Vous connaissez certainement ses œuvres, dans un livre d’histoire ou d’histoire de l’art, ou ailleurs et qu’importe. Il s’appelle Albrecht Dürer et officie comme peintre, graveur, dessinateur. Né à Nuremberg en 1471, fils d’orfèvre, il suit le cursus honorum de tout bon artiste de l’époque : un long apprentissage chez un maître complété par plusieurs voyages qui lui permettent un contact direct avec d’autres styles, d’autres influences, notamment un voyage à Colmar et deux voyages en Italie (à chaque fois, il délaisse son épouse Agnès, qu’il gratifie par ailleurs de plusieurs portraits pas très avantageux, bon il lui léguera une grande partie de sa considérable fortune…). En 1512, il devient officiellement peintre de la cour de Maximilien de Habsbourg puis, après âpres négociations, de son successeur Charles Quint. Il profite de sa position et de l’aisance financière qu’elle lui procure pour non seulement continuer à peindre et graver, mais aussi à travailler les mathématiques, et notamment la géométrie. Il meurt en 1528, toujours à Nuremberg, plein de thalers et d’honneurs.
Son œuvre est immense et particulièrement ardue à résumer en un bref article – un peu comme si vous deviez présenter Bach en un enregistrement de 10 minutes. Pour une fois, nous n’allons pas partir de l’artiste pour tenter de balayer son œuvre, mais l’inverse. Prenons 3 exemples, certes connus, mais néanmoins remarquables. Evidemment si les lecteurs d’Artetvia le redemandent à cor et à cri, je pourrai écrire un nouvel article sur des œuvres moins connues.
Commençons par les autoportraits. Très jeune, Dürer s’est plu à se dessiner et se peindre. On possède un dessin de 1484, il avait 13 ans. Il s’est même représenté dans des situations où il n’est pas du tout à son avantage (tourmenté en 1491, en homme de douleur en 1522), mais toujours avec une précision minutieuse qui la caractérisera toute sa vie. Il peint trois grands autoportraits. Celui de 1500 est peut-être le plus abouti. Il l’annonce directement en inscrivant sur la toile « Moi, Albrecht Dürer de Nuremberg, me suis peint avec des couleurs indélébiles à l’âge de 28 ans ». Ce tableau sombre, peint surtout avec des bruns et des rouges, nous le montre clairement sous le visage du Christ. Sans doute pour la première fois, un artiste ose se présenter semblable au Christ. Il ne faut pas le voir comme un blasphème mais plutôt comme un remerciement de la créature pour envers son créateur pour ses dons artistiques. Le visage est idéalisé (les autres portraits nous le montrent plus difforme). Il montre aussi le côté un peu « arriviste » du peintre qui se représente en manteau doublé de fourrure. Le peintre est sûr de son art et le communique.
L’Apocalypse. Près de deux tiers des gravures de Dürer sont des gravures sur bois. Le maître dessinait et faisait graver par des artisans. L’Apocalypse (1498) est une suite de quinze gravures sur bois (plus la couverture) illustrant l’Apocalypse de Saint Jean. Parmi ses quinze gravures, notons la deuxième, la vision des sept chandeliers. Ici Dürer suit attentivement le texte : sept étoiles dans la main droite, visage qui brille, épée effilée sortant de la bouche du Fils d’Homme, etc. Les chandeliers sont grands, très grands même, porteurs de flammes plus ou moins vacillantes, captant l’attention, finement ciselés et tous différents, en perspective et non en élévation s’étageant sur des nuées très réalistes : la vision surnaturelle se « naturalise », tout en restant irréelle, avec la présence de l’Evangéliste (un être mortel), dans le cercle même des chandeliers.
Les 3 Meisterstiche que sont Saint Jérôme dans sa cellule, Melencolia I et Le Chevalier, la Mort et le Diable. Les trois chefs d’œuvre du maître. Je vais vous présenter la première et sans doute la moins connue des trois. Datant de 1514, cette gravure sur cuivre représente Saint Jérôme absorbé par son travail. Le penseur vit dans une belle demeure bien ordonnée et ensoleillée (si, si, vous ne voyez pas les rayons du soleil ?). L’atmosphère est paisible et studieuse, loin du monde, mais si proche, avec la tête de mort qui devient un objet familier et pas du tout sinistre, le lion dort. Observez le traitement de la lumière, et pourtant, nous sommes en présence d’une gravure. Admirez la perspective impeccable, les objets posés parallèlement au plan ou aux lignes de fuite, sans pour autant rendre l’ensemble froid et distant, la chaleur provenant de la lumière et du traitement des matières (bois, coussins). Tout simplement magnifique !
Le lièvre (1502) : j’ai toujours aimé cette peinture, sans doute pour sa simplicité et sa grande beauté. Dürer a souvent représenté des animaux, y compris dans ses sujets religieux ou sérieux. On pense par exemple à la Vierge au Macaque de 1498. De nature très curieuse, il a gravé et peint quantité d’animaux petits et gros (le fameux rhinocéros qui marquera l’Occident tout entier), avec un plaisir non dissimulé. Admirez le regard de l’animal, à la fois couché, mais prêt à bondir, tout en tension. Et que dire de la fourrure ? On aimerait tout simplement la caresser.
La portée de l’œuvre de Dürer est considérable. L’art « allemand » lui doit beaucoup et pour longtemps, paradoxe pour un artiste féru d’Italie. Goethe verra en lui une figure emblématique de la pensée et de l’art germanique, Nietzsche l’utilisera – à tort d’ailleurs – pour illustrer ses théories sur l’espérance, qu’il méprisait profondément… L’art de la gravure sera bouleversé, non pas tant au niveau des techniques qu’au niveau de leurs traitements graphiques, se jouant des difficultés inhérentes à cet art (lumière, couleurs, textures, perspective…). Bref, une sorte de génie incontournable dans l’histoire de l’art.
Pour poursuivre votre découverte de ce grand artiste, je vous recommande le livre d’Erwin Panofsky sur Dürer La vie et l’art d’Albrecht Dürer. D’accord, les illustrations sont en noir et blanc, mais pour 75% de gravures…
Enfin, vous pourrez trouver les autres gravures de l’Apocalypse ici :
http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/flori/opera/durer/durer_apocalypse.html