Note : 2,5/5
Série de petits épisodes de cinq minutes, Minuscule passe le cap du long métrage comme bien d’autres avant elle. Bien qu’excellente dans sa matière d’origine, la demi réussite du film nous permet d’aborder l’épineuse question du transfert risqué du format court au cinéma.
© Le Pacte
Minuscule est l’histoire d’une coccinelle à peine sortie de l’oeuf au parcours initiatique semé d’embûches. Elle y rencontre une division de fourmis en pleine recherche de restes de nourriture humaine. La découverte d’une boîte de sucre de canne par la colonie entraîne toutes les convoitises, surtout celle de leurs soeurs ennemies, les fourmis rouges. Entre courses-poursuites effrénées et bataille épique en pleine nature, le voyage est des plus compliqués pour la coccinelle novice.
La première remarque à soulever sur le film est que, contrairement aux autres exemples du genre (Fourmiz, 1001 Pattes, et par extension tous les dessins animés avec des animaux), Minuscule prend le pari de ne pas tomber dans l’anthropomorphisme. Le film, dénué donc de tout dialogue, compense habilement avec un travail élaboré de bruitages, de sons d’ambiance et d’effets cartoonesques. La richesse des sons apparaît d’abord comme une façon efficace de distinguer les insectes entre eux : le moteur doux de la coccinelle, celui plus bruyant et agressif des méchantes mouches, les différentes formes de bruissement de pattes des fourmis, fourmis rouges, araignées, etc. Mais très vite, ce qui paraît comme une prise de risque audacieuse devient un défaut majeur. Après une exposition qui prend son temps et une fois l’intrigue principale en place, on constate les limites de ces personnages muets. Réduits à très peu d’expressions (la peur et la fascination principalement), le microcosme pâtit d’un sévère manque d’imagination de la part de ses auteurs, Hélène Giraud et Thomas Szabo.
Là est le grand souci du film : il ne se donne pas les moyens de son ambition. La frustration est immense en effet, lorsque dans chaque nouvelle scène, les possibilités qu’offrent les personnages et l’univers ne sont jamais exploités dans leur totalité. Le design burlesque et ridicule de chaque espèce permettait tout de même un éventail plus vaste de gags. La trompette fluette de la coccinelle n’est drôle que les deux ou trois premières fois, il semble pourtant que les réalisateurs n’aient pas pris le soin de lui donner d’autres gimmicks plus élaborés et plus plaisants. Les fourmis rouges avec leur discipline hitlérienne souffrent aussi d’un manque d’intérêt alors qu’elles auraient très bien pu exploser le rôle de méchants ridicules auquel elles ont été assignées.
Mais la plus grosse déception reste les personnages secondaires si lamentablement laissés pour compte. Alors que leur potentiel comique avait de quoi remplir les grosses baisses de rythme qui parcourent le film, il n’est jamais étoffé, jamais proprement utilisé, comme si la peur de dériver du récit paralysait les scénaristes. Comme cette libellule silencieuse et observatrice au corps improbable qui regarde stupéfaite les groupes de fourmis se battre dans la rivière et qu’on ne voit plus du reste du film. Ou cette grenouille au strabisme inquiétant qui est éliminé en deux plans par un gag qui, lui, tombe complètement à plat. Un dernier exemple, le plus regrettable sans doute, est celui d’un gigantesque lézard dont on soupçonne l’incroyable bêtise et qui se réfugie dans une fissure de roche aussi vite qu’il était arrivé.
Même dans les scènes les plus réussies, la frustration demeure. Après avoir finalement porté les quelques morceaux de sucre sauvés du naufrage dans la rivière, les fourmis noires doivent subir un siège de leurs cousines rouges mécontentes. Le road-movie se transforme soudainement en film épique aux accents de Seigneur des Anneaux. Et là où une certaine fluidité rythmée aurait été bienvenue, on nous ressert le même plan de destruction de fourmilière (presque toujours sous le même angle, tout de même !) à l’infini. Une virtuosité relative survient malgré tout un peu plus tard, lors d’une dernière course-poursuite, cette fois-ci portée par un réel sentiment d’urgence, mais encore une fois écourtée sans vraie raison apparente.
Hélène Giraud et Thomas Szabo ont un talent, on le sait, on l’a vu dans les épisodes qui ont précédé le film. Ils ont construit leur long métrage avec des séquences de court métrage, en proposant pourtant une intrigue qui tenait la longueur. Et le ressenti dominant reste que l’exercice mérite une plus grande attention à la construction scénaristique qui, contrairement au format court, peut permettre des digressions longues, du moment qu’elles sont justifiées. La mise en scène aussi n’est pas suffisamment adapté au long métrage. Le plan fixe est extrêmement efficace voire bienvenu dans un épisode de cinq minutes car le sujet et l’histoire demeurent au niveau de l’anecdote. Lorsqu’il s’agit de faire s’attarder le spectateur sur des péripéties à rebondissements, c’est un peu plus embêtant. Dans Minuscule, on retient tout de même un effort et une volonté de s’adapter, sans en avoir les outils et la grammaire nécessaires.
© Le Pacte
Une séquence résume bien ce paradoxe. La coccinelle entre dans l’habitat noir et mystérieux d’une araignée. La maison de cette dernière fait clairement penser au manoir de Norman Bates dans Psychose. L’atmosphère y est : le mystère, l’ambiance angoissante, la mise en scène volontairement hitchcockienne, le mal grouillant alentour. Puis un à un, tous ces critères sont désamorcés à une vitesse désarmante et la coccinelle repart comme si de rien n’était. On en vient à se demander si le but de Minuscule était de le rester. Dommage.
Larry Gopnik
En salles depuis le 29 janvier 2014.