Un jour ma prof de latin de cinquième a déclaré, péremptoire, que je n’étais rien qu’un blouson noir, parce que j’avais sans doute ricané bêtement lors d’une traduction (une histoire de lions affamés et d’Héliogabale sans doute encore). Elle se trompait lourdement. (En même temps, ça ne m’étonne qu’à moitié, de la part d’une prof qui avait invité sa classe à ses noces pour filer l’année d’après le parfait amour avec sa témoin, surveillante en chef de l’établissement, ndlr passion se tromper.)
Moi, un rien m’émeut. J’ai la glande lacrymale généreuse (et la fesse aussi, mais nous en parlerons un autre jour si tu veux bien), je suis insortable. Un rien, et surtout le ciel. Il n’y a guère que les ciels mouillés et gris qui me laissent froide comme le marbre.
Un nuage rose bleuté, la délicate dentelle d’un arbre en hiver, un flocon qui se pose, le dégradé des collines se teintant progressivement de gris dans le lointain, le soleil qui rougeoie et le vent qui tournoie, Sœur Anne ne voit rien venir mais moi je n’ai pas assez de mes yeux pour tout retenir de ces chefs d’œuvres éphémères. Il m’arrive de courir tout au fond du jardin pour observer la lune immense ou de réveiller les enfants pour un arc-en-ciel un soir d’été. Je vis les pieds bien sur terre mais le nez en l’air et le cœur presque chaque jour rassasié de ce spectacle gratuit dont je ne me lasse jamais.
J’ai appris à mes enfants que le ciel leur appartient et qu’il contient les rêves les plus fous. Maintenant, ça fait cinq cris émerveillés simultanés au moindre coin de ciel rose.