" La famille de la mariée nous attendait au grand complet. Le futur gendre déjà installé dans sa nouvelle famille avait voulu assister à la préparation de sa futur femme. " Mais où est donc vôtre père ? - Je l'ai connu et il n'existe plus." entre la mairie et l'église, un repas regroupa le cortège. La mariée souriait dans ses voiles et ses tulles. " Elle fait partie des oiseaux, des poissons...qui se reproduisent ", souffla la logeuse à Aldoll. Le marié, plus grave, éteignait cigarette sur cigarette. " On sent qu'il a hâte de sortir de ce mauvais pas. " La belle-famille était venue au grand complet avec ses deuils, ses divorcés, ses drames, fière de célébrer la vie à l'endroit où la vie voit le jour dans le ventre des femmes. " Ils se reproduisent pour se vider de quoi ?" chuchotait la jeune logeuse. Le père de la mariée surveillait si les plats étaient dignes des dépenses engagées. La mère débordait de présence. Elle compensait ses écarts de caractère par des largesses de compliments qui obligeaient chacun à sa redoutable compagnie. Aldoll se tenait à la table des lointains parents avec les divers amis. A l'église, le religieux se retourna devant l'assemblée et recommença ce que le responsable civil avait sans doute accompli aux yeux de certains. Quelques enfants ramassèrent à la sortie des trésors de bonbons. Et le cortège s'ébranla à grands coups de klaxon. la noce s'arrêta à la fin de l'après-midi en pleine montagne, les voitures immobilisées sur la pente, les unes derrière les autres. Une auberge avait été réquisitionnée, chambres comprises pour les parents âgés ou venant de loin. Quand tous les estomacs, la bouche grande ouverte, furent à table, le père de la mariée leva son verre. Une grande pièce montée enneigée trônait sur une desserte. Brusquement toute la table se mit à vouloir s'occuper de la mariée. Son époux pas très à l'aise, prêt au pire, regardait ailleurs, un sourire tordu sur ses lèvres. la nappe s'agitait comme un serpent ondulé. Puis la mariée poussa un cri en se jetant en arrière. Et un vieil hurluberlu apparut, la mèche en bataille, un bout de tissu ou d'élastique à la main.
Sous les lumières crues, j'ai pensé un moment à un bout d'intestin. le père de la mariée subitement devint laid de tristesse, fané et vieux pendant que sa fille offrait un peu de compagnie, comme une sorte d'adieu, à tous ses anciens cavaliers. la vie lui plaisait bien ; grande debout, on sentait qu'elle avait pied.
La jeune logeuse d'Aldoll, les pommettes mûres, dansait aussi.
Un voile d'alcool est tombé sur moi. J'ai bu tous les verres du marié. Mon cœur saoul trinque avec un cœur qui n'existe pas. Pourtant, j'en suis sûr, j'ai dû parler à quelqu'un - mais à qui ? Les mariés disparus, toute la noce s'arrêta. Les vieux devinrent encore plus âgés et radoteurs et les jeunes gens levèrent le camp, emportant leur fragile gaieté."...
Manz'ie : extrait de " le voyage sous l'eau " Flammarion 1987
http://http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/08/30/un-jour-ca-va-marcher/
Né à Blida, Manz'ie est arrivé en France en 1956. Après vadrouilles et boulots divers, il n'a plus fait que lire et écrire. Parmi ses publications Warrant, Le Marionnettiste, La Clémence des baleines, Une Nuit sans dormir (illustré par Reiser), Répertoire pour un Piaf masculin, Le Voyage sous l'eau... Tous ces titres chez les meilleurs éditeurs.