Un beau jour, intrigué par le personnage, je m’étais arrêté et lui avais acheté 6 oeufs et, le soleil étant, nous étions devenus amis.
Après le marché, on avait été prendre l’apéro au café du Midi et petit à petit, il m’avait raconté sa vie. Tristounette. Pour la gagner sa vie, il avait fait appel à six poules pondeuses et vivait chichement du sphincter de ces dames. Avec le jardinet en plus, il arrivait, bon an mal an à vivoter et entretenir Gloria, sa bonne femme.
De mon côté, je lui avais raconté la pêche à la mouche, ses joies, ses émotions et le René, je voyais bien que cela le travaillait de l’intérieur, mes histoires.
Tant et si bien que, ce samedi là, il m’annonça la nouvelle, en secret :
« Ma mère, que Dieu ait son âme, a passé l’arme à gauche il y a maintenant deux ans. C’est en allant porter un bouquet de fleurs sur la tombe de son mari qu’elle a trébuché sur un tuyau d’arrosage oublié et s’est fracassé le crâne sur la croix de la pierre tombale de son époux. Morte sur le coup. « Économie de frais de transport de la dépouille » ont dit dans mon dos certaines méchantes langues. En tout cas, elle m’a laissé un petit héritage la Mère. Bien maigrelet, l’héritage, mais ça m’a décidé de changer ma vie.
Avec toutes tes histoires de pêche à la mouche, j’ai bien réfléchi et ma résolution est prise : je vais ouvrir un magasin de pêche ! »
- Bon, d’accord René, mais où tu vas l’ouvrir ton magasin ?
- Et bien, là où j’habite, parbleu. Il y a de la place et les loyers sont pas chers.
- René, ne serais tu pas un peu dingue ou quoi ? Le premier ruisseau est à vingt km de chez toi et tu crois vraiment que les clients vont se bousculer ?
- Flèche, mon ami, s’il n’y a pas de magasin de pêche par chez moi, c’est qu’il y a donc une place à prendre !
Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ? Rien !
Et deux semaines après cette conversation, René m’invita à l’ouverture de son magasin.
Sur la porte, il avait cloué un morceau de contreplaqué sur lequel était écrit maladroitement au Ripolin rouge « MAGASIN DE PECHE » en oubliant l’accent circonflexe, mais ce n’était pas grave, l’accent. L’intérieur, hâtivement peint en vert Véronèse n’était meublé que de deux étagères vides, une chaise et une table de cuisine sur lequel trônait une caisse enregistreuse.
- C’est beau, hein ?
- Oui.
Et c’est vrai que c’était beau. Minimaliste, mais indéniablement beau, dans son genre.
La veille, il avait reçu un paquet contenant un assortiment de mouches en provenance du Kenya, paquet qu’il ouvrit fébrilement.
- Regarde, Flèche comme elles sont belles ces mouches. Des vraies oeuvres d’art, tu ne trouves pas ?
- Tu as raison, René,elles sont splendides et tiens, si c’est comme ça, je serais aujourd’hui ton premier client. Mets moi donc ces deux imitations de fourmis dans un petit sachet,sois gentil ?
- Ca alors, si c’est pas un bon signe de succès, ça, je veux bien être cocu. !
Pensait pas si bien dire, le pauvre, car un mois après, il fermait boutique. Sa femme, une mégère détestable avait fichue le camp avec un ex- candidat du Front National du Vaucluse et les six poules pondeuses s’étaient faites égorgées par un renard affamé.
Un beau jour, elle décida d’ouvrir une sorte de petit «boui- boui » dans une grange abandonnée du hameau. Elle y cuisinait des plats de son pays, des plats tellement épicés mais délicieux que les clients transpiraient des yeux et toussaient beaucoup. Mais la LULU était tellement belle à regarder que ces clients revenaient régulièrement et remplissaient petit à petit la cagnotte du René.
« Tu vois, Flèche,me souffla René, la pêche à la mouche, c’est super, mais sans amour, ça vaut pas un clou ! »