Gwen Garnier Duguy
LE CORPS DU MONDE
Éditions de Corlevour, 2013
123 pages, 18 €
À partir de 2006, Gwen Garnier Duguy, après avoir écrit Nox, roman-phare de la contrelittérature, a choisi de se consacrer entièrement à la poésie. Il a fondé avec Matthieu Baumier le magazine poétique Recours au Poème. En 2011, son premier livre de poésie, Danse sur le territoire. Amorce de la parole, fut un émerveillement. Son deuxième recueil, Le Corps du Monde, paru aux éditions Corlevour, l’impose aujourd’hui comme l’une des voix les plus importantes de la poésie française contemporaine.
Le poète Pascal Boulanger, dans sa lumineuse préface, a souligné la figure structurante de « la rose des vents » dans la composition du livre. En effet, sur les sept parties qui constituent l’opus, quatre portent ce titre, seulement différenciées par les vents correspondant aux points cardinaux : du Nord à l’Est, de la Tramontane au Levant, en passant par l’Ouest et le Sud, du Ponant au Marin.
Cette figure ritualise l’espace de l’écriture et ouvre la perspective d’une cartographie de la lecture. Le poème devient orientation, sens sinistrogyre d’une pérégrination initiatique qui dessine la circularité tridimensionnelle du « Corps », dimension architectonique et clef poétique du livre.
Depuis l’Antiquité, la rose des vents fut utilisée par les marins pour se repérer et naviguer. En Méditerranée, sur les boussoles, la Tramontane était représentée par la lettre T dont la graphie suggère la croix. Il est donc significatif que le poème initial de la séquence d’ouverture, « La rose des vents. Tramontane », suggère la descente christique de la croix :
Le Christ décloué
pour Jean Maison
je viens te déclouer
Le silence initial
a descellé mes lèvres
Tu descends de la croix
Je crache les clefs comme des poèmes
Elles s’enfoncent dans la terre
et deviendront des passiflores
butinées par des abeilles en mal d’amour
En dessous les racines trament
le solstice des profondeurs
aimantées par tes pas en marche sur la vie
Il aurait fallu te dissoudre dans l’oubli
ne plus apparaître à la mémoire de l’homme
Et te voici
chevillé au corps du monde
On mesure l’extrême subtilité de la composition de cet ouvrage, la finesse de sa construction liturgique. Poésie de lumière, passage perspectif de la troisième à la quatrième dimension, du Corps à l’Âme du monde, de la Tramontane au Levant. Le poème final de la dernière séquence, « La rose des vents. Levant », aborde le rivage de la réelle présence, la révélation résurrectionnelle dans la clarté du visage aimé :
Corps Présent
pour Matthieu Baumier
Il n’y a pas de corps dans la tombe
Il n’y a pas de roi sur la croix
Ma tête est planète bleue
Tes pas remontent le temps
Depuis ma tempe d’Occident
Jusqu’à la tempe du Levant
Tu es l’esprit blanc
Et le visage d’une femme
Sur la dentelle blanche de ta présence
A sauvé mon cœur
Lire la poésie de Gwen Garnier Duguy est une praxis communielle, un acte de purification. Un poète qu’il nous faut lire de toute urgence, presque par obligation de langage.
Alain Santacreu