Magazine Culture
Après la Nouvelle-Zélande (Haka et Utu) et l’Afrique
du Sud (Zulu), Caryl Férey nous
entraîne en Argentine avec Mapuche. Il est l’une des étoiles montantes du polar
français, mais les nombreux prix littéraires (huit pour Zulu) et le succès, déjà, de Mapuche (la rencontre s'est déroulée en mai 2012, peu après la sortie du roman) ne lui ont pas fait gonfler la tête. Savait-il, en nous parlant lundi chez
Gallimard, qu’il venait d’être choisi comme lauréat du prix Landerneau polar
2012, attribué le même jour ? Il ne nous en a, en tout cas, pas dit un
mot. En revanche, à propos de son nouveau roman, il n’est pas avare d’explications.
Il suffit de demander…
Vous rendez-vous dans
des pays parce que vous avez une idée de livre, ou l’idée vient-elle en cours
de voyage ?
En fait, j’ai d’abord
voyagé, puisque j’ai fait le tour du monde quand j’avais vingt ans. J’écrivais
déjà, mais ce n’était pas de la littérature. Maintenant, quand je vais en
Afrique du Sud, c’est en sachant qu’il y a un potentiel de roman noir dans le
pays entre l’apartheid, l’arrivée de Mandela et tout le reste. Il faut en tout
cas que le pays m’inspire et que j’aie des contacts pour m’introduire dans la
société locale, parce que je fuis le tourisme. Ce qui m’intéresse, c’est les
gens. Et la dimension politique est toujours présente.
En Argentine, vous
saviez à peu près ce que vous alliez creuser ?
Oui. J’avais deux
sujets très forts, qui résumaient tout ce qui m’intéresse dans le polar, l’un
dans la dimension historique et politique, l’autre dans la dimension
ethnologique, une de mes grandes passions. En Argentine, il y avait le massacre
des Mapuche dont personne ne parlait. Ce sont de véritables fantômes. Il y
avait aussi le fascisme ordinaire, le post-nazisme et, ensuite, le
néolibéralisme, qui est anthropophage à mes yeux.
Comment avez-vous
travaillé sur place ?
J’ai d’abord fait, en
quelque sorte, des repérages pendant trois semaines. Je suis allé sur la place
de Mai, à l’ESMA où il y avait le centre de torture et où j’ai eu l’idée d’un
microfilm. Les agents ne détruisent jamais leurs archives. Ils ont brûlé tous
les papiers mais tout a été archivé. Probablement sur microfilm, puisqu’il n’y
avait pas de clé USB à l’époque… C’est en tout cas dans la logique des choses,
même si on ne sait pas ce qu’il est devenu. Si les grands-mères retrouvaient un
document de ce genre, tout le monde pourrait faire son deuil.
Le plus ahurissant,
dans votre roman, c’est que les bourreaux semblent, trente-cinq ans après, être
toujours des bourreaux.
En sortant de la
visite de l’ESMA conduite par une ancienne détenue – c’était vraiment
l’horreur, je n’ai malheureusement rien inventé –, on était très choqués et on
prend un taxi. Le chauffeur nous dit : Ah ! vous sortez de l’ESMA, il
ne faut pas croire tout ce qu’on dit… Il commence un speech et, comme il avait
plus de soixante ans, je me suis dit que c’était peut-être un de ces fils de
pute qui ont échappé à la justice. Je lui ai dit de nous descendre tout de
suite, j’étais prêt à l’étrangler !
Les deux personnages
principaux, Rubén et Jana, ne se sont au fond jamais remis de leurs blessures.
Leur seule chance, c’est de s’appuyer l’un sur l’autre ?
Le
début du roman, quand j’ai commencé à l’écrire, c’était Le cahier triste,
que Rubén n’a jamais montré à personne. Et puis, je me suis dit que je grillais
toutes mes cartouches. Comme leur amour grandit au fil du livre, puisque je
voulais écrire un roman d’amour, la seule compensation possible, le moment où
Rubén montre son texte à Jana est, pour moi, le moment le plus fort du livre.
C’est là où je voulais aller.