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Le chemin des morts (F. Sureau)

Publié le 30 janvier 2014 par Despasperdus

« Les années quatre-vingt sont loin et me font penser à l'avant-guerre, mais à une avant-guerre que nulle guerre n'aurait conclue, et qui qui aurait simplement changé le cours des choses. Quant à ceux qui l'ont vécue, faute de batailles et d'aventures, ils ressemblent à des égarés. »

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Le chemin des morts est le récit émouvant d'un homme qui livre, avec pudeur et sans fioriture, la culpabilité qui hante sa conscience. Le narrateur est un jeune haut fonctionnaire du conseil d’État qui s'ennuie jusqu'au jour où il est nommé à la commission des recours des réfugiés.

« A l'époque, c'était très artisanal. Il y avait deux ou trois mille demandes par an, quand aujourd'hui il y en a plus de trente mille. Les juges et les rapporteurs étaient bénévoles et venaient en général des juridictions administratives, et non comme aujourd'hui des corps judiciaires, pour les membres desquels tout individu basané est, par expérience, un voleur de poules. »

François Sureau se passionne alors pour son travail qu'il partage avec un ancien résistant de la première heure. A l'époque, le droit applicable aux demandeurs d'asile politique était relativement simple. Si le pays d'origine du demandeur ne respectait pas les droits de l'Homme, la commission accordait quasiment à coup sûr le statut de réfugié.

« il nous a raconté "le chemin des morts". Chez les Basques, la maison est le centre de tout. L'homme et la femme y règnent ensemble, en parts égales. Ils ont la même dignité, et leurs deux noms sont gravés côte à côte sur le linteau de la porte. Quand un membre de la famille meurt, il est conduit de la maison au cimetière par un chemin particulier, que l'on appelle le chemin des morts. Chaque maison, chaque famille a le sien. Ils ne se confondent pas. Si bien qu'au-dessus des routes et des sentiers du village, ou au-dessous d'eux, ou à côté comme on voudra, il y a d'autres chemins invisibles, formant une toile dont l'église est le centre. »

Quand l'Espagne est devenue officiellement un État démocratique, l'auteur et ses collègues ont du statuer sur la situation juridique des réfugiés espagnols. Une seule décision fut délicate, celle concernant Ibarrategui, ancien cadre de l'ETA, qui avait participé en 1968 à l'attentat contre un des principaux tortionnaires de Franco, et qui depuis avait cessé toute activité militante, désapprouvant même un attentat contre un amiral franquiste.

« C'était un militant de la cause basque, mais plus encore de l'anti-franquisme. C'est sans doute à cause de cela que son souvenir est, toujours aujourd'hui, aussi vivant là-bas, où les gens sont lassés de ce terrorisme sans issue, de ces groupuscules qui se font et se défont sans cesse et touchent au banditisme. »

Devant la commission, l'intéressé confia, avec calme et dignité, que le retrait de son statut de réfugié politique l'envoyait à la mort. Aussi, François Sureau et ses collègues étaient placés devant un dilemme et un cas de conscience. Soit ils appliquaient logiquement le droit et ils mettaient un terme à l'asile politique d'Ibarrategui, soit ils confirmaient son statut sur la base de rumeurs ce qui revenait à affirmer que la France ne reconnaissait pas que l'Espagne était une démocratie.

« Trente ans ont passé. j'ai mené ma vie d'homme. J'ai payé mon dû. Le souvenir d'Ibarrategui ne jamais laissé en repos. Il n'est pas passé un seul jour sans que je le revoie, debout devant nous, rue de la Verrerie, sans que j'entende cette voix sèche qui parlait notre langue et qui nous condamnait. Plusieurs personnes que j'aimais sont mortes et leur apparence, malgré tous mes efforts, s'est effacée de ma mémoire. Javier Ibarrategui y est resté, comme pris dans les glaces éternelles. La faute a des pouvoirs que l'amour n'a pas. »


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