustice et de domination.» Et il ajoutait: «Il n’y a aucune raison de croire que la mise en discussion des liens intimes entre les personnes soit de nature antipolitique. Il est en revanche certain qu’elle n’est pas apolitique, puisque des conditions institutionnelles sont requises pour que la sphère privée devienne, à son tour, un espace égalitaire.» À propos des Anciens, Hannah Arendt ne disait pas autre chose: «Vivre une vie entièrement privée, c’est avant tout être privé de choses essentielles à une vie véritablement humaine.» Exemple, le partage d’un monde commun qui compose l’essentiel d’une vision de la et du politique, et qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne sort pas indemne d’une focalisation sur la vie domestique…
Intérêt. Cette semaine, le célèbre avocat et écrivain prolixe Emmanuel Pierrat, dans une tribune passionnante donnée au Monde, va plus loin encore. Et provoque des maux de tête supplémentaires par le caractère tranché de son argumentation. Pour lui, pas de doute : la vie privée des personnalités politiques fait partie de la vie publique. Là encore, chers lecteurs, vous montrez par principe de la réticence devant ce genre d’affirmation. Mais Emmanuel Pierrat n’en démord pas. Il faudrait «renverser le principe selon lequel la règle, en politique, serait le respect de la vie privée, au détriment de la liberté d’expression». D’après lui, les observateurs offusqués confondent la vie privée de l’article 9 du Code civil («Chacun a droit au respect de sa vie privée») avec celle de l’article 226-1 du Code pénal (qui vise les photos prises dans un domicile et les micros cachés) et surtout les termes de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme («Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance»). L’avocat et écrivain explique: «La vie privée des élus concerne d’abord les électeurs: Julie Gayet et François Hollande ont-ils utilisé un appartement financé par l’argent public? La fidélité proclamée et contredite n’appartient-elle pas au domaine de l’information? Et cette analyse est valable pour le roman comme pour la presse – Zola a aussi bien œuvré dans J’accuse que dans Germinal.» Sa conclusion? Elle est semblable à la récente décision de la cour d’appel de Paris, qui a cassé un premier jugement concernant le livre d’Octave Nitkowski sur le FN dans le Nord-Pas-de-Calais, dans lequel l’auteur révélait l’homosexualité d’un candidat, Steeve Briois, qui n’est autre que le secrétaire général du front-nationaliste de Fifille-la-voilà. La cour d’appel a déclaré que, «en raison de son statut de personnalité politique de premier plan», le droit du public à être informé sur ce haut responsable du FN prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée» car c’est «de nature à apporter une contribution à un débat d’intérêt général». Les temps changent très vite, n’est-ce pas?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 31 janvier 2014.]