L’Art, la mémoire et l’oubli

Publié le 02 février 2014 par Pantalaskas @chapeau_noir

Outdoor art

Qu'il soit public ou privé, mémoriel ou ludique, l'art de plein air connaît une vie propre, soumise à des règles particulières, à des contraintes aussi. C'est un des sujets  de "Outdoor art, la sculpture et ses lieux" de Joëlle Zask.
S'agissant d'art contemporain, les propositions se sont multipliées sous les formes les plus variées: fresques, photographies, mobiles, mosaïques, lumières, installations, dispositifs sonores et c... Ces réalisations ont fait appel aux matériaux les plus divers: béton, bois, métal, eau, pierre, matériaux de construction, miroirs, dispositifs électroniques.... Leur devenir aussi peut aller de l'éphémère au pérenne, si bien que l'identité de ces œuvres constitue une catégorie particulière en dépit de leur manque d'homogénéité. Voilà le sujet d'étude de l'auteur pour nous donner à voir cet aspect de l'art de notre temps.


Art , pouvoir, mémoire

C'est art n'est donc pas toujours public mais il l'est souvent. Cet aspect prédominant de l'art outdoor est lié au pouvoir. Joëlle Zask nous rappelle qu'historiquement la commande publique dans la France républicaine date de la IIIeme République. "Les œuvres qui sont alors placées dans l' "espace public" consistent pour l'essentiel en des monuments commémoratifs et des statues célébrant de grands personnages. A Paris entre 1870 et 1914, on érige cent cinquante statues dédiées à des personnages jugés importants de l'histoire de France, dont quatre de Jeanne d'Arc". Mettant en perspective cette histoire avec l'art contemporain, l'auteur considère (par exemple) que " la double série d'arcs colossaux dont Bernard Venet a entouré en 2011 la statue du roi Louis XIV dans le jardin du château de Versailles est du même acabit". Le ton est donné pour un ouvrage qui associe étude et ton polémique.
L'auteur observe que, de nos jours, beaucoup d'œuvres contemporaines connaissent une implantation assez comparable à celle qui était réservée aux statues destinées à glorifier et à consolider le sentiment national à la fin du XIXeme siècle. La prolifération  des ronds-points a contribué notamment à cette croissance des "vitrines d'expériences esthétiques".

Marta Pan Préfecture de Bobigny

Cette description ouvre une étude qu'il faut lire dans son entier pour y découvrir  tous les aspects de cet art outdoor et le regard critique que pose l' auteur sur ce phénomène.
L'idée du "Un pour cent"  née au moment du Front populaire ne se concrétisa qu'à partir de 1951 avant de connaître son véritablement développement dans les années soixante. D'abord limité aux bâtiments du ministère de l'Education nationale lors de sa création, le dispositif a été élargi et s'impose aujourd'hui à la plupart des constructions publiques de l'Etat et à celles des collectivités territoriales, dans la limite des compétences qui leur ont été transférées par les lois de décentralisation. Aujourd'hui, avec le recul, on peut mesurer les difficultés rencontrées parce projet dans la durée.

Marta Pan, musée en plein air de Paris ( taggée)

Les injures du temps

L'épreuve du temps a montré combien un art en plein air subissait d'énormes contraintes : le manque d'entretien, la dégradation volontaire ou naturelle et peut-être surtout l'oubli. Ce dernier point, me semble-t-il, le plus redoutable, ouvre la voie à tous les excès. Une œuvre oubliée peut être alors au mieux déplacée, au pire détruite par la puissance publique. Plus d'un exemple a été évoqué dans ces chroniques sur ces manquements au respect des oeuvres  pour motif  d'amélioration de l'espace public, d'agrandissement de l' espace marchand, pour ne citer que ces prétextes.
L'exposition récente de Pierre Huygues au Centre Pompidou s'ouvrait avec la sculpture de Parvine Curie, "Mère-Anatolica",  récupérée sur un terrain vague du collège Pierre de Coubertin à Chevreuse. Tout est résumé dans ce raccourci : le temps du "Un pour cent", de la sculpture totem, brillante exception dans un décor sinistre, n'est plus concevable.
Son exhumation pour  cette exposition de Pierre Huygues  mettait en lumière la destinée aléatoire de cet art en plein air. Le temps reste donc l'ennemi héréditaire d'un art soumis aux attaques des hommes, des éléments naturels  et, injure suprême, à  l'oubli.

Photos Marta Pan : Encyclopédie audiovisuelle de l'art contemporain (Bobigny) et de l'auteur (Musée en plein air)

"Outdoor art, la sculpture et ses lieux"
Joëlle Zask

Les empêcheurs de penser en rond
Editions La Découverte 2013