À l’occasion de la parution fin janvier 2014 de deux ouvrages sous ma direction et celle du docteur Camille Sari, professeur à la Sorbonne, regroupant
36 experts internationaux ((algériens locaux et bi-nationaux- marocains- tunisiens, libyens- mauritaniens et dix européens) nous présentons la problématique générale aux lecteurs de
Liberté.
Le premier ouvrage traite des institutions et du volet culturel ( 480 pages) et le second du volet socio-économique dans toutes ses dimensions ( 502 pages) qui
seront édités en premier en Algérie( éditions El-Maârifa), et vers juin 2014 au Maroc et en France. Le Maghreb avec une dominance culturelle amazighe, est composé de cinq
pays d’Afrique du Nord, du Maroc, d'Algérie, de Tunisie, de Libye et de Mauritanie. Il couvre une superficie globale d’environ 5,7 millions de km2 et comprend 90 millions d'habitants. Les
contrastes restent extrêmes entre une Mauritanie très pauvre, une Algérie et Libye vivant de la rente pétrolière et gazière, une Tunisie et un Maroc confrontés à un endettement croissant. Chaque
pays du Maghreb est un cas particulier rendant complexe une étude générale.
De plus, les plaies du “printemps arabe” ne sont pas encore cicatrisées. La Libye et la Tunisie n’ont pas encore pris le véritable virage démocratique. Le Maroc et
l’Algérie, par crainte de contagion, sont en observation.
1.-Indicateurs de croissance Indicateurs de croissance (estimations) 2012 Tableau n°1
Le Maghreb est une région hétérogène et les différences de PIB et de dettes le démontrent. Sur le plan de la dette et de la balance des transactions, la différence
entre pays producteurs d’hydrocarbures et les autres pays du Maghreb est énorme. L’Algérie et la Libye sont ainsi très peu endettées et le Maroc connaît un déficit chronique de sa balance
commerciale, en constante augmentation. Les différentiels d’investissement en pourcentages s’expliquent par les importants investissements sur le plan minier et au niveau des hydrocarbures.
(1)
2.-Indice de développement humain au Maghreb
La Tunisie et l’Algérie ont des IDH très proche et la Mauritanie reste à la traîne. L’IDH de la France et ses composantes permettent d’établir un point de
comparaison. La Libye, 1re en termes d’IDH, obtient d’excellents résultats avec une durée de scolarisation attendue supérieure à la France. Le classement selon le RNB par habitant moins le
classement à l’IDH 2012 permet à l’Algérie de faire jeu égal avec la France.
Indice de développement humain et ses composantes - Algérie-Libye-Mauritanie-Maroc-Tunisie-France
Valeur de l’indice de développement (voir tableau 2)
3.-Indicateurs du commerce extérieur
L’évolution des chiffres de la Libye qui connaît des progressions à trois chiffres est à remettre dans le contexte du gel de l’économie en 2011. La Tunisie connaît
des turbulences de son économie. L’impact de la crise se répercute sur les exportations algériennes et marocaines. La Mauritanie bénéficie quant à elle de la bonne santé de son secteur
minier. La balance commerciale des pays exportateurs de pétrole est largement excédentaire.
Indicateurs du commerce extérieur en milliards USD - Algérie-Libye-Maroc-Mauritanie-Tunisie - Tableau n°3
Indicateurs du commerce extérieur, évolution en %
Algérie-Libye-Maroc-Mauritanie-Tunisie - Tableau n°3-1
4.-Import-Export de l’Algérie et du Maroc auprès des principaux partenaires (2)
Malgré la crise, nous assistons à la montée en puissance des BRICS au Maghreb. La proximité géographique des pays du sud de l’Europe favorise les échanges. La
France reste le premier partenaire du Maghreb mais perd des parts de marché au profit de la Chine, de la Russie et du Brésil. L’Italie (ce qui n’est pas dans le tableau) était le premier
partenaire de la Libye en 2010 avec : 42,3% des exportations de la Libye, largement devant la France (15,5 %) et la Chine (9,4 %) ; 9,4 % des importations de la Libye (3e) juste
derrière la Turquie (10,6%) et la Chine (9,6%).
Importations-Exportations 2012 de l’Algérie et du Maroc (millions USD) Tableau n°4
5.- Poids du Maghreb dans l’économie mondiale
Avec un PIB de 437 milliards de dollars en 2012, le poids du Maghreb dans le monde représentait 0,608% du PIB mondial selon le FMI. Les contrastes sont très marqués, et le Maghreb est encore loin de la convergence économique nécessaire à la création d’une zone monétaire optimale comme le démontre le graphique ci-dessous concernant le PIB des pays du Maghreb.
Nous pouvons cependant distinguer deux groupes et placer la Mauritanie à part : les pays exportateurs d’hydrocarbures, l’Algérie et la Libye. L’Algérie possède
un PIB plus de quatre fois supérieur à celui de la Tunisie et 49,59 fois supérieur à celui de la Mauritanie ; les pays importateurs de pétrole et de gaz, le Maroc et la Tunisie ; la
Mauritanie, un pays qui n’a pas encore amorcé son tournant économique avec un PIB très faible de 4,19 milliards de dollars en 2012 selon le FMI. Selon une étude publiée par la Banque mondiale en
2009, la non intégration du Maghreb leur fait perdre chaque année plusieurs points de croissance. Selon une autre étude du FMI en 2012, la crise mondiale et surtout européenne impacterait
lourdement le Maghreb. Un impact négatif de 1% du PIB de la zone euro se traduit par un choc négatif à la production de 0,65 % au Maghreb. Les liens avec l’Europe (zone euro) sont ainsi
clairement démontrés avec un impact 3,25 fois plus important par rapport aux USA ou à la Chine. En effet, quatre facteurs clés expliquent l’impact de la zone euro : l’Europe absorbe 60% des
exportations maghrébines ; les IDE proviennent pour l’essentiel d’Europe ; le tourisme qui concerne essentiellement les habitants de la zone euro ; la diaspora qui vit
essentiellement en Europe.
6.-Les économies maghrébines dominées par la sphère informelle
L’Algérie compte 38,48 millions d’habitants en 2012 pour environ 11 984 410 de la population active. Selon un document du ministère du Commerce algérien
en date de février 2013, il existerait 12 000 sociétés écrans avec une transaction qui avoisinerait 51 milliards d’euros, soit 66 milliards de dollars, plus de quatre fois le chiffre d’affaires
de toutes les grandes entreprises privées algériennes. La Tunisie, pour 2012, aurait 10,78 millions d’habitants pour une population active de 3 896 132. Le secteur informel est estimé
en 2010 à environ 38% du PIB et 53,5% de la main-d’œuvre. Le secteur informel est estimé en 2010 à environ 38% du PIB et 53,5% de la main d’œuvre. Hernando De Soto note pour la Tunisie en 2012,
que 524 000 entreprises sur un total de 616 000 sont extralégales (85%), les actifs équivalant à un montant de 22 milliards de dollars US. Pour la Mauritanie, pour 2012, la population
totale est de 3,796 millions pour une population active de 1 187 609. Concernant la sphère informelle, elle représenterait plus de 60% de la population active dans les centres
urbains et plus de 70% en zone rurale avec la prédominance des emplois de fonctionnaires au niveau de la capitale. Pour 2012, la Libye, dont la guerre civile a fortement affecté son économie,
nous aurions 6,155 millions d’habitants pour une population active de 2 300 237, selon la Banque mondiale, d’autres sources indiquant entre 6,4 et 6,8 millions d’habitants fortement
concentrés dans trois principales villes : Tripoli, Benghazi et Al Bayda, où les enquêtes sur la sphère informelle sont inexistantes. Cette sphère se développe depuis la chute du
régime de Khadafi, expliquant en partie les tensions au Sahel (trafic d’armes, de drogue). D’une manière générale, au Maghreb, la sphère informelle dépasse 50% de la superficie économique
servant, certes, à court terme de tampon social mais décourageant les véritables entrepreneurs créateur de richesses.
En bref, le Maghreb connaît une marginalisation croissante au sein de l’économie mondiale. La non intégration lui fait perdre plusieurs points de croissance, ce qui
ne peut qu’accentuer les tensions sociales au niveau de cette région stratégique.
A. M.
[email protected]
Dr Abderrahmane Mebtoul :Professeur des universités - Expert international en management stratégique
(**) Gilles Bonafi -économiste français- prépare actuellement une thèse de Doctorat sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul “Comment promouvoir
les filières productives intégratrices au Magreb”.
LIBERTE du Mercredi, 22 Janvier 2014
http://www.liberte-algerie.com/avis-d-expert/des-contrastes-extremes-entre-les-pays-du-maghreb-bilan-des-economies-magrebines-214347