« Je crois que l'art est également une forme d'artisanat. Du bon art, c'est aussi du bon artisanat. On ne disparaît pas mystérieusement dans les mondes imaginaires de la littérature, dont il serait difficile de ressortir ensuite. Je suis quelqu'un de sceptique, et franchement je n'y crois pas. Les écrivains avec lesquels je discute, qui me sont proches et en qui j'ai confiance - et ce sont de très bons écrivains - sont d'accord avec moi. Ecrire, c'est un artisanat rationnel, ce ne sont pas des plongées magiques ou miraculeuses dans des mondes littéraires secrets. Ce n'est pas ainsi que ça fonctionne.
A la fin de ma conversation, je raccroche le téléphone et je retourne dans le monde de Kurt Wallander. Ce n'est pas difficile du tout. Le processus créatif consiste à avoir deux mondes qui coexistent côte à côte. Disons par exemple que je suis dans mon bureau et que je décris la cuisine de Wallander! Dans ce processus, je visualise les deux pièces, pour moi elles sont réelles et visibles toutes les deux, de façon parallèle. Je vois la cuisine littéraire dans ses moindres détails en même temps que je vois chaque détail du bureau qui m'entoure. Les deux coexistent. Je peux avoir de la sorte, trois, quatre ou cinq pièces, paysages ou situations activés en parallèle dans mon esprit.
Ce n'est pas plus étrange qu'un jongleur qui travaille, mettons, avec quatre ou cinq balles. Il faut de l'entraînement mais c'est de l'ordre du possible. Si je m'entraînais davantage, je crois que je pourrais jongler avec davantage de balles encore. Et c'est moi, la personne que je suis, qui constitue le pont entre ces mondes parallèles, complètement séparés, le monde privé et celui de la fiction."
Henning Mankell, Mankell (par) Mankell, entretien d'Henning Mankell avec Kirsten Jacobsen, éditions du Seuil.
[choix d’Isabelle Baladine Howald]