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Le criminel

Publié le 31 janvier 2014 par Olivier Walmacq

le criminel

L'Histoire : Un criminel nazi, Franz Kindler, s'est réfugié dans un petit village où il se fait passer pour un professeur. Mais un enquêteur habile retrouve sa trace.

La Critique d'hdef :

Personnellement, je préfère appeler le film d'Orson Welles The Stranger, non seulement pour frimer, mais aussi parce que cela correspond très bien au film. Tout au long de son virtuose long-métrage, le cinéaste filme le nazi comme un être différent des autres, comme quelqu'un qui semble être "à part". C'est ce qui éveille de doute du spectateur. "The stranger" voulant dire "l'étranger", il me semble que le titre est bien plus approprié. Et la force du film de ce point de vue, est que justement, l'étranger, 10 ans plus tôt (le film date de 1946, donc en 1936), ç'aurait été un anti-nazi. De cette manière, le cinéaste inverse la donne, et signe le meilleur film jamais réalisé à Hollywood sur la traque des nazis.

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Pourtant, The Stranger est souvent considéré comme le plus mauvais film du cinéaste. Kézaco ? Oui, kézaco, car en vérité, je pense exactement le contraire. Avec The Stranger, Orson Welles s'aventure sur un terrain plus fantastique (même si le film n'est pas purement fantastique en soi) comme pour nous plonger la tête la première dans le cerveau malade de Franz Kindler, qui est donc un allemand. Et c'est justement cela, ce dernier point, qui justifie ce recours passionnant à l'expressionisme du cinéaste. Tout d'abord à la toute fin, avec l'horloge et ses personnages de chevaliers tout droits sortis des Légendes du Rhin qui embrochent Kindler. Il y a aussi une certaine forme d'expressionisme, mais aussi bien évidemment de folie, dans l'interprétation même de Welles, interprétation dont on se souviendra à jamais, avec ses yeux exorbités, la sueur dégoulinant le long de ses joues, et ce regard, indescriptible, fuyard et sauvage, farouche et haineux. Une combinaison de mal absolu !

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ces yeux bons sang !!!

Vous l'aurez compris, d'un point de vue stylistique, The Stranger ne peut que subjuger. Mais fort heureusement, Welles ne s'arrête pas là. En effet, le cinéaste vient piocher dans les films du genre réalisés avant lui et s'en inspire avec une grande finesse. La tension qu'il insuffle au récit, débouchant sur la mort spectaculaire et cruelle du "méchant" qui paraît si courtois au début n'est pas sans rappeler le splendide L'Ombre d'un Doute d'Hitchcock (1943) où Joseph Cotten tenait un discours abject sur l'humanité, telle "une porcherie" qu'il fallait "purger". On se souvient aussi des allusions du film aux chambres à gaz, et enfin, de la mort de Cotten, écrasé par un train alors qu'il tentait de tuer sa nièce. Mais ici, dans la représentation de l'horreur nazie, Welles va encore plus loin, en faisant en sorte que Edward G. Robinson oblige la femme de Kindler (qui ne sait pas que son mari est nazi) à regarder les films tournés à la libération des camps. Elle pense "que ce n'est pas possible". Voilà qui justifie la tonalité expresionniste et fantastique du film. Comme si les choses étaient si horribles qu'elles semblaient ne pas pouvoir être vraies, mais qu'il fallait se rendre à l'évidence, et que cette horreur avait existé. Avec The Stranger, Welles fait finalement une synthèse de l'opinion de l'Amérique sur le sujet de l'extermination, à la sortie de la guerre. Doit-on y croire, peut-on y croire ? Telles étaient les question que se posaient tant d'américains. Welles leur donne une réponse foudroyante et profonde, sorte de thérapie, mais dans laquelle, bien que s'inspirant de l'expressionisme et du fantastique à la Val Lewton, il n'oublie pas pour autant ses propres marques de fabrique : travellings lents et contemplatfis, géométrie de la mise en scène (pensez aux escaliers de La Splendeur des Amberson, au couloir de bois plein d'enfants démoniques de Le Procès...) et scénario machiavélique.

Un film géant, immense et incontournable. Ceux qui le conspue n'ont rien compris à l'art du cinéaste.

Note : 20/20 évidemment, et encore !


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