Cavanna vient de mourir, non d’un ara-kiri, soit un mélange de viande de perroquet et de pâte à fromages, mais de complications pulmonaires dans le cadre d’une intervention visant à réparer une fracture du fémur. On est peu de chose m’a confié un de ses amis, un certain Charlie-Abdos culturiste assidu, amoureux de la douleur musculaire « quand ça tire ! » Oui, Cavanna le rital est mort alors que Berlusconi est toujours vivant et ça, franchement, ça tue reins ! Avec sa gueule de druide inimitable et son éternelle moustache blanche, l’homme portait en bandoulière l’écharpe de la démesure et de la provocation ! Né le 22 février 1923 à Nogent-sur-Marne, cet enfant d’immigré italien aurait pu mal tourner comme le père de Valentin, qui, dans de moult rencontres amoureuses s’ignorait ! Plus sage il a choisi la littérature et a fui la pellicule tout comme le STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne ! Pas de temps à perdre, il doit vivre de son art et l'art médite l'air. Autodidacte par conviction il ne pensait pas que l’école, distributrices des colles, décolle son imagination vers des sphères subliminales ! Iconoclaste convaincu il prendra mille chemins pour devenir dessinateur de Presse dans les années 1940. Pour éviter à dessein l’esquisse d’une dénonciation il se fera passer pour Sépia, c’est pieux, heu c’est sain ! En 1954, il rejoint la rédaction d’une publication toute juste éclose, le magazineZéro, fondé par Jean Novi. Vers son talent s’épanche ainsi Novi ! Cavanna, à son tour, de s’épancher vers un certain Georges Bernier qui deviendra « Professeur Choron » sans la moindre soutenance de thèse si ce n’est celle des fous (la fou thèse), après la mort de Novi, après l’avis de nos morts (un défunt doit toujours se faire accepter par ses collègues) ! Cavanna et prof Choron créent alors « Hara-Kiri » histoire d’éventrer les ordres établis dans lesquels nous nous nippons ! Histoire de bouffer du curé, en déments gars, ou en gais chats de compagnie anticléricale. Sous sa direction éditoriale du grand druide éclot toute une génération de dessinateurs à l'humour caustique : Gébé, Reiser, Cabus, Willem, Wolinski, Topor. Excusez du peu ! Le trait en caustique va longtemps cirer le parquet pamphlétaire ! Ah les drôles de sires ! Mais plus qu’un dénicheur de talents et qu’un incorrigible provocateur, notre François (c’est pas l’autre, c’est lui) était un grand écrivain ! A la fin des années 1970, ce bouillant défenseur de la langue française racontera son âge tendre de gamin en marge du Front populaire dans Les Ritals: «J'étais parti pour raconter les Ritals, je crois qu'en fin de compte j'ai surtout raconté papa», résumera-t-il. Plus tard, dans Les Russkoffs, prix Interallié 1979, il racontera les stalags, les infamies d’un système, la famine organisée et les souffrances de ceux qui ne furent «ni des héros, ni des traîtres». Ce brillant ouvrage s’écrit en oral pour crier les râles jusqu’à l’Oural ! En 2010, il effectuera son dernier combat dans Lune de Miel, une lutte veine contre Parkinson et «sa salope de maladie». François Cavanna aurait eu 91 ans le mois prochain.
Je n’ai pas le cœur d’artichaut mais ça me fait de la peine cette mort comme une lettre ouverte aux culs bénits ! Mais je ne retiendrai que l’art de cet homme, cet art de vivre et de rire qu’il a acquis sans rien ne demander à personne, et qui va propager encore son pied de nez jubilatoire : oui, l’art acquis rit !