A l’occasion de la sortie de l’ultime film de Hayao Miyazaki, retour sur la longue et fructueuse carrière du maître de l’animation japonaise, largement influencée par l’aviation, la nature, l’innocence, la révolte, mais aussi l’espoir.
Le vent se lève
Inspiré par le fameux concepteur d’avions Giovanni Caproni, Jiro rêve de voler et de dessiner de magnifiques avions. Mais sa mauvaise vue l’empêche de devenir pilote, et il se fait engager dans le département aéronautique d’une importante entreprise d’ingénierie en 1927. Son génie l’impose rapidement comme l’un des plus grands ingénieurs du monde.
La première spécificité de l’ultime film de Hayao Miyazaki tient dans le fait que l’univers dans lequel évoluent les protagonistes se veut explicitement réaliste.
Alors que dans ses précédents longs-métrages, Miyazaki créait un univers profondément onirique et imaginaire, ou du moins, tentait d’instaurer le doute dans notre perception de ce réel, de brouiller la limite entre le rêve et la réalité (Mon Voisin Totoro), le réalisateur nippon choisit de traiter son sujet à travers le prisme du réalisme, ne laissant place qu’à quelques séquences surréalistes (dans le premier sens du terme), explicitement justifiées dans la forme par le rêve du personnage principal.
A ce réalisme s’ajoute un récit en partie auto-biographique : Miyazaki, tout comme Jiro, a toujours été passionné par l’aviation, et marqué par la seconde guerre mondiale et ses conséquences. Sa mère souffra de la tuberculose, comme c’est le cas de la compagne de Jiro, Naoko.
Le vent se lève semble être une œuvre encore plus personnelle que l’étaient ses précédents longs-métrages.
Malheureusement, c’est cette intimité quelque peu froide qui peine à toucher le spectateur, et qui laisse peu de place à l’imaginaire. Il s’agit plus d’un témoignage romancé que d’un voyage onirique dans un univers extraordinaire. Et cela peut dérouter, voir décevoir.
A noter qu’à la différence de la majorité des autres œuvres de Miyazaki, Le Vent se Lève a été largement redécoupé par Disney. Il faudra donc attendre la sortie de la Director’s Cut pour espérer voir la « véritable » version du maître nippon.
Mon Voisin Totoro
Deux petites filles viennent s’installer avec leur père dans une grande maison à la campagne afin de se rapprocher de l’hôpital ou séjourne leur mère. Elles vont découvrir l’existence de créatures merveilleuses, mais très discrètes, les totoros.
Il est étonnant de constater comment Miyazaki, agé de 50 ans à la sortie de Mon Voisin Totoro au Japon, parvient à retranscrire avec une exceptionnelle justesse le caractère profondément enjoué et innocent des enfants.
Le film, moins ambitieux par ses moyens de production que les autres longs-métrages de Miyazaki, parvient pourtant à renfermer un univers complet d’une profonde poésie.
Le réalisateur joue avec finesse sur la frontière entre rêve et réalité (s’inspirant notamment d’Alice aux pays des Merveilles de Lewis Caroll) et sur le rapport aux temps.
Totoro peut être vu comme une représentation de ce qu’il y de plus rassurant pour l’enfant. Une grosse peluche au poil doux qui veille sur eux et avec qui les enfants peuvent facilement s’exprimer. C’est également le gardien de la forêt, une ombre magnifique, protectrice, et également fertile. On se surprend même à souhaiter de tout coeur qu’un jour, perdu en forêt, nous rencontrions ces esprits protecteurs.
Cela n’en est pas moins un film également destiné aux adultes, véritable plaidoyer en faveur de la nature et des traditions japonaises.
Totoro est un film d’une somptueuse innocence qui nous donne envie de redevenir enfant le temps de quelques heures.
Princesse Mononoké
Probablement l’oeuvre de Miyazaki la plus adulée par la presse comme par le public avec Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké est le film qui fit connaître le réalisateur au reste du monde.
Cette oeuvre possède tous les « ingrédients » du succès populaire et critique : un récit épique, un univers unique empreint de mythologie, une animation parfaite, une histoire bouleversante, une bande-originale somptueuse…
Les adjectifs manquent pour caractériser le chef d’œuvre que représente Princesse Mononoké, tant il semble parfait du début à la fin.
Au XVe siècle, durant l’ère Muromachi, la forêt japonaise, jadis protégée par des animaux géants, se dépeuple à cause de l’homme. Un sanglier transformé en démon dévastateur en sort et attaque le village d’Ashitaka, futur chef du clan Emishi. Touché par le sanglier qu’il a tué, celui-ci est forcé de partir à la recherche du dieu Cerf pour lever la malédiction qui lui gangrène le bras.
Le film offre une grande profondeur notamment dans sa façon de traiter les caractères des personnages. Très loin d’un manichéisme plat, le personnage d’Eboshi, par exemple, frustre, agace, mais fascine. Même Ashitaka, le héros, ne peut contenir certains accès de rage, voir de haine, notamment face à l’échec. Nous sommes bien loin des stéréotypes désués que l’on retrouve dans trop d’œuvres cinématographiques.
Autre performance rare, Miyazaki parvient à nous toucher sans utiliser le pathos. Il crie une fois de plus son amour pour la nature à travers ce récit poignant, sans jamais tomber dans une sensiblerie déplacée.
Outre la beauté de l’animation, le compositeur Joe Hisaishi signe ici une des plus belles bandes originales de l’histoire du cinéma d’animation, ce qui ne fait que ce sublimer ce récit déjà bouleversant.
Porco Rosso
Dans l’entre-deux-guerres, quelque part en Italie, le pilote Marco, aventurier solitaire, vit dans le repaire qu’il a etabli sur une ile déserte de l’Adriatique. A bord de son splendide hydravion rouge, il vient en aide aux personnes en difficulté.
Porco Rosso est un des films les plus visiblement influencés par l’histoire personnelle de Miyazaki. Passionné d’aviation, extrêmement marqué par la seconde guerre mondiale, Miyazaki nous présente ici un aviateur solitaire en mer Méditerranée à la veille de la seconde guerre mondiale, alors que le fascisme progresse dangereusement en Europe.
Dès le début du film nous découvrons cet « homme-porc », vivant reclus au fond d’une crique, combattant les pirates de l’air non pas par philantropie mais par nécessité.
Ce n’est que lorsqu’il fait la rencontre de la jeune Fio, ingénieure en aéronautique, qu’il se surprend à se retrouver un honneur (qu’il n’avait cependant jamais perdu) qui le guidera pendant toute la suite du récit.
C’est pour elle qu’il engagera un dernier combat aérien contre Donald Curtis, caricature de l’américain stupide et prétentieux venant du fin fond du Texas, à l’opposé de Porco, empreint d’une certaine humilité et d’une certaine réserve.
Miyazaki introduit dans son récit une savante dose d’humour (les pirates de l’air, absolument hilarants) et de cynisme, si bien que Porco Rosso peut être vu par les plus jeunes. Mais il n’en reste pas moins un film profondément engagé, anti-militaire et pacifiste. La scène somptueuse du cimetière des avions n’en est qu’un des nombreux exemples.
Le voyage de Chihiro
Chihiro, dix ans, a tout d’une petite fille capricieuse. Elle s’apprête à emménager avec ses parents dans une nouvelle demeure.
Sur la route, la petite famille se retrouve face à un immense bâtiment rouge au centre duquel s’ouvre un long tunnel. De l’autre côté du passage se dresse une ville fantôme. Les parents découvrent dans un restaurant désert de nombreux mets succulents et ne tardent pas à se jeter dessus. Ils se retrouvent alors transformés en cochons.
Prise de panique, Chihiro s’enfuit et se dématérialise progressivement. L’énigmatique Haku se charge de lui expliquer le fonctionnement de l’univers dans lequel elle vient de pénétrer. Pour sauver ses parents, la fillette va devoir faire face à la terrible sorcière Yubaba, qui arbore les traits d’une harpie méphistophélique.
A première vue, l’univers du 8ème film de Miyazaki est un des plus sombres jamais créé par le réalisateur nippon.
Dès les premières minutes du film, les parents de Chihiro se retrouve punis de leur gourmandise et transformés en porc. Chihiro, esseulée, erre dans ce parc abandonné, où l’Homme n’est pas le bienvenue. Elle se fait repérée par les esprits, réticents à la présence des humains, manquent de se faire métamorphoser plusieurs fois, doit se démener pour survivre… On pourrait craindre (sans que cela soit cependant condamnable) que Miyazaki réalise un film aussi sombre que l’étaitLe Tombeau des Lucioles de Takahata, sorti 12 ans plus tôt.
Pourtant, c’est de cet univers à priori hostile que Miyazaki fait ressortir toute son imagination.
La seconde partie du film laisse briller toute la poésie du réalisateur japonais, qui semble totalement se libérer d’une trame narrative classique et se permet de somptueuses envolées lyriques, avec une liberté totale, allant même jusqu’à mettre en valeur des personnages proprement inutiles à la trame principale du film, mais extrêmement riche de par leur personnalité.
Toute l’angoisse palpable dans la première heure du Voyage de Chihiro disparaît peu à peu pour laisser place à un monde extraordinaire.
On finit d’ailleurs par comprendre que ce n’est pas l’Homme qui est menacé par les esprits, mais plutôt que ce sont ces derniers qui se cachent des Hommes. La scène où Chihiro parvient à sauver l’esprit d’une rivière, complètement salie par l’activité des humains, nous le montre. Ces esprits ont besoin régulièrement d’être lavés (dans cette sorte de « cure thermale pour esprits » où à atterri Chihiro) à cause de l’Homme.
Cela ne rend pas Le Voyage de Chihiro cynique pour autant. Même si ce film est un triste constat de la société actuelle, c’est bien Chihiro elle-même qui ose défier Yubaba, la grande sorcière (symbolisant sûrement le grand patronat). C’est également elle qui est la seule à refuser d’être « achetée » par le sans-visage au sein de cette micro-société corrompue et obsédée par l’argent.
C’est un message en partie pessimiste mais teinté d’espoir envers les générations futures que nous délivre ici Miyazaki. En émane une oeuvre considérée par de nombreux fans comme son meilleur film.
Hayao Miyazaki n’a cessé de transmettre un message fort à travers un univers unique et extraordinaire. Il a toujours abordé des sujets qui le touchait personnellement sans pour autant mettre de côté son public. Il a compris que le cinéma est avant tout un art de partage, de collaboration, sans chercher à tout prix à plaire en véhiculant des messages plats aux thématiques surexploitées.
C’est un des plus grands réalisateur japonais de l’histoire qui quitte le monde du cinéma. Le vent s’est levé, il faut tenter de vivre, sans lui désormais.
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